Le maquillage fait advenir le jeu

Entretien
Parole d’artiste
Cabaret

Le maquillage fait advenir le jeu

Entretien avec David Noir

Le 8 Nov 2023
David Noir (créature), Surprise au cœur de l’indécence de sa métamorphose. Photo Marianne Girardet.
David Noir (créature), Surprise au cœur de l’indécence de sa métamorphose. Photo Marianne Girardet.
David Noir (créature), Surprise au cœur de l’indécence de sa métamorphose. Photo Marianne Girardet.
David Noir (créature), Surprise au cœur de l’indécence de sa métamorphose. Photo Marianne Girardet.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Auteur, per­formeur, comé­di­en, chanteur, met­teur en scène : dif­fi­cile de définir David Noir, épous­tou­flante bête de scène allergique aux tax­ons, qui se cara­p­ate dès qu’on tente de l’étiqueter. Ce héros lim­ite bor­der­line hante le cabaret Le Secret avec ses anti­créa­tures, flir­tant avec ce que Ghérasim Luca nomme « la mort, la mort folle, la mor­pholo­gie de la méta, de la méta­mort, de la méta­mor­phose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivi­sec­tion de la vie ». « Je hais le théâtre, ses saltim­ban­ques cra­dos, ses lour­deurs de mis­es en scène sin­istres, hys­tériques ou com­passées. Mais j’en adore la nature, les tech­niques et les inter­prètes éclairés », dit David Noir, qui, quand il ne se désha­bille pas, se maquille à vue, pour inviter le pub­lic à quit­ter ses ori­peaux…

Com­ment créez-vous vos per­son­nages de scène par le maquil­lage ?

Le maquil­lage fait advenir le jeu. Comme le tableau appa­raît sous le pinceau, le per­son­nage advient à force de glacis super­posés. C’est même une erreur fatale et une impasse de vouloir d’abord un per­son­nage et la meilleure façon de ne pas le faire appa­raître. Ce que je crée dépend de l’humeur, de l’ambiance du spec­ta­cle, de ce que jouent les autres, un peu comme si je manip­u­lais de la pâte à mod­el­er en direct. C’est d’ailleurs pour cela que j’apporte tou­jours plus de matériel que ce dont j’ai besoin. Mon proces­sus de créa­tion au cabaret ne part pas des fig­ures à inter­préter. Sou­vent, je m’intéresse d’abord à une chan­son, soit que je l’aime bien, soit que je ne l’aime pas. Elle me fait penser à une sit­u­a­tion qui m’amène à une façon de l’incarner. J’ai aus­si beau­coup tra­vail­lé au Généra­teur, lieu dédié à la per­for­mance, où j’ai créé des textes, des vidéos, en faisant tou­jours en sorte que tout advi­enne simul­tané­ment, un peu à la manière dont fonc­tionne le cerveau. J’y ai posé des esquiss­es dans lesquelles je vais par­fois puis­er.

J’affronte sou­vent les fig­ures intouch­ables, car rien ne m’ennuie plus que la sacral­i­sa­tion. L’adoration dont on nimbe les idol­es me pousse à la satire et à la car­i­ca­ture. Il y a aus­si des choses qui revi­en­nent de l’enfance, comme la ter­reur que provoque Gérard Lenor­mand, qui sem­ble pos­sédé quand il chante. Mais aus­si des car­ac­tères ani­maux ou les créa­tures du ciné­ma fan­tas­tique comme quand je chante J’ai un prob­lème en Nos­fer­atu avec Jeanne Plante. J’opère un peu comme si j’écrivais une pièce en minia­ture à l’intérieur de laque­lle sur­git la car­i­ca­ture.

