Marion Siéfert, l’incandescente

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Théâtre
Portrait

Marion Siéfert, l’incandescente

Le 1 Nov 2023
Lou Chrétien Février dans Daddy, création de Marion Siéfert, Théâtre de L’Odéon, Paris, 2023. Photo Matthieu Bareyre.
Lou Chrétien Février dans Daddy, création de Marion Siéfert, Théâtre de L’Odéon, Paris, 2023. Photo Matthieu Bareyre.
Lou Chrétien Février dans Daddy, création de Marion Siéfert, Théâtre de L’Odéon, Paris, 2023. Photo Matthieu Bareyre.
Lou Chrétien Février dans Daddy, création de Marion Siéfert, Théâtre de L’Odéon, Paris, 2023. Photo Matthieu Bareyre.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Dès le début de notre dis­cus­sion, le ton est don­né. Mar­i­on Siéfert se réjouit de l’intérêt actuel pour le cabaret. Dans une époque où les paroles artis­tiques sont intimidées, voire réduites au silence, elle applau­dit la lib­erté de ton d’un art qui ne dépend pas des sub­ven­tions de l’État. Lib­erté de ton et prise de risques car­ac­téris­tiques du tra­vail de la jeune autrice, met­teuse en scène et per­formeuse. Retour sur le par­cours d’une artiste pas­sion­nante aux influ­ences mul­ti­ples, ayant tou­jours réus­si à échap­per aux con­ven­tions.

Mar­i­on passe son ado­les­cence dans la ban­lieue d’Orléans où, très jeune, elle prend con­science des dif­férentes réal­ités sociales. C’est là aus­si qu’elle a ses pre­miers chocs esthé­tiques, devant la télé famil­iale : La Dolce Vita de Felli­ni, L’Avventura d’Antonioni, les films de Bergman. Elle adore la scène : les comédies musi­cales dirigées par un voisin, les galas de danse, les spec­ta­cles inven­tés avec sa sœur où elle se réserve les rôles de méchante. Elle étudie la lit­téra­ture alle­mande à Lyon puis à Berlin avant de se lancer dans un M2 en études théâ­trales à Nan­terre. Dans le cadre de sa recherche, elle intè­gre l’Institut d’études théâ­trales appliquées de Gießen, un lieu expéri­men­tal cher­chant à décon­stru­ire le théâtre plutôt qu’à en per­pétuer la tra­di­tion.
Elle y décou­vre une scène per­for­ma­tive, des ambiances de tra­vail col­lab­o­ra­tives et auto­gérées ; un vent de lib­erté qui lui donne de la force pour créer.
Elle développe des per­for­mances de sept min­utes, dans des lieux privés trans­for­més en cabarets impro­visés. Puis elle signe son pre­mier spec­ta­cle Deux ou trois choses que je sais de vous, por­trait du pub­lic à tra­vers les pro­fils Face­book des spectateur·ices, augu­rant une atten­tion par­ti­c­ulière au rap­port scène/salle, sans cesse réin­ven­té dans son tra­vail.
En 2017, elle devient artiste asso­ciée de La Com­mune CDN d’Aubervilliers où elle crée Le Grand Som­meil, plongée dans les rêves effrayants et fan­tasques d’une enfant de 11 ans. Le rôle de Jeanne est inter­prété par la danseuse, per­formeuse et choré­graphe Hele­na de Lau­rens. Pour créer cette enfant grande, Mar­i­on et Hele­na con­vo­quent le sou­venir de Vales­ka Gert, artiste de cabaret alle­mande des années 1920, con­nue notam­ment pour ses dans­es grotesques et expres­sion­nistes.
Après Le Grand Som­meil, Marie-José Malis et Frédéric Sac­ard, direc­trice et directeur adjoint de la Com­mune, lui com­man­dent une Pièce d’actualité, dis­posi­tif où un·e artiste est invité.e à créer un spec­ta­cle tirant son inspi­ra­tion du ter­ri­toire d’Aubervilliers, une des com­munes les plus pau­vres de France, où on par­le plus d’une cen­taine de langues. Mar­i­on veut tra­vailler avec une rappeuse. Pen­dant des semaines, elle arpente les bat­tles parisi­ennes. Elle ren­con­tre Laeti­tia Ker­fa aka Orig­i­nal Laeti et la jeune danseuse de pop­ping Jan­ice Bieleu, avec qui elle crée DU SALE !.
Plus qu’un spec­ta­cle, DU SALE ! sem­ble réalis­er l’impossible : une ren­con­tre entre des milieux soci­aux d’ordinaire bien séparés. C’est d’ailleurs les pre­miers mots de Laeti­tia au pub­lic : « C’est pas nor­mal que je sois là. C’est pas nor­mal parce que je suis Laeti­tia Ker­fa. Parce que j’ai pas fait d’école de théâtre, parce que je viens pas d’un milieu aisé ou d’un milieu d’artistes. »


C’est avec _Jeanne_Dark_ – le craquage en direct sur Ins­ta de Jeanne, ado­les­cente harcelée à l’école – que le tra­vail de Mar­i­on Siéfert se propage. _Jeanne_Dark_ est le pre­mier spec­ta­cle pen­sé simul­tané­ment pour le théâtre et Insta­gram. Sur scène, Hele­na de Lau­rens joue tout en se fil­mant, en live et sou­vent en gros plan, se méta­mor­phose au gré des fil­tres et des cadrages dif­férents, n’a pas peur d’aller loin dans la défor­ma­tion et le grotesque, jusqu’à s’enlaidir. En endos­sant la fig­ure de la freak, elle utilise le réseau social à con­tre-courant, loin de la mise en valeur de soi cap­i­tal­iste. Mar­i­on Siéfert aime aller où ça dérange, elle n’est pas là pour met­tre tout le monde d’accord.
Dad­dy, son dernier spec­ta­cle créé à l’Odéon, se déploie égale­ment dans le monde virtuel. Après plusieurs mois d’enquête auprès de per­son­nes ayant subi des vio­lences pédocrim­inelles, elle écrit le texte avec Matthieu Bareyre (son ami et col­lab­o­ra­teur artis­tique, réal­isa­teur du mag­nifique doc­u­men­taire L’Époque). Dans Dad­dy, l’héroïne a 13 ans et vit à Per­pig­nan. Issue de la petite classe moyenne, elle rêve de devenir actrice. En ligne, elle ren­con­tre un homme riche et séduisant, qui a le dou­ble de son âge et qui l’entraîne dans un jeu vidéo aux règles trou­bles : « Dad­dy ». Mar­i­on Siéfert réu­nit une équipe d’acteur.ices extra­or­di­naires, venant tou­stes d’horizons dif­férents (on y retrou­ve par exem­ple l’artiste de cabaret Jenifer Gold) autour d’un spec­ta­cle abor­dant des sujets dif­fi­ciles comme la pédophilie, la pré­da­tion du cap­i­tal­isme sur l’extrême jeunesse et les rap­ports de classe. Avec Dad­dy, Mar­i­on Siéfert nous plonge encore une fois au cœur de nos con­tra­dic­tions, et tant mieux si c’est un peu incon­fort­able…

À voir au Théâtre nation­al à Brux­elles du 7 au 10 févri­er 2024.

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