Le nourrisson ou le cœur battant du théâtre. L’exemple de Baby Macbeth

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Le nourrisson ou le cœur battant du théâtre. L’exemple de Baby Macbeth

Le 13 Mai 2025
Baby Macbeth, de et par Agnès Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Baby Macbeth, de et par Agnès Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Baby Macbeth, de et par Agnès Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Baby Macbeth, de et par Agnès Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Article publié pour le numéro

Baby Mac­beth est un spec­ta­cle d’objets en vieil anglais de la com­pag­nie brux­el­loise Gare cen­trale, créé en 2017. Il est des­tiné à des spec­ta­teurs de tous âges, à par­tir de douze mois. Ce spec­ta­cle, inter­prété et mis en scène par Agnès Lim­bos, a été conçu pour une jauge d’une cinquan­taine de spec­ta­teurs, dont une ving­taine de bébés. Il est d’une durée de vingt-cinq min­utes : un for­mat tout à fait habituel pour des créa­tions acces­si­bles aux tout-petits, car la con­cen­tra­tion se perd au-delà de cette durée1. Le dis­posi­tif a été conçu  par la scéno­graphe Sophie Car­li­er et il est inspiré par le théâtre lon­donien du Globe. Il a égale­ment la par­tic­u­lar­ité d’être placé à hau­teur d’enfant. En effet, nous nous trou­vons ici dans un petit théâtre élis­abéthain, avec la présence de bébés sur des chais­es hautes, d’enfants assis sur des coussins, et des adultes dis­posés sur des bancs, jamais éloignés des bébés ou des enfants – de façon à ce que les plus jeunes puis­sent partager, avec leurs proches, leurs joies ou leurs craintes face à telle ou telle appari­tion, et cela per­met de ras­sur­er les par­ents égale­ment.

Baby Macbeth, de et par Agnès  Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Baby Mac­beth, de et par Agnès Lim­bos, Fes­ti­val Mon­di­al des Théâtres de Mar­i­on­nettes, 2017, crédit Marie Piemme

Cette créa­tion, ouverte à une plu­ral­ité de sens, et jouant  de (et avec) la prox­im­ité des spec­ta­teurs, est la pre­mière créa­tion où Agnès Lim­bos inclut une adresse au très jeune pub­lic. Pour ce faire, elle place la barre très haut et con­vie les spec­ta­teurs à un con­den­sé de l’œuvre shake­speari­enne. Au sujet de celle-ci, rap­pelons que c’est un mon­u­ment du théâtre, et qu’elle est abor­dée ici comme une métaphore du théâtre, bien qu’elle soit évidem­ment incon­nue des plus jeunes et ne fasse, pour eux, l’objet d’aucune attente par­ti­c­ulière. Pour bien des artistes, faut-il le pré­cis­er, cette absence d’attente à pro­pos d’une œuvre du réper­toire est sou­vent ce qui les séduit avec le jeune pub­lic. 

Ici, l’univers shake­spearien ren­con­tre l’univers des tout-petits. Cette ren­con­tre est fon­da­men­tale. Quant au choix, curieux, de l’ancien anglais, il est aus­si auda­cieux qu’astucieux : il per­met d’établir une juste dis­tance entre Agnès Lim­bos et les petits spec­ta­teurs – défi majeur, comme le savent bien tous les artistes ayant œuvré auprès des très jeunes publics. L’équilibre, pour le for­muler som­maire­ment, est à tenir. Peu y arrivent tant la gageure est dif­fi­cile et périlleuse – par ailleurs, l’exercice est plutôt récent2. La scène est une table de manip­u­la­tion autour de laque­lle est assis le pub­lic, en arc de cer­cle. Dans cette table sont incor­porés cinq sièges où sont invités de très jeunes enfants préal­able­ment accueil­lis par l’artiste et cos­tumés. Ces enfants sont les témoins priv­ilégiés du spec­ta­cle (et leur place ne man­quera pas de trou­bler les fam­i­liers de l’œuvre de Shake­speare, qui savent à quel point son théâtre, et Mac­beth en par­ti­c­uli­er, est han­té par la ques­tion de l’infanticide). Face à eux et au reste du pub­lic, la mar­i­on­net­tiste va jouer une série de drames minia­tures, tan­tôt som­bres, tan­tôt bouf­fons, à l’aide d’objets fam­i­liers et de fig­ures ani­mées. Ces objets, une cen­taine, sont pour la plu­part des objets de récupéra­tion. Par­mi eux, un livre imposant, présen­té orale­ment par ce mot : « Shake­speare ! ». Les fig­ures sont des bâtons rudi­men­taires recou­verts de tis­sus de velours for­mant d’amples robes et coif­fés de petits cha­peaux inspirés de la pein­ture de la Renais­sance. Les gestes sont égale­ment rudi­men­taires (tel le lancer, du bout des doigts, d’un petit arbre sur la table, lequel, en en rejoignant d’autres, com­posera une forêt). Le détourne­ment peut aus­si appa­raître subite­ment, mais ici encore en épou­sant un geste sim­ple, comme lorsqu’une guir­lande lumineuse se trans­forme en bijou une fois placée autour du cou de l’interprète. Deux traits sail­lants car­ac­térisent ce spec­ta­cle mar­i­on­net­tique : d’une part, il y a davan­tage d’expositions d’objets que de déplace­ments d’objets ; d’autre part, prime la sim­plic­ité (que l’on ne con­fon­dra pas avec le sim­plisme).

