La Minoterie, un théâtre pour toutes les générations

Compte rendu

La Minoterie, un théâtre pour toutes les générations

Portrait de sa directrice, la metteuse en scène Séverine Coulon

Le 25 Mai 2025
La Minoterie@ La Minoterie
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Article publié pour le numéro

Séver­ine Coulon est une artiste pro­fondé­ment engagée dans le théâtre jeune pub­lic. Direc­trice de la com­pag­nie des Bas-bleus et met­teuse en scène, elle a été nom­mée direc­trice de la Mino­terie, scène con­ven­tion­née d’intérêt nation­al arts, enfance et jeunesse, en 2023. S’engageant pour un théâtre cogénéra­tionnel (qui engage toutes les généra­tions), elle promeut non seule­ment la créa­tion des artistes et des jeunes com­pag­nies qu’elle per­met l’accessibilité de son théâtre et de ses créa­tions par exten­sion, à toutes et à tous.

Une enfance à la cam­pagne et la décou­verte du théâtre

Je viens de la vraie cam­pagne ! Née en Vendée, dans un petit vil­lage d’une cen­taine d’habitants, je suis fille, petite-fille et arrière-petite-fille d’agriculteurs. Le théâtre est entré dans ma vie lors d’une sor­tie sco­laire à la Scène nationale Roche-sur-Yon. J’ai vécu cette expéri­ence comme une révéla­tion. Si l’envie de faire du théâtre m’est venue très tôt, c’est aus­si grâce au col­lec­tif : enfant, avec mes nom­breux cousins, nous organ­i­sions tou­jours des petits spec­ta­cles.

Mal­gré mon amour du théâtre, je me suis dirigée vers des études supérieures : une pré­pa maths sup et une licence en sci­ences de la Terre à l’université de Nantes. Licence en poche, je m’inscris, à Paris, au Théâtre-École du Pas­sage, dirigé par Niels Are­strup.  Suite à cela, j’intègre la com­pag­nie de mar­i­on­nettes Tro-Heol, dans le Fin­istère, en tant que comé­di­enne. Après quelques années, je rejoins l’équipe du Bouf­fou Théâtre à la Coque, dans le Mor­bi­han. Là, en par­al­lèle de mes nom­breuses tournées avec La Mer en pointil­lés (mise en scène de Serge Bouli­er et Molière du spec­ta­cle jeune pub­lic en 2007), je m’occupe prin­ci­pale­ment des artistes et de leurs pro­jets ; et ce tra­vail d’accompagnement, de regard extérieur, d’assistanat à la mise en scène, me pré­pare déjà à la direc­tion d’une insti­tu­tion théâ­trale. 

La Mer en pointil­lés évoque le sujet très engagé des sans-papiers auprès du jeune pub­lic dès l’âge de 3 ans. Il sera représen­té un mil­li­er de fois. Je ren­con­tre alors un vaste réseau pro­fes­sion­nel et j’y fais mes pre­mières armes.  

Et puis un jour, l’envie de racon­ter…

J’ai la quar­an­taine quand je crée Fille et soie en 2016.  Il s’agit d’un spec­ta­cle aut­ofic­tion­nel et le sujet de la pièce, à savoir la pres­sion sociale subie par les femmes – ses dik­tats sur l’apparence, ses exi­gences pro­fes­sion­nelles –, me tenait à cœur. Je n’échappe pas à toutes ces injonc­tions sur la beauté et l’accomplissement des femmes – une sil­hou­ette mince en tant que femme et comé­di­enne, une écoute idéale au ser­vice des autres, un goût ves­ti­men­taire par­fait, la réus­site pro­fes­sion­nelle, sans par­ler de la séduc­tion que l’on doit exercer puisqu’il faut indis­cutable­ment « plaire » pour réus­sir. Mais quelle énergie cela nous demande, à nous les femmes, d’assumer tout cela ! 

J’ai longue­ment atten­du avant de mon­ter ce pro­jet per­son­nel. Ce manque de con­fi­ance en soi, cette dif­fi­culté d’être soi tout sim­ple­ment, est un prob­lème socio-édu­catif essen­tielle­ment féminin. Certes, les choses changent, mais nous n’encourageons pas assez les petites filles, con­traire­ment aux garçons. Comme beau­coup de femmes de ma généra­tion, j’ai dû faire mes preuves, vis-à-vis de moi-même et des autres, avant de me sen­tir légitime de racon­ter mon his­toire.  Alors le mes­sage de Filles & soie s’adresse aux filles et garçons qui les accom­pa­g­nent : qu’ils s’acceptent tels qu’ils sont, et fon­cent sans l’ombre d’un doute. 

Filles & Soie pour toutes & tous @ Fabio Falzone
Filles & Soie pour toutes & tous @ Fabio Fal­zone

Filles & soie et Filles & soie pour tous & pour toutes

En 2016, je crée Filles & soie1 avec ma com­pag­nie Les Bas bleus. En 2024, il devient Filles & soie pour tous & pour toutes2, avec une adap­ta­tion en acces­si­bil­ité uni­verselle ou accueil incon­di­tion­nel. 

Il s’agit d’un seul-en-scène adap­té de l’album Les Trois Con­tes3 de Louise Dune­ton. Dans sa réécri­t­ure de Blanche-Neige, de la Petite Sirène et de Peau d’Âne, l’autrice oppose à chaque fois le point de vue diver­gent de deux per­son­nages.  Ain­si, du duo Blanche-Neige/ la Belle-mère, avec une marâtre jalou­sant la beauté de sa belle-fille, et qui est com­plète­ment addicte à son miroir. Or la dernière phrase du con­te évoque égale­ment l’addiction de Blanche-Neige à son miroir ! Pour l’auteure, cette dépen­dance au miroir serait trans­généra­tionnelle, comme si toutes les deux étaient con­fron­tées au même prob­lème socié­tal que sont le jeu­nisme et la non-accep­ta­tion de vieil­lir.  

