Ministère de la Culture : un rapport d’inspection sur le cabaret et le music-hall

Réflexion
Cabaret

Ministère de la Culture : un rapport d’inspection sur le cabaret et le music-hall

Le 28 Nov 2023
Julien Fanthou alias Patachtouille dans Madame Ose Bashung creation Sebastien Vion Cie-Le-Skai et lOsier-Cabaret Madame-Arthur 2019. Photo Charlene-Yves
Julien Fanthou alias Patachtouille dans Madame Ose Bashung creation Sebastien Vion Cie-Le-Skai et lOsier-Cabaret Madame-Arthur 2019. Photo Charlene-Yves

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Julien Fanthou alias Patachtouille dans Madame Ose Bashung creation Sebastien Vion Cie-Le-Skai et lOsier-Cabaret Madame-Arthur 2019. Photo Charlene-Yves
Julien Fanthou alias Patachtouille dans Madame Ose Bashung creation Sebastien Vion Cie-Le-Skai et lOsier-Cabaret Madame-Arthur 2019. Photo Charlene-Yves
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

En jan­vi­er 2022, le directeur général de la créa­tion artis­tique com­mandait au ser­vice de l’inspection de la Direc­tion générale de la créa­tion artis­tique (dgca) une étude sur le secteur du cabaret et du music-hall. Une année d’investigation a été néces­saire pour appréhen­der un domaine jusqu’ici mar­ginale­ment accom­pa­g­né par la puis­sance publique, alors qu’on réper­to­rie env­i­ron 200 struc­tures rel­e­vant de ce champ ; plus de la moitié adhère au camulc (syn­di­cat por­teur des intérêts du secteur, actuel-lement en passe de fusion­ner avec d’autres syn­di­cats du spec­ta­cle vivant). Ce sont aus­si 2,6 mil­lions de spec­ta­teurs par an (y com­pris une clien­tèle étrangère), a min­i­ma 1 600 artistes réguliers, dont un bon nom­bre en cdi dans les « grandes maisons » parisi­ennes – et une majorité d’artistes choré­graphiques, pour l’essentiel des femmes.

Le secteur du cabaret « indis­ci­plinaire » (qui se refuse au classe­ment et cul­tive l’art de la trans-for­ma­tion) élar­git ample­ment le nom­bre d’artistes con­cernés, beau­coup œuvrant simul­tané­ment dans divers champs du spec­ta­cle vivant, offrant ain­si au cabaret toute la richesse de l’éventail de la créa­tion : danse, chant, jeu, cirque, etc.

En remon­tant le fil de l’histoire du cabaret, jusqu’aux fameux Chat noir de Rodolphe Salis et aux bals dansants (dont le célèbre Moulin-Rouge), où tout un cha­cun venait se diver­tir ou se déver­gonder, on trou­ve les dénom­i­na­teurs com-muns du cabaret : il est pop­u­laire en ce qu’il accueille et attire un pub­lic var­ié, con­vivial dans sa dimen­sion fes­tive et offre un temps hors du quo­ti­di­en.

Dans sa forme, le cabaret se con­stru­it sur une suc­ces­sion de « numéros », en référence au numéro que rece­vait le con­som­ma­teur entrant dans un est­a­minet où l’on pou­vait chanter, pour savoir quand viendrait son tour. Sou­vent décousu, le show ne tient pas par la recherche nar­ra­tive, mais par une ambiance et une énergie, qui se parta­gent entre scène et salle, lesquelles sont portées et main­tenues par les artistes et le pub­lic, dans une porosité des rôles : si le pub­lic est en recherche d’émerveillement, les artistes sig­ni­fient leur attente de sou­tien, de clameur et d’applaudissement, démythi­fi­ant et mag­nifi­ant dans un même geste sa place priv­ilégiée sur scène. Ici, on peut se tromper, repren­dre, impro­vis­er, inviter les spec­ta­teurs à par­ticiper. Le qua­trième mur n’existe pas au cabaret, l’hic et nunc sont les bases sur lesquelles le maître de céré­monie con­stru­it son show, avec les artistes disponibles (au sein de familles artis­tiques plus ou moins sta­bles), le pub­lic présent, l’actualité par­fois, les imprévus. L’impertinence et la lib­erté d’expression tien­nent lieu de mantras, au moins depuis qu’une tragé­di­enne de la Comédie-Française, Mlle Comélie, décide en 1867 d’y déclamer des vers, bra­vant les inter­dits : coup de force qui fait bouger les lignes, forçant le gou­verne­ment à accorder aux cafés-con­certs « le droit de s’offrir des cos­tumes, de jouer des pièces et de se pay­er des inter­mèdes de danse et d’acrobatie ».

