Le goût du drame

Compte rendu
Parole d’artiste
Cabaret

Le goût du drame

Notes sur l’esthétique camp dans les scènes contemporaines bruxelloises

Le 11 Nov 2023
Tom Geels dans Hippocampe, de Lylybeth Merle, Théâtre Varia, 2023. Photo Alexis Joiret.
Tom Geels dans Hippocampe, de Lylybeth Merle, Théâtre Varia, 2023. Photo Alexis Joiret.

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Tom Geels dans Hippocampe, de Lylybeth Merle, Théâtre Varia, 2023. Photo Alexis Joiret.
Tom Geels dans Hippocampe, de Lylybeth Merle, Théâtre Varia, 2023. Photo Alexis Joiret.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

En 1964, Susan Son­tag dans Notes : on « Camp »1 pro­po­sait une liste d’éléments que nous allons repren­dre en par­tie et actu­alis­er, pour ten­ter de cern­er la notion « camp » le plus con­crète­ment et arbi­traire­ment pos­si­ble :

L’album Renais­sance de Bey­once
Le Lac des cygnes
Kimi Amen en Gille
Pierre et Gilles
Le motif pied-de-poule
Les lam­pes Tiffany
Les mag­a­sins Claire’s
La mode fémi­nine des années 1980 (épaulettes, couleurs cri­ardes, sil­hou­ettes androg­y­nes)
Le « mes­sage de pet pour le peu­plea » de Drag Couenne
Le negroni sbaglia­to mais avec du pros­ec­co
Le ciné­ma d’Alexis Lan­glois
Le Cœur à ses raisons
Mag­gie the Cat de Tra­jal Har­rel

D’emblée on voit que cette liste rassem­ble sur les critères du kitsch et du ridicule, mais aus­si de la sophis­ti­ca­tion et de l’expressivité. Le goût campy s’illustre dans les procédés du jeu de mots capil­lo­trac­té, de la car­i­ca­ture out­rageante, de l’ornementation super­fé­ta­toire et de la surenchère grotesque. Il a quelque chose à voir avec le mau­vais goût, dont Vanasay Khamphommala,dans la pré­face au recueil Scan­dale ! de Camille Pier, rap­pelle qu’il est l’apanage des esthé­tiques d’artistes minorisé·es : Nous sommes assez familier·e·s de cet adjec­tif [mau­vais]. Mau­vais goût. Mau­vais garçon. Mau­vaise graine. Mau­vais genre. Ce que l’on décrit par ce mot me sem­ble décidé­ment bien désir­able2. » Par ailleurs, ce que ces élé­ments ont en com­mun relève de la cul­ture lgbt+, par leur créa­teurices ou leurs appré­ci­a­teurices, et son développe­ment his­torique­ment clan­des­tin. Arrê­tons-nous sur l’origine du terme anglais camp, qui dérive du verbe français « se camper », par exten­sion tenir tête, voire pren­dre la pose. On peut dire que cet emprunt au français est car­ac­téris­tique de la cul­ture queer anglo-sax­onne qui voit dans la cul­ture française un sum­mum stéréo­typ­ique de raf­fine­ment – qui s’illustre à l’international à tra­vers la mode, la cui­sine, l’art de vivre, la roy­auté et jusqu’à la sonorité de l’accent français – autrement dit la langue française incar­ne le fan­tasme d’un absolu cul­turel. Lorsque les artistes queer du XXe siè­cle s’emparent du lex­ique fran­coph­o­ne, on assiste en réal­ité à un geste ludique d’empuissancement : c’est le trav­es­tisse­ment d’une langue de dom­i­nants ; une manière de faire dévi­er les signes du beau et de les faire siens, de revendi­quer sa part de beauté, mais aus­si de se gauss­er de la supré­matie qu’on détourne si aisé­ment. Camp.

Il est impor­tant ici de rap­pel­er ce que l’histoire des mou­ve­ments de libéra­tion lgbt+ doit aux exis­tences mar­gin­al­isées. Nous devons nos droits de citoyen·s·nes, mais aus­si notre vis­i­bil­ité sur les scènes insti­tu­tion­nelles, aux militant·s·es qui nous ont précédés. Nous devons nos droits aux tra­vailleureuses du sexe, aux femmes trans racisées et aux usagères de drogue. Der­rière la joliesse décalée des œuvres camp se cache un héritage de résis­tance et d’insurrection. Leur humour absur­dum ne saurait donc être pleine­ment com­pris sans cette mise en rela­tion avec l’insolence. Inso­lence des voix opprimées que rien ne fera taire, inso­lence des corps indésir­ables qui s’exhibent de plus belle, inso­lence des vies vécues con­tre la norme.

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