L’affiche est intrigante : un personnage aux allures cyberpunks braque à la fois son regard et une arme en plastique sur nous. Sa coiffure, comme le reste, est parfaitement soignée. L’image est sobre, mais émaillée de couleurs vives et fauves et de touches pailletées. Ce personnage est-il réel ou s’agit-il d’un avatar, d’un être de fiction, d’une réincarnation cybernétique ?
wireless people est à la fois le titre de la pièce et celui du collectif qui la porte, cofondé par maïa blondeau, compositrice et instrumentiste, et greta fjellman, comédien·ne et enseignant·e.
C’est à la suite d’une tournée en Belgique francophone, en 2024, et de sa présentation au Théâtre des Doms à Avignon, la même année, que le titre s’est complexifié : wireless people, 21 poèmes-partitions.
La pièce débute avec un personnage occupant, seul, le plateau entièrement blanc. Iel est incarné par greta fjellman, qui livre une performance subjuguante, à la fois très physique et logorrhéique. Iel traverse un univers sonore qui remplit l’espace. La musique de maïa blondeau installe une atmosphère et un environnement qui semblent dialoguer avec l’influenceur·euse sur scène. Son soliloque déroule une poésie fragmentaire, sonore et expérimentale utilisant les techniques du copié-collé, de l’écriture automatique et d’autres formes d’écriture, comme l’écriture post-binaire. (L’écriture post-binaire est un nouveau champ de recherche et d’expérience qui associe linguistes et typographes en lutte avec la normativité et en quête de malléabilité à l’endroit parfois rigide de la langue écrite.)
L’adresse de l’interprète emprunte les codes des réseaux sociaux, un vortex algorithmique s’ouvre alors au public. Nous sommes tantôt spectateur·ice·s passif·ve·s ou complices, tantôt sollicité·e·s ou oublié·e·s et obnubilé·e·s. Profondeur et superficialité se côtoient et s’articulent de manière aléatoire. Parfois, au cours de cette performance singulière qui fait jaillir des affres du Net des sujets variés, les flashs sont requis, les caméras exigées pour des sessions de « direct » instagrammables.
Si wireless people est le fruit d’une prouesse technique et sonore, c’est également une pièce écrite comme une nouvelle langue hybride et expérimentale à laquelle se mêlent le français, l’italien, l’anglais et le suédois.
C’est toute une dramaturgie musicale et poétique qui est déployée sous nos yeux.
Le collectif s’est refusé à faire de wireless people une ode ou un réquisitoire contre les réseaux sociaux. Il nous invite à les aborder autrement que par un prisme moralisateur et à transcender un débat clivant. Ici, c’est le regard parfois biaisé que nous portons sur leur utilisation et les utilisateur·ice·s qui est questionné. La pièce s’adresse à tout le monde, tout en prenant la liberté de faire quelques apartés avec une audience plus jeune dans le public, en plein milieu de la performance.
Comme dans une mise en abîme, greta interprète un personnage qui lui-même en interprète un autre : cette figure qui s’évertue à captiver l’audience s’apparente à une sorte de démiurge du Net qui s’expose dans une constante mise en scène de soi. À l’instar du lien entre les influenceur·euse·s et leurs followers, le rapport au public dans wireless people reflète un rapport de force qui change incessamment et fait bouger avec lui la notion de vulnérabilité.
wireless people s’inscrit dans une trilogie dont la suite est try love. Avec ce second projet, le duo a décidé d’approfondir sa méthodologie et de radicaliser sa démarche. Il s’ouvre à des collaborateur·ice·s adolescent·e·s, invité·e·s à créer lors de trois sessions de stage étalées sur plusieurs mois au sein des théâtres coproducteurs du projet : le Théâtre du Varia et le Rideau de Bruxelles, au cœur de la capitale belge. Le groupe, mixte à plusieurs égards, a pu découvrir et s’essayer aux différents aspects d’une création, de l’écriture au plateau. maïa blondeau et greta fjellman concrétisent ainsi l’envie de partager des procédés créatifs longuement mûris ces dernières années, laissant les adolescent·e·s libres de s’en saisir comme iels le souhaitent. trylLove continue son exploration des réseaux et s’articule entre amour, espoir et lutte. La pièce est programmée au Rideau de Bruxelles entre les 15 et 17 mai 2025.