Satisfait ou remboursé

Parole d’artiste
Cabaret

Satisfait ou remboursé

À propos du cabaret et de Bas Nylon

Le 6 Nov 2023
Angèle Micaux au Manko Cabaret, 2017. Photo Maxwell Aurélien James.
Angèle Micaux au Manko Cabaret, 2017. Photo Maxwell Aurélien James.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Ce qui me plaît dans le fonc­tion­nement d’un cabaret, c’est sa nature exces­sive et impa­tiente.
Vite créer, vite plaire, vite recom­mencer.
Cette urgence, qui la dis­tingue du théâtre ou de la danse, con­di­tionne aus­si son déroule­ment. Quand le pub­lic assiste à une représen­ta­tion, il exige une sat­is­fac­tion immi­nente.
Aus­sitôt ras­sas­ié, il ren­ver­ra la pareille en applaud­is­sant devant une paire de fess­es.
Rire devant une peau de banane, ou encore crier sur un mon­stre qui sur­git du fond de scène.
Ce guig­nol pour adultes éméchés n’est pas sans risque : mon­ter sur scène, c’est aus­si accepter d’être inter­rompu, hué, voire pire, ignoré.
Le pub­lic d’un cabaret pos­sède la lib­erté de ne pas regarder ce qui se passe. Le chahut est per­ma­nent, et c’est très bien comme ça.
Seule­ment cette jus­tice cinglante pousse inévitable­ment les artistes à con­cevoir des numéros sans temps mort.
Rares sont les artistes qui osent jouer du bide et du silence au cabaret. Mieux vaut envoy­er du lourd très vite, le temps mort est un enne­mi juré.
N’ayant pas reçu d’apprentissage ency­clopédique de cette dis­ci­pline (que je con­sid­ère par essence bâtarde), j’ai longtemps envis­agé mes numé- ros comme un design­er pré­parant sa col­lec­tion.
Tout d’abord il faut un élan, un souf­fle vital : la plu­part du temps une chan­son ou un extrait de film.Un détail qui nous hante depuis des années et qui dit « c’est le moment ».
Ensuite, j’adore créer un mood­board d’une trentaine d’images autour de l’idée orig­i­nale : une con­stel­la­tion de fichiers sans aucun lien appar­ent, sauf pour le créa­teur pour qui l’évidence saute aux yeux.
Arrive le moment de con­cré­tis­er cette réflex­ion en numéro, à grands coups de sys­tème D et de répéti­tions soli­taires.
Il fau­dra atten­dre plusieurs rodages, plusieurs vari­a­tions pour retrou­ver au plateau cet élan ini­tial qui nous avait tant émus.
La con­cep­tion d’un événe­ment de cabaret ajoute une dif­fi­culté sup­plé­men­taire : con­sul­ter chaque artiste (pro­posant indi­vidu­elle­ment autant d’interventions que d’univers) afin de trou­ver le fil con­duc­teur de la soirée.

A pri­ori, rien ne sem­ble lier une momie fan de Grand Mas­ter Flash avec une strip-teaseuse com­mu­niste en mail­lot de bain.
Et pour­tant, c’est à mes yeux ce chaînon qui fait toute la dif­férence entre pos­séder une mai­son et l’habiter.
Si notre étab­lisse­ment n’est pas une tri­bune directe de con­tes­ta­tion poli­tique, nous avons au moins le mérite de con­stru­ire une réal­ité par­al­lèle dans laque­lle nous sommes déter­minés à vivre.
À l’instar d’un château han­té ou d’un Pep­per­land des Bea­t­les, der­rière chaque porte se trou­ve une saynète hal­lu­ci­nante, con­duisant irrémé­di­a­ble­ment à une joyeuse course-pour­suite dans un vacarme de portes qui claque­nt.
Les mon­stres sont des indi­vidus bêtes et méchants, et c’est pour cela qu’ils doivent diriger le monde.Chez Bas Nylon, la beauté réside dans le bizarre, et les courts-cir­cuits sont néces­saires. Avec le pili­er de la mai­son Angèle Micaux, nous sommes forte­ment implan­tés dans le milieu de la mode et du luxe.
Néan­moins, il n’est pas rare d’échanger nos escarpins Roger Vivi­er con­tre des tongs en forme de piz­za.
Notre force réside dans ce sens du détail : il ne suf­fit pas d’être fan de Cul­ture Z et de gial­lo où coulent des riv­ières de sang orange.
Encore faut-il en faire bon usage, et trou­ver la piste créa­tive qui fera explos­er de joie la scène comme la salle.
Si j’aime à ce point mon rôle de directeur artis­tique dans cette mai­son de fous, c’est parce que je ne con­nais pas meilleure joie que de créer ces liens.
Une nuit chez nous est une sai­son entière de Scoobi-Doo chez lvmh.
Quand je réu­nis avec bien­veil­lance mon équipe pour leur annon­cer les règles du prochain jeu, j’ajoute imman­quable­ment « et nous sommes déjà en retard ».
À peine le temps de net­toy­er la trace de vomi sur ma robe du soir,
Et de sor­tir mon talon de la voiturette de golf,
En avant toute pour la con­ner­ie, c’est ma tournée de pop-corn !

Jean-Biche
Patronne des Bas Nylon

Lalla Morte chez Bas Nylon, 2023. Photo Narcisse Agency.
Angèle Micaux au Manko Cabaret, 2017. Pho­to Maxwell Aurélien James.
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