Yves Ferry est comédien. C’est pour lui que Koltès écrivit, en 1977, LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS qu’il créa en Avignon off.
Anne-Françoise Benhamou : Comment avez-vous rencontré Bernard- Marie Koltès ?
Yves Ferry :,C’était après 68. J’étais à l’Ecole du TNS. A cette époque, le TNS était une sorte de phare pour le théâtre. Tous les courants passaient, les discussions étaient sérieuses, les enjeux de la création beaucoup plus idéologiques qu’aujourd’hui. Il y avait aussi des spectacles qui se jouaient en dehors du TNS.
Un jour, dans une église, — l’Église Saint-Nicolas‑, j’ai assisté au premier spectacle de Koltès. Cela s’appelait LES AMERTUMES. Il avait écrit le texte d’après ENFANCE de Gorki. Déjà, à ce moment-là, on avait le sentiment d’être devant une voix particulière. Les acteurs étaient tous des amateurs, mais ce qui était formidable, c’était la grande tenue du spectacle, la rigueur de l’écriture et de la mise en scène. Je me souviens que c’était très fragmenté, sans beaucoup de dialogues. Le texte semblait taillé dans des espèces de blocs bruts, des blocs brut monologues que les acteurs disaient parfois au bout d’eux- mêmes, au bout de leur voix, et ça donnait l’impression d’une grande pureté de travail.
On avait donc vu ce spectacle, et c’est à partir de là, je crois, qu’Hubert Gignoux s’est intéressé à Bernard, et qu’il l’a, tout de suite, encouragé. Gignoux, c’était un peu « le père » de beaucoup à ce moment-là. Tous les premiers textes de Koltès ont été lus par Hubert d’abord, et je sais qu’il tenait compte de ses avis. Gignoux a fait entrer Bernard au TNS comme élève- régisseur, c’est là qu’on s’est vraiment rencontrés.
La première pièce de Koltès que j’ai jouée était une adaptation de CRIME ET CHÂTIMENT. Cela s’appelait : PROCÈS IVRE. Koltès avait lu tout Dostoïevski, c’était une de ses admirations. Jean-Marie Sénia avait composé la musique. Là, encore, il s’agissait d’un texte très fragmenté qui ne racontait pas vraiment d’intrigue, mais plutôt des rêves des personnages. Ceux-ci s’organisaient en scène comme des images qui écrasaient Raskolnikov, que je jouais, passant de l’un à l’autre, brisé par eux.
Il y a eu une tournée de ce spectacle, une dizaine de villes en Bretagne. Jean-Louis Bertsch, élève comme moi au TNS jouait Porphyre, et Lise Dambrin était aussi de cette aventure.
A.-F.B. : Comment dirigeait-il les acteurs ?