Avec Norman c’est comme normal, à une lettre près, Clément Thirion, jeune metteur en scène belge, signe sa première production jeune public. La pièce rencontre un énorme succès et continue de tourner depuis sa création. Outre que le sujet fascine, à savoir qu’un garçon veut porter des robes pour aller à l’école, l’union très forte du texte, de la mise en scène/chorégraphie et de la musique en fait un spectacle à la fois saisissant et puissant. Dans cet entretien, Clément Thirion revient spécifiquement sur cette création, de ses origines à ses enjeux esthétiques et sociaux.
Il était une fois Pink Boys and Old Ladies
En 2013, j’ai découvert dans une rubrique de faits divers l’histoire d’un père qui mettait des robes en solidarité avec son fils qui en portait pour aller à l’école. Cela se passait en Allemagne, à Berlin, et tout se déroulait bien. Ils sont ensuite partis dans la province allemande, et, là, les choses sont devenues un peu plus compliquées.
J’ai voulu raconter cette histoire, qui faisait écho à la mienne, et j’ai d’abord écrit un texte que je trouve personnellement d’une très mauvaise qualité ! En quête d’autrice ou auteur, j’ai découvert Marie Henry dans un marathon pour autrices, à l’Atelier 210, à Bruxelles. Elle lisait un de ses textes et son style m’a semblé vraiment parfait : c’était à la fois une langue très bien écrite, avec un ton ironique et mordant, mais aussi très tendre et humain. J’y retrouvais parfois le ton qu’on pouvait avoir à Mouscron (une ville belge près de Lille), car les gens du Nord, sans faire de généralités, ont parfois cet humour rentre-dedans. Du coup, je lui ai demandé d’écrire le texte de l’histoire qui deviendra Pink Boys and Old Ladies.
Mais tout cela a pris du temps !
Le temps de rencontrer Marie Henry et le temps que nous discutions de dramaturgie, de personnages et d’une histoire, un an s’est écoulé. La première livraison du texte a eu lieu courant 2014. J’ai alors réuni une équipe et nous avons commencé à travailler des extraits au plateau, sur base d’improvisations. Il m’a fallu un peu de temps pour arriver à voir l’objet scénique se dessiner et organiser des lectures afin de trouver des producteurs. À l’époque, je n’avais fait que deux créations d’écriture de plateau, sur la base de textes que j’avais écrits moi-même. Ils ne s’inscrivaient pas dans une perspective littéraire, mais scientifique, alors je devais faire mes preuves en tant que metteur en scène ! C’est ce que j’ai compris en tout cas : je devais montrer que je savais diriger du texte dramatique, comme si, avec cela, je passais dans la cour des grands. En 2018, le Théâtre de Liège me commande une production avec un texte d’Alex Lorette, Mouton noir. Le projet Pink Boys and Old Ladies a été retardé du coup. Il aurait pu être monté à ce moment-là, mais j’ai réalisé cet autre projet entre-temps.
De Pink boys and Old Ladies à Norman, une adaptation pour le jeune public.
En 2013, quand j’ai décidé de créer un spectacle inspiré d’un fait divers, je voulais que ce projet soit du théâtre forum, un genre théâtral destiné à des gens qui n’ont pas forcément l’habitude d’aller dans des salles de spectacles. Dans cette première version pour adultes qu’est Pink Boys and Old Ladies (2019), Norman ne parle pas du tout, c’est la famille qui crée le problème autour de la situation. Mais, en créant ce spectacle, je savais déjà que je voulais revenir aux origines du projet, à savoir m’adresser à des gens qui n’allaient pas spécialement au théâtre. Mais, au lieu d’envisager un théâtre forum, j’ai songé à une pièce jeune public et Norman c’est comme normal, à une lettre près a été créé en 2021.
J’ai initialement réalisé une adaptation du texte de Pink Boys and Old Ladies avec des pistes d’écriture que Marie Henry avait abandonnées, notamment la piste des professeurs qui préparent leur spectacle de fin d’année, et le cauchemar de Norman, avec les grilles de l’école qui se transforment en portes de l’enfer. Ces deux moments, par exemple, avaient le potentiel de développer un univers visuel et musical assez fort, et ils pouvaient aussi résonner auprès des enfants. Marie a aimé ce montage et elle a réécrit son propre texte à partir de cette nouvelle structure composée de tableaux, chacun étant associé à un morceau de musique spécifique. En écrivant, elle a totalement inclus mes propositions musicales et je pense que c’est cela qui fait la force de ce spectacle : le texte de Marie, la musique liée au texte, mon rapport à la danse, et les moments très visuels. Tout cela s’imbrique et se répond, chaque élément du spectacle venant s’ajouter aux autres pour construire une dramaturgie usant à la fois du texte, de la musique, du mouvement et des effets scéniques pour se développer (pour former une unité faisant le spectacle).