Est-ce qu’une ou un artiste de spectacle vivant pense à son public en cours de création ? Selon le « spectator in spectaculo » de Patrice Pavis1 (d’après une adaptation de la théorie du « lector in fabula » d’Umberto Eco2), toute œuvre contient en elle son « lecteur (ou spectateur) modèle », autrement dit une personne cible qui pourrait l’apprécier, en raison d’une « encyclopédie » adaptée à sa réception (à savoir une connaissance des codes qui régissent l’œuvre et des valeurs nécessaires à son interprétation).
En comparaison avec la création théâtrale pour adultes, la création jeune public a la particularité de s’adresser en majorité3 à des spectateur·rices qui possèdent une « encyclopédie » très différente de celle de ses créateur·rices. Les jeunes spectateur·rices sont des individus en cours de développement cognitif et physique, à des stades très variés – depuis les bébés jusqu’aux adolescent·es. Le travail de l’« adresse » au jeune public désigne le processus par lequel une équipe de création veille à ce que le spectacle « parvienne » à de tel·les jeunes spectateur·rices, en prenant en compte cette différence.
Par-delà l’âge, ce jeune public a des particularités qui nécessitent un travail d’« adresse », visant à travailler la réception. Tout d’abord, il s’agit d’un public qu’on qualifie de « captif4 », car il vient au théâtre non de sa propre initiative, mais avec l’école, sa famille ou des proches. Il s’agit d’un public souvent novice, qui n’a pas l’habitude d’aller au théâtre et qui n’en connaît pas nécessairement les codes. Il peut également en avoir une vision un peu datée, véhiculée dans les cours d’histoire ou les encyclopédies pour enfants (théâtres à l’italienne avec des rideaux rouges, des décors sur toiles peintes et des comédien·nes qui déclament des pièces de Molière), en inadéquation avec l’expérience qu’il va vivre.
Le travail de l’accessibilité du spectacle est particulièrement important en théâtre jeune public, parce que ce dernier est un domaine de la création très marqué par la démocratisation culturelle5, c’est-à-dire le projet de s’adresser à toutes et tous, peu importent l’origine sociale ou les habitudes culturelles. Tant en Belgique qu’en France6, c’est au nom de cette politique culturelle qu’a été mise en place la possibilité pour les élèves d’aller au théâtre pendant le temps scolaire (en FWB7, il s’agit du programme « Théâtre à l’École8 »).
Pour s’adresser à ce jeune public, les artistes des arts vivants jeune public ont développé plusieurs stratégies au fil du temps. Suite à mon expérience personnelle dans le milieu en Belgique francophone, et sur la base d’une cinquantaine d’entretiens d’artistes réalisés dans le cadre de ma recherche doctorale9, je vous présente ici quelques-unes de ces pratiques10.
Une démarche visant la rencontre