A propos de l’exposition Cabarets !

Compte rendu
Entretien
Cabaret

A propos de l’exposition Cabarets !

Le 7 Déc 2023
Lalla Morte, au Cabaret Le Secret @ Monsieur Gac

A

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Lalla Morte, au Cabaret Le Secret @ Monsieur Gac
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
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Cen­tre nation­al du cos­tume et de la scène / du 9 déc. 2023 au 30 avril 2024

Sylvie Mar­tin-Lah­mani : Del­phine, en tant que direc­trice du Cen­tre nation­al du cos­tume et de la scène, vous organ­isez régulière­ment de grandes expo­si­tions sur un thème ou une dis­ci­pline artis­tique, actuelle­ment la mar­i­on­nette1. Annabel, vous êtes inspec­trice de la créa­tion artis­tique au min­istère de la Cul­ture et, entre autres, experte en arts de la mar­i­on­nette et du cabaret. Vous êtes toutes deux com­mis­saires d’une grande expo­si­tion con­sacrée aux cos­tumes de cabaret et du music-hall, qui ouvri­ra ses portes aux publics en décem­bre 2023. Quels en sont les grands axes ?

Del­phine Pinasa : L’exposition por­tant à la fois sur le cabaret et sur le music-hall, les insti­tu­tions et les cos­tumes de leurs revues seront évidem­ment présents. Nous avons dû faire des choix et nous nous sommes essen­tielle­ment con­cen­trées sur les maisons parisi­ennes, alors que de nom­breux cabarets exis­tent en région. Ces grandes maisons emblé­ma­tiques per­pétuent des métiers d’art et des savoir-faire autour du cos­tume de scène, comme les plumassiers, les bot­tiers, les brodeurs, les car­cassiers…

Cos­tume pour La Lady_Revue C magique_1994_Lido_Paris_Photo CNCS:F Gif­fard

Annabel Poincheval : La créa­tion con­tem­po­raine occu­pera égale­ment une place impor­tante, en rai­son de la place gran­dis­sante d’un autre genre de cabarets. Depuis 2015 en effet, la scène con­tem­po­raine voit revenir des spec­ta­cles de cabaret sou­vent pluridis­ci­plinaires, portés et incar­nés par des artistes plus proches de la per­for­mance que des chanteurs et/ou danseurs des grandes revues… Ces cabarets plus alter­nat­ifs, sou­vent nomades, seront représen­tés par les cos­tumes d’une trentaine d’artistes. On sera moins dans la général­ité que dans l’exemple incar­né par une fig­ure, déclinée en plusieurs cos­tumes si néces­saire. Nous souhaitons rap­procher les deux univers, qui ont pour dénom­i­na­teur com­mun la notion de « revue », c’est-à-dire une suc­ces­sion de numéros, suc­ces­sion d’artistes, présence plurielle sur scène.

S. M. L. : Vous ne présen­tez que des cos­tumes de scènes français­es, pas d’ouverture à l’international ?

D. P. : Le thème est déjà assez riche pour ce qui con­cerne la France. La plu­part de nos expo­si­tions présen­tent avant tout des créa­tions français­es, car il faut bien faire des choix et on ne peut pas tout dire ni tout mon­tr­er. Par ailleurs, le cabaret étant une spé­ci­ficité française, il nous a sem­blé plus per­ti­nent de nous lim­iter à la France bien que d’autres pays comme l’Allemagne soient aus­si des hauts lieux du cabaret !

Mar­tin Dust © Simon Arcache

S. M. L. : Vous invitez égale­ment des grands styl­istes comme Jean-Paul Gaulti­er ou Thier­ry Mugler… Qu’apportent-ils au cabaret ?

A. P. : Ils ne sont pas invités directe­ment, mais cer­tains seront en effet présents à tra­vers les lieux qui les ont sol­lic­ités. Notre choix est de pass­er par le prisme de la créa­tion artis­tique et de l’artisanat, des métiers d’art… et d’éviter d’entrer dans la haute cou­ture ou le show-busi­ness. Ils seront présents au même titre que les autres créa­teurs.

S. M. L. : Pensez-vous que ces grands créa­teurs de vête­ment, ces artistes renom­més dans le monde de la mode et de l’événementiel ont con­tribué à faire bouger les lignes artis­tiques, notam­ment sur la ques­tion de genre ?

D. P. : Les grands cou­turi­ers dont vous par­lez ne sont pas si nom­breux à avoir par­ticipé à des spec­ta­cles de music-hall ou de cabaret. Vous citez Thier­ry Mugler et Jean-Paul Gaulti­er – il y a aus­si Chan­tal Thomass –, qui ont notam­ment tra­vail­lé pour le Crazy Horse. Ce cabaret fait par­tie de ces maisons parisi­ennes mythiques, qui cherchent à renou­vel­er leurs revues en s’associant à des fig­ures de la mode. Jean-Paul Gaulti­er a aus­si créé la revue « Fash­ion Freak Show » aux Folies-Bergère en 2018 qui décli­nait les étapes de sa vie et de sa car­rière dans des tableaux excen­triques et exubérants. Par leur dif­fu­sion et leur pop­u­lar­ité, les créa­tions des cou­turi­ers par­ticipent à faire bouger les lignes soit sur la ques­tion du genre, soit sur celle du rap­port au corps.