À par­tir de la fin du xixe siè­cle et prenant pour beau­coup exem­ple sur Le Chat noir, les cabarets se mul­ti­plient à Paris et surtout dans ses faubourgs, cha­cun cher­chant sa sin­gu­lar­ité, qui pou­vait pass­er par l’outrance – macabre, pornographique, satirique – ou la spé­cial­i­sa­tion – Grand-Guig­nol, « théâtricules », iden­tité régionale, théâtre d’ombres, etc.

En France, la tra­ver­sée du xxe siè­cle a don­né au cabaret les fris­sons des mon­tagnes russ­es, au gré de l’Histoire, de l’évolution de la société, de la créa­tion artis­tique : moins présents dans leur forme con­tes­tataire suite aux cen­sures de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, ils lais­sent place au ciné­ma et à la revue « plumes et pail­lettes » qui s’américanise volon­tiers, avec notam­ment Joséphine Bak­er et la Revue nègre (1925) et le terme de « music-hall ». Les années 1950 ver­ront un retour des lieux con­fi­den­tiels (les caves du Quarti­er latin) fréquen­tés par une jeunesse qui s’y retrou­ve pour danser et chanter, jusqu’à ce que la pres­sion immo­bil­ière la pousse vers les grandes salles de con­cert, tech­nique­ment très équipées, mais où le charme de la ren­con­tre entre scène et salle n’opère plus. Il fau­dra atten­dre le retour de ce désir du pub­lic, au début des années 2010, pour que soient remis en lumière des cabarets sur­vivants (Michou, Madame Arthur, Lapin Agile, par­mi les plus con­nus) et que de nou­veaux émer­gent, qui scin­til­lent aujourd’hui au cœur des nuits parisi­ennes et d’ailleurs. Les suites des con­fine­ments de 2020 et 2021 accentuent ce besoin d’être ensem­ble, jusqu’à se laiss­er embar­quer dans une folle « che­nille » – qui clôt sou­vent la soirée du Secret.

Cabaret apocalypse, création Jonathan Capdevielle, Le Quai, CDN Angers Pays-de-Loire, 2017. Photo Wilfried Thierry.
Cabaret apoc­a­lypse, création Jonathan Capde­vielle, Le Quai, CDN Angers Pays-de-Loire, 2017. Pho­to Wil­fried Thier­ry.

Depuis tou­jours, on y joue, on y chante, on y danse, y per­forme, s’y émancipe ou s’y affran­chit des car­cans d’une créa­tion par­fois trop nor­mée, et aujourd’hui encore, on y par­le, mon­tre, démonte par­fois les sujets les plus forts du moment : la ques­tion du genre se pose en évi­dence d’un micro­cosme des plus safe, où « mes­dames, messieurs et non-binaires » (selon les mots d’accueil au cabaret de Pous­sière) sont bien­venus ; la préoc­cu­pa­tion écologique s’invite timide­ment, mais dans une accep­tion large et com­plète depuis le « cabaret éco­lo-queer » de Pat­ach­touille jusqu’à la créa­tion de boas végans par Lily Ver­da, en pas­sant par une écolo­gie du tra­vail, sou­vent mod­elée par une économie frag­ile (on y ren­con­tre une admin­is­tra­trice-per­ma­c­ul­trice, de nom­breux exilés de la cap­i­tale qui ani­ment les cam­pagnes, une grande sol­i­dar­ité entre artistes). On y croise aus­si, au gré des artistes invités et des sujets brûlants, les ques­tions du colo­nial­isme, des vio­lences poli­cières, de la place des femmes, la guerre en Ukraine, la cri­tique du « chobizenesse », etc., ad libi­tum

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Pascale Laborie
Pascale Laborie est inspectrice de la création artistique – collège danse – au ministère de...Plus d'info
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