Baby Macbeth, de et par Agnès  Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Baby Mac­beth, de et par Agnès Lim­bos, Fes­ti­val Mon­di­al des Théâtres de Mar­i­on­nettes, 2017, crédit Marie Piemme

Out­re les morceaux choi­sis de l’œuvre de Shake­speare (Mac­beth, Roméo et Juli­ette, Le Songe d’une nuit d’été, Le Roi Lear, Ham­let), le spec­ta­cle provoque égale­ment une ren­con­tre avec le réper­toire musi­cal : chaque courte scène s’accompagne d’une musique orig­i­nale jouée au piano (avec la présence du musi­cien sur un côté de la table) inspirée d’œuvres divers­es, comme  Roméo et Juli­ette de Prokofiev.

De bout en bout, la dra­maturgie est en prise avec un réper­toire théâ­tral (fait rare dans la créa­tion pour les très jeunes publics), tant sur le plan visuel que sur les plans vocal et musi­cal. La ligne dra­maturgique, épou­sant le matéri­au shake­spearien, est égale­ment fidèle à une esthé­tique baroque : elle œuvre à ériger un théâtre dans un théâtre, où les tout-petits sont au cen­tre, et dont ils con­stituent le cœur bat­tant. 

Le spec­ta­cle s’adresse à la fois aux enfants et aux adultes réu­nis, tout en ménageant des gestes dont cer­tains trou­veront par­ti­c­ulière­ment un écho chez les enfants (tel s’emparer , comme dans cer­tains jeux de manège d’un objet, ici la couronne d’Écosse accrochée à un fil, au bout d’un bâton ten­du au-dessus de leurs têtes). D’autres gestes con­cer­nent spé­ci­fique­ment les adultes – ain­si la fameuse scène, dite du bal­con, de Roméo et Juli­ette, avec des fig­ures sur­gis­sant de la poitrine de l’interprète. En effet, le « bal­con­net » faisant décou­vrir la poitrine ren­voie au « bal­con » de la scène shake­speari­enne – espace lit­téral, sim­ple de nou­veau, et qui provoque bien des rires  chez les adultes. 

Baby Macbeth, de et par Agnès  Limbos, Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, 2017, crédit Marie Piemme
Baby Mac­beth, de et par Agnès Lim­bos, Fes­ti­val Mon­di­al des Théâtres de Mar­i­on­nettes, 2017, crédit Marie Piemme

Les enfants ne sont pas sans réac­tion :  ils exul­tent, s’étonnent, rient beau­coup. Quant aux adultes, ils réac­tivent des pos­tures d’enfance, le spec­ta­cle provo­quant par ailleurs de stupé­fi­antes redé­cou­vertes de l’œuvre pour celles et ceux qui con­nais­sent un peu Shake­speare. Ain­si, enfants et adultes font de l’expérience spec­ta­to­rielle une expéri­ence à vivre ensem­ble.

  1.  Les créa­tions pour la petite enfance, encore appelées « théâtre très jeune(s) public(s) », ont en com­mun – ce qui les dis­tingue de spec­ta­cles acces­si­bles à des enfants plus âgés – de pro­pos­er des formes cour­tes, pou­vant inclure l’entrée et la sor­tie du spec­ta­cle, out­re que beau­coup tour­nent régulière­ment dans des lieux qui ne sont pas exclu­sive­ment des théâtres.  ↩︎
  2. Pro­pos­er aux plus petits des spec­ta­cles en dehors du seul domi­cile famil­ial est un phénomène à plac­er dans le sil­lage de l’histoire du théâtre jeune pub­lic, qui prend, insti­tu­tion­nelle­ment en tout cas, son envol plus tar­di­ve­ment, avec des expéri­ences menées dans les années 1980 – 1990, pour s’affirmer, dans une visée artis­tique,  au cours des années 2000. ↩︎
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Sandrine Le Pors
Sandrine Le Pors est professeure des universités en Études théâtrales à l'université de Montpellier Paul-Valéry...Plus d'info
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