Vous choi­sis­sez donc à chaque fois la provo­ca­tion ?
Pas seule­ment. J’ai surtout envie de dire aux gens d’arrêter de se racon­ter des blagues. Ne soyez pas dupes de vos pro­pres pos­tures ; n’admirez pas au mau­vais endroit ; ne jouez pas votre rôle de pub­lic ; cessez d’être cap­tifs de la fausse magie de l’incarnation ! Je me maquille à vue pour leur en livr­er les clés. Cela explicite le con­trat, la con­nivence que l’on établit avec eux. On a besoin d’une intel­li­gence com­mune, d’une com­plic­ité à laque­lle on ne force per­son­ne. Dis­ons que je tente seule­ment quelque chose, his­toire de s’amuser ensem­ble, ce que les gens com­pren­nent. L’acteur comme le pub­lic sont dans leur rôle et ils pensent qu’ils exis­tent ain­si. Cette illu­sion est sym­pa­thique mais ridicule. Je con­sid­ère que toutes les croy­ances sont néfastes et que le dis­cours qui les sacralise est obscène. Sachant qu’il y a aus­si un ridicule du sul­fureux et de la provo­ca­tion, dont il faut égale­ment se méfi­er. Je crois que je me déguise et que je me maquille pour révéler le ridicule du cos­tume social en le ren­voy­ant au pub­lic à tra­vers tous mes per­son­nages comme à tra­vers un miroir brisé.

Pourquoi les créer à vue ?

Parce que je n’aime pas ce que nous racon­te le théâtre, ses pré­pa­ra­tions en coulisse et le faux mir­a­cle maniéré de son appari­tion. Je n’ai pas envie d’infantiliser le pub­lic en lui faisant croire que je vais lui mon­tr­er du mer­veilleux. On com­mence le spec­ta­cle ensem­ble. Je me rase, je me pré­pare, je me laisse guider par les autres numéros : cer­tains de mes per­son­nages sont comme un décor pour les autres. J’apporte une petite panoplie dans laque­lle puis­er et dont cer­taines choses ne vont pas servir. C’est aus­si une façon de saper la manière habituelle de faire. L’esprit de sérieux, la con­ven­tion, le beau geste, le beau mot, le fausse­ment livresque, le trop étudié, sou­vent mal étudié, m’ennuient. Je cherche que le geste soit instinc­tif, immé­di­ate­ment intel­li­gent, en pen­sant à une seule chose : qu’est-ce que j’établis avec les gens ? Où et com­ment allons-nous tiss­er des choses ensem­ble ?

Qui sont vos créa­tures ?

Créa­ture, je trou­ve ça assez pédant. Je dirais plutôt que ce sont des incar­na­tions qui con­stituent une sorte de cat­a­logue de numéros, comme celui qu’égrène Lep­orel­lo. Var­tan, Fer­ré, Brel, c’est-à-dire les icônes qui sont déjà des car­i­ca­tures d’elles-mêmes. Je vais aus­si chercher dans les années 1920 – 1930 : Berthe Syl­va, Damia. Mais aus­si Marie-Josée Neuville, la col­légi­en­ne de la chan­son anti-yéyé ; Bon­nie Tyler et son rock baroque, Trenet avec son côté un peu répug­nant, un peu trop jouf­flu, hys­térique de la jovi­al­ité ; Piaf pour son côté mor­bide et dégoû­tant de pathos. Bref, tous ces poètes qui s’écoutent et que je trou­ve insouten­ables. Je ne suis pas de pro­to­cole : mon tra­vail est plutôt une cui­sine où on goûte tout le temps. Le repas est réus­si si, à la fin, on est arrivé à abor­der de l’humain, en faisant en sorte que les choses qu’on croit graves, comme la mort et la mal­adie, soient affron­tées pour être mis­es de côté. Si j’enfile des ori­peaux, c’est pour que les gens en enlèvent un peu, pour que sur­gisse l’utopie d’une rela­tion plus sincère que celle d’un théâtre léché. Celle d’une impro­vi­sa­tion guidée qui revendique son inco­hérence puisque per­son­ne ne fonc­tionne jamais de façon logique. Je crée des êtres comme les écorchés en car­ton-pâte qui essaient de se rap­procher de la vérité de notre être, autour duquel on ne peut que tourn­er en s’amusant sans amais l’atteindre.

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#150 – 151
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