JE voudrais m’interroger sur ce que signifie et à quoi se réfère le titre du spectacle de Tadeusz Kantor : JE NE REVIENDRAIS JAMAIS ICI. En polonais, sa signification possède une nuance légèrement différente de celle de la version française : Je ne reviendrai jamais, ou anglaise : I Shall Never Return. Et encore une autre en italien : Qui non ci torno piu. En français et en anglais, cela signifie qu’il ne reviendra pas, en général. En polonais qu’il ne reviendra pas — ici. De même dans la traduction italienne, mais là, par contre, l’expression acquiert, en quelque sorte, un caractère intentionnel.
Le titre polonais autorise une question concrète ; où ne reviendra-t-il pas ? Sur la terre ? Au théâtre ? En Pologne ? A Cracovie ? Est-ce un spectacle sur la mort ou sur un adieu au théâtre ? Ou peut-être une fuite hors du lieu et de l’espace où évolue Cricot ? Chacune de ces questions paraît fondée. Il faut sans doute d’abord se demander s’il s’agit véritablement d’un adieu ou seulement d’une définition s’appliquant à un spectacle concret.
Kantor lui-même a déjà fourni la réponse : il prépare tout simplement le spectacle suivant. Puisque nous avons affaire non pas à une décision personnelle définitive mais au thème d’une œuvre, nous devons réfléchir à quoi l’auteur a décidé de dire adieu.
JE NE REVIENDRAIS JAMAIS ICI est très certainement la somme de toute la création théâtrale de Kantor — depuis LE RETOUR D’ULYSSE, de 1944, jusqu’à QU’IOS CRÈVENT LES ARTISTES, de 1985. Elle se compose de scènes, de personnages, de motifs, d’objets « machines » et de fragments de musique issus des spectacles successifs. Ceux-ci n’ont cependant pas été disposés chronologiquement ni selon le principe d’une « anthologie » mais constituent les éléments d’une construction basée sur les conceptions essentielles de son esthétique.
Il s’agit ici avant tout des concepts d’illusion et de réalité autour desquels Kantor bâtit tout son théâtre. De cet indissociable couple d’opposition, point de départ du principe de contraste et de controverse qui caractérise ses œuvres. D’un côté en effet nous avons des actions servant à démasquer et à détruire l’illusion et, de l’autre, son apparition constante. Les ready-made, la familiarité du langage, l’authenticité des personnages fait face à des objets de caractère allégorique, des personnages imaginaires, des ébauches de récit. Là une référence au symbolisme, là-bas l’anti-esthétique de Duchamp. Le feu et l’eau.
« Dans cette étape de ma création est finalement venu ce moment que je commence à considérer comme un « résumé » — »
écrit Kantor dans le programme de JE NE REVIENDRAI JAMAIS.
«… pour mon utilisation personnelle j’ai créé l’idée de Réalité qui rejetait la notion d’illusion … le JEU, la représentation, la « reproduction » de ce qui a été écrit dans le drame / dans la « pièce » / … Je n’étais cependant pas orthodoxe au point d’y croire jusqu’au bout. Dans la pratique j’étais, « en marge », en proie au doute et cela a probablement préservé mes spectacles de l’ennui et de la froideur …Comment était-ce vraiment avec cette réalité. Ai-je réellement tout fait pour elle ? Lorsque je devais être un enfant, quelqu’un d’autre était cet enfant, pas moi réellement/ cela se justifie encore /. Lorsque je devais mourir, quelqu’un d’autre mourait. Me « jouait » mourant. Et ce « jeu » que j’avais exclu fonctionnait parfaitement …»