À par­tir de cette réadap­ta­tion des Trois Con­tes, j’ai imag­iné le per­son­nage d’Anne, une fille en quête d’identité et mal dans sa peau (d’âne).  Elle essaye d’être quelqu’un d’autre, pourquoi pas la princesse Blanche-Neige ? se dit-elle, elle a la peau si par­faite, sans bou­tons… Mais les choses ne se passent pas comme prévu, elle a du mal à vieil­lir cette Blanche-Neige, alors Anne se cherche un autre per­son­nage. La Petite Sirène ? s’interroge-t-elle. Je pour­rais ain­si trou­ver l’homme de ma vie, mon prince !  Je crée ce sec­ond con­te comme un théâtre d’objets, avec ce que j’appelle les fal­balas de la femme :  la Petite Sirène est une chaus­sure à talon rouge, se met du rouge à lèvres, s’épile les écailles avec un vrai épi­la­teur. Quant au prince, il est représen­té par une bas­ket en toile bleue… La Petite Sirène souf­fre beau­coup pour plaire au prince, mais, hélas, il épouse une princesse dotée d’une belle queue de pois­son, et elle se sera sac­ri­fiée en vain. En dernier lieu, Anne étouffe dans son car­can (la scéno­gra­phie se présente comme un très grand cube blanc, à l’intérieur duquel se trou­ve le per­son­nage).  Elle casse alors sa belle boîte à poupée, ce « qua­trième mur » en quelque sorte, et s’évade de son enfer­me­ment psy­chique et social. 

Filles e& soie, puis Filles & soie pour toutes & tous, con­nais­sent un franc suc­cès, tant du côté du pub­lic que des pro­gram­ma­tri­ces et pro­gram­ma­teurs. Ce spec­ta­cle tourne depuis sept saisons à présent, avec plus de 450 représen­ta­tions. Un sec­ond décor a même été créé pour les tournées à l’étranger et j’ai passé la main à d’autre comé­di­ennes (dont des comé­di­ennes s’exprimant en langue des signes française) pour assur­er les représen­ta­tions.  

Filles & Soie pour toutes & tous @ Fabio Falzone
Filles & Soie pour toutes & tous @ Fabio Fal­zone

Un théâtre cogénéra­tionnel et d’évocation

Dans mon théâtre, je fais ce que j’appelle du théâtre cogénéra­tionnel, dans lequel la notion du col­lec­tif est essen­tielle.  En effet, les enfants-spec­ta­teurs ne sont jamais seuls, ils vien­nent avec leurs enseignants et cama­rades de classe, leurs par­ents et la fratrie, leurs grands-par­ents ou en famille élargie, leurs amis ou d’autres par­ents, donc d’autres familles, etc. À l’opposé du théâtre dit « adulte », au pub­lic plus homogène en ter­mes d’âge et de classe sociale, le théâtre cogénéra­tionel com­prend un pub­lic de tous milieux, âges et gen­res con­fon­dus. D’ailleurs, de nom­breux adultes vien­nent sans enfant, voire seuls, car il s’agit d’un théâtre décom­plexé où ils parvi­en­nent à vain­cre leur timid­ité cul­turelle.

Nous, les créa­teurs et créa­tri­ces du spec­ta­cle vivant jeune pub­lic, réfléchissons à dif­férents niveaux de lec­ture pour notre pub­lic cogénéra­tionnel. Mon lan­gage théâ­tral favorise l’évo­ca­tion.  En effet, le texte théâ­tral ne me suf­fit pas, et je con­sid­ère les écri­t­ures du visuel – la danse, le corps et les mar­i­on­nettes, le dessin et les objets – comme capa­bles de touch­er les enfants comme les adultes. Au début de La Vie ani­mée de Nina W.4 , un spec­ta­cle d’images et de mar­i­on­nettes, des ram­ettes de papi­er blanc sont dis­posées comme des domi­nos sur le plateau. En silence, une grosse boule rouge cogne le pre­mier domi­no, dont la chute entraîne celle de tous les autres. Avec un éclairage spé­ci­fique, il nous sem­ble alors voir une ville entière s’écrouler. Pour les enfants, l’effet visuel est impres­sion­nant. Pour les adultes, il s’agit de destruc­tion et de guerre – cette image scénique est une référence directe à l’enfance de Nina W. et aux bom­barde­ments de Varso­vie. La Vie ani­mée de Nina W. est créée en 2019, elle est libre­ment inspirée de la vie d’Anna Wol­mark telle que rap­portée dans son auto­bi­ogra­phie, Anna ou la Mémoire de l’eau. Je l’avais ren­con­trée à l’issue d’un de mes spec­ta­cles en Nor­mandie, elle voulait me par­ler. La ren­con­tre a été si forte que je me suis inspirée de sa vie extra­or­di­naire pour créer mon spec­ta­cle. Autrice, scé­nar­iste et dia­logu­iste, Anna Wol­mark signe, avec Jean Chalopin, le scé­nario et les dia­logues de la série ani­mée Ulysse 31, puis crée, seule, Les Mon­des engloutis, qu’elle copro­duit avec Gilbert Wol­mark. 

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Leyli Daryoush
Leyli Daryoush
Leyli Daryoush est musicologue de formation et docteure en études théâtrales. Dramaturge, chercheuse, spécialiste de l’opéra,...Plus d'info
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