Arts mutants

Cabaret
Edito

Arts mutants

Le 29 Nov 2023
Marie Oppert (Polly Peachum) dans L’Opéra de quat’sous, création de Thomas Ostermeier, festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, 2023. Photo Jean-Louis Fernandez.
Marie Oppert (Polly Peachum) dans L’Opéra de quat’sous, création de Thomas Ostermeier, festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, 2023. Photo Jean-Louis Fernandez.
Marie Oppert (Polly Peachum) dans L’Opéra de quat’sous, création de Thomas Ostermeier, festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, 2023. Photo Jean-Louis Fernandez.
Marie Oppert (Polly Peachum) dans L’Opéra de quat’sous, création de Thomas Ostermeier, festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, 2023. Photo Jean-Louis Fernandez.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

En févri­er 2023, nous nous sommes consacré·e·s aux arts du cirque, de la mar­i­on­nette et à la créa­tion dans l’espace pub­lic1, avec en fil­igrane la ques­tion du renou­veau de ces formes, autre­fois dites mineures. Nous nous sommes intéressé·e·s au proces­sus de légiti­ma­tion de ces dis­ci­plines qui bal­an­cent entre le théâtre pop­u­laire pour tous·te·s, petit·e·s et grand·e·s, en salle comme en rue, ouvrant des espaces d’expérimentation inso­lites et inno­vants.

C’est là que la ques­tion du cabaret a émergé pour la pre­mière fois. Après plusieurs comités de rédac­tion, nous avons voulu lui dédi­er un numéro dou­ble, spé­cial. Dans cet ouvrage de 120 pages haut en couleur, nous plon­geons avec délice dans l’histoire de cet « art du frag­ment »2, qui, à l’instar du cirque, s’écrit comme une suc­ces­sion de numéros orchestrés par un Mon­sieur Loy­al ou un maître de céré­monie. À pro­pos du cirque, Jean-Marc Lachaud3 par­le égale­ment d’une « esthé­tique de la non-cohérence », liée aux principes du col­lage et du mon­tage, du frag­ment ; d’un art des com­bi­naisons aléa­toires et des mélanges explosifs, d’un art du métis­sage et de la mix­ité (obtenu par cita­tion, emprunt, détourne­ment, hybri­da­tion, mix­age, brouil­lage…). L’analogie avec le cabaret est ten­tante !

Nous aus­cul­tons les lieux, ex-tav­ernes ou auberges – étab­lisse­ments où l’on assiste aux spec­ta­cles en buvant et mangeant –, et les soirées fes­tives qui piochent tous azimuts dans les arts du cirque, du chant et de la danse, du trav­es­tisse­ment4 et du cos­tume d’apparat ; nous appré­cions aus­si les métiers d’art (plumassiers, corsetiers…), en grand écart per­ma­nent entre la tra­di­tion et la moder­nité.

Con­vient-il de par­ler d’une sim­ple résur­gence du genre ou d’une nou­velle écri­t­ure : quels sont ses liens de fil­i­a­tion avec le music-hall, les revues ? Que traduit aujourd’hui l’engouement pour ces cabarets revis­ités par Olivi­er Py de longue date (reprise de Miss Knife en clô­ture du Fes­ti­val d’Avignon 2022), par Mar­tin Dust et son Cabaret de Pous­sière, ou par Jérôme Marin et Le Secret : besoin de pail­lettes post-Covid, revi­tal­i­sa­tion de vieilles formes théâ­trales sclérosées par des injec­tions de formes d’art mineur, ou pos­si­bil­ité d’aborder des ques­tions de société sur fond de crise avec une immense lib­erté ?

