Le scénographe-jardinier

Entretien
Théâtre

Le scénographe-jardinier

entretien avec Philippe Quesne

Le 21 Juin 2023
Vincent Joly et Carole Paimpol dans Onzième, création de François Tanguy et le Théâtre du Radeau, 2011. Photo François Fauvel.
Vincent Joly et Carole Paimpol dans Onzième, création de François Tanguy et le Théâtre du Radeau, 2011. Photo François Fauvel.

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Vincent Joly et Carole Paimpol dans Onzième, création de François Tanguy et le Théâtre du Radeau, 2011. Photo François Fauvel.
Vincent Joly et Carole Paimpol dans Onzième, création de François Tanguy et le Théâtre du Radeau, 2011. Photo François Fauvel.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 149 - Théâtre / Paysage - Althernatives Théâtrales
149

Cet entre­tien com­plète et pro­longe le por­trait réal­isé pour Art­ce­na par Sylvie Marin-Lah­mani et paru en mai 2023, « Philippe Quesne, faire du théâtre autrement »

Depuis la créa­tion du Vivar­i­um stu­dio et de la pre­mière pièce de la com­pag­nie en 2003, La Démangeai­son des ailes, le met­teur en scène et scéno­graphe Philippe Quesne pour­suit sa quête d’ailleurs, invente des mon­des par­al­lèles si pos­si­ble meilleurs. Priv­ilé­giant l’écriture de plateau et le col­lage d’idées, les cadavres exquis textuels et visuels, il prélève des parts du réel en arrosant ses par­adis arti­fi­ciels, agence des échan­til­lons de paysages naturels, urbains ou extra­or­di­naires ; il recrée des jardins utopiques sans souci de réal­isme, ne s’interdisant aucun lan­gage scénique ni plas­tique.

Si son souci pour le devenir de la planète est sincère, qu’il se demande depuis tou­jours, avec Bruno Latour, Où atter­rir ?, si ses préoc­cu­pa­tions pour l’environnement et le com­mun des mor­tels humains et non humains1 tra­versent ses créa­tions, la représen­ta­tion scénique de ces ques­tions se traduit par des évo­ca­tions poé­tiques et visuelles : des fan­tas­magories non dénuées d’humour, faisant appel à l’histoire de l’art et à l’imagerie liée à sa bande d’interprètes : jar­diniers tout ter­rain, vision­naires d’outre-monde, habi­tants de ter­rar­i­ums qui cul­tivent joyeuse­ment leurs imag­i­naires débridés pour créer col­lec­tive­ment des îlots hab­it­a­bles pour des com­mu­nautés en quête de mon­des à ré-enchanter. 

Que t’inspire l’alliance des ter­mes « théâtre » et « paysage » ?

J’adore ce terme de paysage, c’est pour cela que j’ai tant de plaisir à faire du théâtre, met­tre en scène des tableaux vivants. L’espace cadré de la cage de scène, l’analogie avec le ter­rar­i­um, la pos­si­bil­ité pour le spec­ta­teur d’observer des corps en train de men­er des expéri­ences, avec des bor­ds de scène rel­a­tive­ment ouverts et une illu­sion de recon­sti­tu­tion du réel dont le pacte est établi depuis des cen­taines d’années : le théâtre offre un cadre très prop­ice à la mise en scène du paysage. Toute l’histoire du théâtre est con­sti­tuée de fab­riques du paysage. Même les grandes avancées esthé­tiques des toiles peintes, de la per­spec­tive, sont là unique­ment pour faire évoluer notre rela­tion à la façon de trans­pos­er la réal­ité sur scène. C’est un espace fan­tas­ma­tique incroy­able parce que le pacte est clair, les con­di­tions sont posées. Au théâtre, même un sol en terre ou de véri­ta­bles branch­es ne font pas illu­sion longtemps. C’est un art de la trans­po­si­tion. J’utilise du vrai-faux depuis vingt ans, en per­ma­nence : chute de pluie qui s’abat sur une toile peinte roman­tique (Le Chant de la terre, 2021), cav­erne de bâch­es plas­tiques et sta­lac­tites en mousse (La Nuit des tau­pes, 2016), paysage d’arbustes enneigés et rouleaux de coton (La Mélan­col­ie des drag­ons (2008), île tour­nante en car­ton-pâte de Crash Park (2018). Loin d’un théâtre nat­u­ral­iste, j’utilise un vocab­u­laire qui mon­tre tous les arte­facts et la façon dont les humains sont en capac­ité de recon­stituer des mon­des. Ce sont sou­vent des corps-jar­diniers, des com­mu­nautés de paysag­istes qui organ­isent la scène. J’aime bien faire l’analogie entre le jar­dinier et le machin­iste de théâtre, mon­tr­er des acteurs qui bougent eux-mêmes leurs pro­pres objets, des élé­ments de décor qui évolu­ent durant la représen­ta­tion. 

Cette alliance entre théâtre et paysage tra­verse tes créa­tions de nom­breuses façons. Com­mençons par tes explo­rations des espaces extérieurs, naturels ou indus­triels, à mi-chemin entre le land art et la créa­tion in situ. Je me sou­viens d’un petit livre de pho­tos en espace naturel qui était extrême­ment drôle.

Très rapi­de­ment après la créa­tion du Vivar­i­um, en 2004, nous avons été invités en Bour­gogne à créer Des expéri­ences dans une forêt, autour d’un lac, la nuit. J’ai régulière­ment immergé mon équipe dans la vraie nature pour faire des per­for­mances, des séances de pho­tos. Pour ce petit livre, on a réfléchi aux actions en milieu naturel et à la vie des plantes en milieu urbain. Ces expéri­ences assez con­fi­den­tielles, réal­isées dans le cadre de fes­ti­vals dans le paysage de Riga ou au Potager du Roi à Ver­sailles (2012), nous per­me­t­taient de con­duire des spec­ta­teurs en pleine nature. Elles ont don­né lieu à des séries de pho­tos et à des films, que j’ai bien­tôt nom­més Bivouacs. J’aimais sor­tir de la cage de scène et avoir un rap­port de vrai et de faux, emmen­er mon équipe véri­ta­ble­ment ressen­tir des paysages. Les Tau­pes, indi­recte­ment, ont aus­si fait l’objet de nom­breuses prom­e­nades et autres parades semi secrètes, avec des ani­maux comme guides pour aller dans des bois ou des endroits mys­térieux de la ville, des sous-sols, des cav­ernes.

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Théâtre
Philippe Quesne
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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