Les Peurs invisibles : ombres, pop-up et marionnettes

Marionnettes
Critique
Jeune Public

Les Peurs invisibles : ombres, pop-up et marionnettes

Le 7 Fév 2023
Les Peurs invisibles, spectacle des Zerkiens, créé en août 2019 aux Rencontres de Huy. Photo Nicolas Bomal.
Les Peurs invisibles, spectacle des Zerkiens, créé en août 2019 aux Rencontres de Huy. Photo Nicolas Bomal.
Les Peurs invisibles, spectacle des Zerkiens, créé en août 2019 aux Rencontres de Huy. Photo Nicolas Bomal.
Les Peurs invisibles, spectacle des Zerkiens, créé en août 2019 aux Rencontres de Huy. Photo Nicolas Bomal.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

À l’entrée de la salle, les enfants spectateur·ice·s déposent leurs peurs, préal­able­ment écrites sur de petits morceaux de papi­er, dans une boîte dont le cou­ver­cle ressem­ble à une urne. Iels sont accueilli·e·s par l’une des actri­ces du spec­ta­cle, qui les aide à met­tre leur peur dans la boîte. « Y a des peurs de quoi là-dedans ? », leur demande-t-elle. 

Une fois sur scène, les actri­ces regar­dent les enfants, et ouvrent la boîte à peurs. Lumineuse, celle-ci des­sine à présent leurs vis­ages dans l’obscurité. Armées de leurs lam­pes de poche, les actri­ces sor­tent les papiers à peurs et les par­courent des yeux. Elles se regar­dent, par­courent à nou­veau les peurs (dans leur tête), se les mon­trent, regar­dent les enfants, comme pour sig­ni­fi­er avec beau­coup de ten­dresse qu’elles con­nais­sent main­tenant les peurs de chacun·e d’elleux. Elles refer­ment la boîte, la posent sur la table et, au tra­vers du cou­ver­cle en papi­er calque mat qu’elles utilisent comme écran, font appa­raître à la lumière de leurs lam­pes de poche le titre de la pre­mière his­toire : Quand vient l’orage. Dans une ville styl­isée faite de petits per­son­nages arché­ty­paux hauts en couleurs et d’immeubles de papi­er blanc – théâtres d’ombres et de papi­er minia­tures –, les deux mar­i­on­net­tistes, sur les airs au piano mélan­col­iques et lumineux de Chilly Gon­za­les, décom­posent et recom­posent les espaces, jouent avec l’orage, déchaî­nent les imag­i­na­tions, trans­for­ment les araignées en ter­ri­bles et ter­ri­fi­ants mon­stres ram­pant sur la ville. Marie a peur du noir, Gisèle d’oublier les choses impor­tantes, Gérard des bruits soudains, et Bigou­di le chien des aspi­ra­teurs. Qu’on soit grand·e, petit·e ou à qua­tre pattes : tout le monde a peur. 

D’étranges amis – la sec­onde his­toire – nous plonge dans l’ambiance déli­cieuse­ment han­tée d’une grande mai­son per­due en pleine forêt. Par­tant à nou­veau d’un théâtre d’ombres en noir et blanc, la scéno­gra­phie gagne pro­gres­sive­ment en reliefs et en couleurs, à l’aide de pein­tures fig­u­ra­tives ser­ties de cadres dorés nous faisant décou­vrir l’intérieur de la mai­son et le bal­let sin­guli­er qui s’y déroule. Tels les livres d’enfants pop-up, ces tableaux pren­nent petit à petit vie, tra­ver­sés par de curieux êtres, qui finis­sent par pren­dre la forme de mar­i­on­nettes. Un chien avec telle­ment de poils qu’on peine à dis­tinguer sa tête de son arrière-train. Un squelette fan­tai­siste qui fait le ménage. Un fan­tôme amoureux. Le lien entre ces appari­tions sem­ble être cette vieille dame très dis­tin­guée pro­prié­taire des lieux. Est-elle au courant que sa mai­son est han­tée ? Elle ne sem­ble nulle­ment remar­quer la présence de ses atyp­iques colo­cataires, et ne souhaite qu’une seule chose : pren­dre un bon bain chaud. C’est sans compter les appari­tions d’une grenouille et d’un très beau ser­pent – certes un peu effrayant, mais pas du tout méchant. Une fois nue – image ô com­bi­en inter­pel­lante pour nos jeunes spectateur·ice·s et si rare sur nos scènes –, la vieille dame se glisse non sans peine dans sa baig­noire, se trans­forme non­cha­la­m­ment en sirène et plonge dans les pro­fondeurs d’un océan onirique. Le fan­tôme danse avec le squelette (déguisé en fan­tôme pour l’occasion), puis se trans­forme lui aus­si en sirène. Dans cet univers hor­ri­fique d’une très grande douceur, ce n’est nulle­ment la volon­té de ter­roris­er qui ani­me ces drôles d’êtres, mais bien un intense désir de com­mu­ni­ca­tion et de jeu. 

Dernière créa­tion de la com­pag­nie Les Zerkiens, spé­cial­isée dans la créa­tion de spec­ta­cles de mar­i­on­nettes sans parole pour le jeune pub­lic, Les Peurs invis­i­bles, mis en scène par Guil­laume Hunout, a de quoi nous faire regret­ter d’avoir plus de dix ans. Ce spec­ta­cle témoigne d’une puis­sance d’invention plas­tique et scéno­graphique sub­tile, offrant aux spectateur·ice·s une mul­ti­plic­ité des points de vue et une nar­ra­tion d’une for­mi­da­ble et rare richesse poé­tique au ser­vice d’une ode à l’altérité. Les mar­i­on­net­tistes, Isabelle Pauly et AnneSara Six, déli­cate­ment présentes et ingénieuse­ment absentes, font preuve d’une maîtrise tech­nique remar­quable et nous livrent un réc­it à l’efficacité et à la pré­ci­sion ryth­mique qua­si ciné­matographiques.

Marionnettes
Critique
Jeune Public
compagnie Les Zerkiens
Guillaume Hunout
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Marthe Degaille
Marthe Degaille est actrice, autrice et metteuse en scène. Lesbienne et féministe, ses pratiques sont...Plus d'info
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