On endosse un costume, pour l’enlever !

Entretien
Parole d’artiste
Cabaret

On endosse un costume, pour l’enlever !

Entretien avec Billy Von Burton

Le 21 Nov 2023
Billy Von Burton, 2023. Photo Elsa Cavailles.
Billy Von Burton, 2023. Photo Elsa Cavailles.
Billy Von Burton, 2023. Photo Elsa Cavailles.
Billy Von Burton, 2023. Photo Elsa Cavailles.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Tu as com­mencé l’effeuillage bur­lesque depuis près de deux ans et tu es la plus jeune à le pra­ti­quer pro­fes­sion­nelle­ment à Paris. D’où vient ton nom de scène ?

Bil­ly fait référence au film Bil­ly Elliot et Bur­ton au cinéaste Tim Bur­ton. Ayant appris que son fils s’appelait Bil­ly Bur­ton, j’ai ajouté Von en hom­mage à Dita von Teese, reine absolue du bur­lesque. J’ai choisi un nom de scène car mon prénom, Lola, est couram­ment util­isé par les show girls, et pour mar­quer une légère dis­tance avec mon per­son­nage, même s’il est très lié à ma per­son­nal­ité, juste un peu plus pom­pette et trash. Je vis dans l’univers star­lette des comédies améri­caines des années 1940 et 1950 : c’est une pas­sion, un art de vivre. Ce qui est drôle, c’est qu’au pre­mier abord les gens pensent que je suis coincée à cause de mon style ves­ti­men­taire années 1940, absol­u­ment pas dénudé. Je ne porte jamais une jupe au-dessus du genou ! Mais les effeuilleuses de l’époque s’habillaient ain­si. Je ne com­prends pas qu’en France, dans le pays de la mode, le con­fort ait rem­placé l’élégance. Le beau a dis­paru, tout a été lis­sé, sim­pli­fié, terni ; les choses n’ont plus de couleurs, plus de saveur.

Com­ment es-tu venue à l’effeuillage ?

Un peu par hasard. J’ai com­mencé la danse il y a dix-sept ans, à l’âge de 5 ans. Que ce soit en con­tem­po­rain, en jazz, mod­ern jazz ou clas­sique, quelque chose me man­quait. J’ai pour­suivi en me for­mant pro­fes­sion­nelle­ment en con­tem­po­rain. Mon niveau tech­nique con­ve­nait, on me reprochait cepen­dant ma per­son­nal­ité expan­sive, trop expres­sive. Il faut dire qu’après ces cours assez sco­laires je m’épanouissais le soir dans les cla­que­ttes. À mon arrivée à Paris, en cher­chant du tra­vail dans les cla­que­ttes, je suis tombée sur les cours d’effeuillage de Mlle Loi­son – que j’avais décou­verte vers 13 ans en regar­dant des vidéos de pin-up et mode vin­tage. L’effeuillage a été une révéla­tion, j’ai immé­di­ate­ment su que je voulais faire ça toute ma vie. Très vite, Mlle Loi­son m’a pro­posé d’intervenir dans son cabaret, au théâtre Mont­martre-Gal­abru. Le sol était du lino, on n’entendait pas mes cla­que­ttes au-delà du pre­mier rang ! Mais cela m’a per­mis de plonger dans ce milieu. J’ai réal­isé ma pre­mière date au culot : je devais danser dans un drag show et une semaine avant j’ai dit avoir cassé la lanière de ma chaus­sure de cla­que­tte, ce qui m’a valu de mon­ter mon pre­mier numéro d’effeuillage dans l’urgence ! Ma deux­ième date a été au Can­can Pigalle, grâce à l’incroyable Mamzelle Viviane.

Je me suis recon­nue dans son côté show girl élec­trique, qui passe du can­can aux cla­que­ttes et à l’effeuillage. Cela me ras­sura, je ne fai­sais pas fausse route.

On dit qu’il y a un style d’effeuillage par effeuilleuse. Com­ment défini­rais-tu le tien ?