A. P. : D’une manière générale, il est bien dif­fi­cile de savoir qui influ­ence qui ! La ques­tion du gen­der flu­id par exem­ple est très présente chez Gaulti­er depuis bien longtemps. Mais elle tra­verse toute la créa­tion con­tem­po­raine (arts de la scène et arts visuels) et se déploie aujourd’hui, notam­ment au cabaret. Je pense à Mar­tin Dust et à une jeune créa­trice comme Lou Ober­to, qui se jouent du genre et de l’assignation ; ou à la mou­vance drag, qui exac­erbe la mas­culin­ité ou la féminité, jusqu’à la car­i­ca­ture par­fois et bien sou­vent par jeu aus­si. Tout comme peut l’être l’effeuillage, au féminin comme au mas­culin.

S. M. L. : Les cos­tumes des­tinés à l’effeuillage, bur­lesque ou pas, con­stituent un pan intéres­sant de l’exposition. Ces vête­ments conçus pour le désha­bil­lage et/ou l’habillage en direct sup­posent une tech­nic­ité et un désir artis­tique de révéla­tion du corps sous toutes ses cou­tures…

Cos­tume porte par mara De Nudee_Numero Effeuil­lage La Voyageuse_Photo CNCS:F. Gif­fard

A. P. : L’art de l’effeuillage est en effet représen­té par plusieurs artistes, dont la Big Bertha qui a par­ticipé à la « Drag Race France 1 » et des effeuilleuses et effeuilleurs qui se pro­duisent dans le monde entier. Mara de Nudée par exem­ple, ren­con­trée après sa tournée au Japon, nous expli­quait récem­ment que l’effeuillage à la française était très prisé à l’étranger. Le cabaret en général par­ticipe de l’image de la France à l’étranger, il y est sans doute plus iden­ti­fié qu’en France. Les effeuilleurs et effeuilleuses réalisent sou­vent leurs cos­tumes eux-mêmes, en fonc­tion de la con­nais­sance intime de leur corps et de la créa­tion de leur numéro. S’ils en passent com­mande, c’est sou­vent à des créa­teurs et créa­tri­ces qui con­nais­sent l’effeuillage, car il faut jouer d’astuce et d’ingéniosité pour créer ces vête­ments sus­cep­ti­bles d’être enlevés d’un geste. Mais il n’existe pas à ma con­nais­sance de manuel spé­cial­isé dans cette tech­nique ou cet art.

S. M. L. : Au-delà de l’aspect tech­nique, il existe un même code de dévoile­ment du corps, une approche esthé­tique de la révélation/apparition/mise en lumière de telle ou telle par­tie du corps, visant à l’érotisation du corps de l’artiste et à la séduc­tion des publics…

D. P. : Il existe en effet dif­férentes manières de procéder à l’effeuillage… Mais ce qui nous préoc­cupe tout par­ti­c­ulière­ment, c’est de trou­ver la bonne manière de présen­ter ces cos­tumes sur des sup­ports « inertes » que sont les man­nequins. C’est une prob­lé­ma­tique qui revient à chaque expo­si­tion au CNCS et plus spé­ciale­ment pour cette expo­si­tion : com­ment mon­tr­er le cos­tume hors du con­texte de la scène et sans corps pour l’animer. Un man­nequin ne rem­plac­era jamais le corps sub­limé et/ou éro­tique d’une effeuilleuse. Des cap­ta­tions vidéo de spec­ta­cle seront dif­fusées et pour­ront en don­ner une meilleure idée. Quant à Mara de Nudée, son tra­vail, tant sur le plan tech­nique qu’esthétique, nous a vrai­ment impres­sion­nés. Ses cos­tumes deman­dent un savoir-faire, une con­nais­sance des matières et des matéri­aux, qui représente un investisse­ment impor­tant de la part des artistes. L’art de l’effeuillage est un art du dévoile­ment mais aus­si de la retenue. N’oublions pas que le cos­tume à trans­for­ma­tion a tou­jours existé au théâtre et se pra­tique régulière­ment dans cer­taines mis­es en scène. Les cos­tu­miers doivent trou­ver des moyens tech­niques pour per­me­t­tre ces trans­for­ma­tions, dont la par­tic­u­lar­ité est de se dérouler sur scène en présence du pub­lic. Mara de Nudée fait référence à la danse de Loïe Fuller2, son cos­tume est manip­ulé grâce à des bâtons cam­ou­flés. Les artistes de cabaret s’inscrivent dans cette tra­di­tion de la méta­mor­phose et du change­ment à vue et les dévelop­pent cer­taine­ment plus que d’autres arts de la scène. On sent qu’il y a une vraie con­nivence entre cos­tume et per­for­mance. Le fait de faire soi-même ou de sol­liciter un spé­cial­iste (corseti­er ou cos­tu­mi­er du spec­ta­cle) rap­pelle les pra­tiques anci­ennes, fréquentes jusqu’au milieu du xxe siè­cle dans le monde du théâtre, où l’artiste devait acheter son pro­pre cos­tume pour sa presta­tion. Quand on est seul sur scène, le cos­tume prend d’autant plus d’importance. Le per­formeur se présente avec un cos­tume et son maquil­lage, tous deux cen­sés sym­bol­is­er immé­di­ate­ment un univers.

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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