Le cabaret – comme art vivant – ques­tionne le jeu, l’écriture, les stéréo­types, le cos­tume, le maquil­lage, le·s corps, le·s genre·s, les marges ; c’est un art de la per­for­mance à l’extrême. Un extrême tou­jours en rela­tion directe avec le pub­lic, entre souci de le diver­tir et désir de le pouss­er dans ses retranche­ments grâce à dif­férents reg­istres : le comique, le grotesque, le sub­lime, le dark, le sex­uel, le play­back…

Ce sont main­tenant des « pro­jets » que les insti­tu­tions théâ­trales intè­grent dans leurs saisons offi­cielles (théâtre Varia, La Bal­samine, théâtre Les Tan­neurs, théâtre de Chail­lot, théâtre de La Bastille…). Cet art à l’origine souter­rain, feu­tré, clan­des­tin devient aujourd’hui un momen­tum de la sai­son à ne pas man­quer, une sorte de valeur sûre qui amusera les publics… Mais que pensent les artistes de cabaret de ce proces­sus d’institutionnalisation ?

Marie Oppert (Polly Peachum) dans L’Opéra de quat’sous, création de Thomas Ostermeier, festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, 2023. Photo Jean-Louis Fernandez.
Marie Oppert (Pol­ly Peachum) dans L’Opéra de quat’sous, créa­tion de Thomas Oster­meier, fes­ti­val d’art lyrique d’Aix-en-Provence, 2023. Pho­to Jean-Louis Fer­nan­dez.

Depuis le suc­cès mon­di­al du TV show Ru Paul’s Drag Race, ou son omniprésence sur les réseaux soci­aux en instal­ive, le cabaret pousse à con­sid­ér­er le main­stream, le pop­u­laire, la masse, et à sor­tir de nos élites.

His­torique­ment, il est intéres­sant de remar­quer que les grandes heures du cabaret ont sou­vent lieu dans des mon­des en crise, en guerre (années 1920, Sec­onde Guerre mon­di­ale, aujourd’hui), comme pour exul­ter et trans­former les maux, les affres de la société.

Traiter du cabaret au sein d’Alter­na­tives théâ­trales, c’est aus­si l’occasion de met­tre en avant une nou­velle com­mu­nauté de créateur·ice·s gran­dis­sant en Bel­gique et en France : Jean Biche et Angèle Micaux, Sara Sel­ma Dolorès, Aman­dine Laval, Lyly­beth Mer­le, Bastien Pon­celet, Mar­lène Sal­dana.

L’art du cabaret se renou­velle sans cesse, c’est un art de la muta­tion, c’est un art qui investit les mythes du passé tout en restant dans « l’air du temps », comme le Kabareh Cheikhats au Maroc qui, grâce à l’avancée sur la ques­tion du genre, ressus­cite les divas de l’« Aïta », un art musi­cal maro­cain tombé en désué­tude.

Pail­lettes, plaisir, provo­ca­tion…


  1. Alter­na­tives théâ­trales, « Arts vivants. Cirque mar­i­on­nette espace pub­lic », Car­o­line Godart et Sylvie Mar­tin-Lah­mani, n° 148, févri­er 2023. ↩︎
  2. Nous remer­cions Sara Sel­ma Dolores de nous avoir fait penser à cette notion : l’esthétique du frag­ment (art du col­lage et du mon­tage de frag- ments, lit­téraires ou scéniques) con­vient par­faite­ment aux formes du cabaret que nous explorons. Nous la gar­dons en guise de sous-titre à ce numéro. Mer­ci aus­si à Car­o­line Godart qui avait lancé l’idée en 2022 de tra­vailler sur le thème du cabaret au sein du n° 148. Il y a tant de matière que nous lui con­sacrons un n° dou­ble en 2023 ! ↩︎
  3. Voir Jean-Marc Lachaud, « Hybrides », dans Art Press, numéro spé­cial, 1999, p. 9 – 12. ↩︎
  4. Voir « Le Corps trav­es­ti », n° 92 d’Alternatives théâ­trales dirigé par Georges Banu, jan­vi­er 2007. ↩︎
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Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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Pablo-Antoine Neufmars est un poly-amoureux de l’art. Interprète en théâtre et danse, il est aussi...Plus d'info
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