Mes numéros sont mod­ernes d’un point de vue scé­nar­is­tique, avec l’humour et la dimen­sion théâ­trale pro­pre au new bur­lesque, tout en con­ser­vant les bases clas­siques dans la manière de s’effeuiller. De même pour les cos­tumes, type porte-jar­retelles taille haute. J’oscille entre les années 1920 pour le Charleston, 1930 – 1940 pour les big bands et 1950 pour le rock’n roll.
La danse est très présente, le choix des musiques pri­mor­dial – mon père bat­teur m’a très jeune ini­tiée au rythme. J’aime le côté Broad­way qui manque pour moi en France. J’ai eu une over­dose d’élitisme dans le con­tem­po­rain et ne com­pre­nais pas pourquoi le spec­ta­cle devait surenchérir la dureté du monde. Pourquoi ne pas partager de la joie et du rire ? L’entertainment est d’une immense générosité à l’égard du pub­lic. Je voudrais aller à New York et à Las Vegas décou­vrir ce qui s’y fait. Les Améri­caines sont incroy­ables, même si par­fois too much. Là-bas, j’insisterai sur l’élégance à la française !

As-tu des acces­soires fétich­es ?

J’adore le strass et les pail­lettes, mais sans trop d’accessoires. Un boa ou des plumes suff­isent. Les éven­tails en plumes d’autruche sont mag­nifiques, même sans se désha­biller. Très choré­graphique. L’effeuillage, c’est l’art du teas­ing, de la sug­ges­tion. D’ailleurs, les numéros finis­sent lorsqu’on enlève notre sou­tien-gorge.

Qu’est-ce qui te sem­ble le plus sin­guli­er dans le milieu du bur­lesque ?

C’est un petit milieu, nous nous con­nais­sons toutes et tous, sans esprit con­cur­ren­tiel et au con­traire beau­coup d’entraide. J’aime aus­si le fait de tout maîtris­er puisque nous créons nous-mêmes nos numéros, cos­tumes com­pris. Au-delà de la ques­tion budgé­taire, porter un cos­tume qu’on a pen­sé et réal­isé soi-même est génial. Tout cela par­ticipe à ce que l’on se livre totale­ment en scène, bien plus qu’au théâtre : on endosse un cos­tume, pour l’enlever !

Peux-tu nous par­ler du duo des QueuesD’Pies que tu formes avec Pop­py Peachy ?

Nous sommes sœurs siamoi­ses col­lées par la hanche, ce qui donne l’image d’une queue-de-pie. Nous avons des numéros où l’on s’effeuille l’une l’autre. Nous le don­nons régulière­ment au sous-sol du Vel­vet Moon à Mon­treuil où nous avons une carte blanche men­su­elle. Nous pré­parons une ver­sion longue avec un comé­di­en, Lucien Car­nage, qui nous a achetées dans un cirque, nous sépare car deux filles rap­por­tent plus qu’une ! Et l’on enchaîne avec ce con­teur-maître de céré­monie en mêlant notre his­toire à celle du cabaret à Paris, les débuts avec les gangs, le Moulin-Rouge, etc.

Qu’est-ce que le bur­lesque représente selon toi, aujourd’hui ?

La lib­erté. Les Années folles, avec le Charleston où on a levé les jambes, comme le can­can en son temps… C’est aus­si le renou­veau et l’élan fou d’invention aux États-Unis pen­dant la pro­hi­bi­tion. Le cache-tétons est apparu là, pour con­tr­er l’interdiction de mon­tr­er ses seins.
Les effeuilleuses se sont col­lé des bouts de scotch et ça a fonc­tion­né. Que l’on reste encore très cen­suré quand on mon­tre un téton sur Insta­gram me sem­ble incroy­able, beau­coup voient leur con­tenu sup­primé. Les nip­pies font désor­mais par­tie de la tra­di­tion, je ne m’imagine pas ne pas en porter. Il y a des décli­naisons mar­rantes. Les pom­pons, c’est l’apothéose ! Dans mon duo avec Pop­py Peachy, nous avons un numéro où l’on se bat comme dans un match de boxe, à qui fera le mieux tourn­er ses pom­pons.
J’ajouterais que l’effeuillage s’est dès le départ affir­mé fémin­iste puisque c’étaient des femmes qui se réu­nis­saient entre elles. Et le pub­lic reste majori­taire­ment féminin. Arriv­er sur scène et se désha­biller a évidem­ment sa part de provo­ca­tion, mais alors que la pub­lic­ité fonc­tionne depuis des décen­nies sur des femmes nues, il y a aujourd’hui une dimen­sion mil­i­tante dans l’effeuillage où l’on séduit sans se dévêtir entière­ment, en maîtrisant ce que l’on mon­tre ou pas, à quel moment, en com­bi­en de temps.

Entretien
Parole d’artiste
Cabaret
Billy Von Burton
15
Partager
Chantal Hurault
Docteure en études théâtrales, Chantal Hurault a publié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements