Dhritarashtra
un jeune homme éternel très jeune et très âgé m’a dit un jour : « la mort n’existe pas » qu’est-ce qu’il voulait dire ?
Bhishma
pose-lui la question il vient d’entrer
Un ascète sans âge vient en effet d’apparaitre dans la pièce peu éclairée.
Dhritarashtra
il est ici ?
Bhishma
pose-lui la question il vient d’entrer
Bhishma
tu l’as évoqué il est venu
Dhritarashtra
c’est toi le jeune homme éternel ?
L’ascète
c’est moi
Dhritarashtra
tu as dit : « la mort n’existe pas » ?
L’ascète
je l’ai dit
Dhritarashtra
pourtant même les dieux pratiquent des pénitences pour obtenir de ne pas mourir
L’ascète
les deux choses sont vraies les poètes estiment la mort ils la chantent mais moi je dis que la mort est la négligence qu’elle est l’ignorance et que la vigilance est l’immortalité la mort est comme un tigre caché dans les herbes nous créons des enfants pour la mort mais la mort ne dévore pas l’homme qui a secoué sa poussière elle ne peut rien contre l’éternité le vent la vie viennent de l’infini la lune boit le souffle de vie le soleil boit la lune et l’infini boit le soleil le sage prend son vol au milieu des mondes quand son corps est détruit quand il n’en reste plus trace c’est la mort elle-même qui est détruite et il contemple l’infini je suis un immortel plus petit qu’un atome je me suis dit adieu à moi-même et je me vois dans tous les êtres je suis la mère le père le fils je suis tout ce qui n’est pas encore je suis l’ancêtre le vieillard je suis l’espace la cause de ma naissance c’est moi je suis la limite de tout je suis le jour la nuit infatigable impérissable
L’ascète se retire, comme s’il n’avait fait que passer.
Adaptation du Mahabharata, texte de Jean-Claude Carrière.