18 février
Troisième rendez-vous avec M., troisième déception : il n’a toujours pas lu la pièce ni le dossier, il ne sait même plus de quoi il s’agit vraiment. Coup d’œil impérieux de Danielle, je ravale ma chique et reprends pour la énième fois mon petit laïus comme si de rien n’était, avec l’enthousiasme et la fraîcheur qu’un directeur de salle est en droit d’attendre d’un « jeune metteur en scène » en situation de demande.
Hochements de tête compréhensifs, sourires du genre « mais oui, je vous entends, qu’est-ce que nous sommes intelligents ! ». Le projet le passionne. C’est tout à fait ce qu’il aimerait faire dans sa salle, il serait tellement heureux de collaborer avec moi, malheureusement, la saison prochaine est quasiment bouclée et les difficultés actuelles étant ce qu’elles sont… Suit un long monologue sur les souffrances d’un directeur de théâtre, l’incompétence du Ministère, la désaffection du public, etc.
Danielle et moi hochons et sourions, compatissants et hypocrites.
Le monologue tire au tunnel, je profite…
Merci pour ce très beau texte, riche, vivant, passionné, et plein de nuances ! Je te propose une correction orthographique complète, en gardant le style, le ton et la syntaxe le plus fidèlement possible.
Je profite d’une respiration pour embrayer sur notre projet, Danielle demande des précisions, on lui tire les vers du nez, il finit par lâcher le morceau :
— « Et puis, il n’y a personne dans votre distribution qui puisse titiller la presse. » (sic)
Je blêmis, bafouille, tente de m’étonner courtoisement qu’on puisse élaborer un tant soit peu une distribution selon des critères autres (surtout médiatiques…) que la cohérence d’un projet (et, bien sûr, le talent des personnes), ou qu’on puisse confondre programmation et stratégie de communication, ou encore spectateur de théâtre et plumitif de critique dramatique.
J’aurais aimé lui suggérer qu’il serait bon qu’il y ait enfin (!) — puisqu’il paraît que les salles se vident — une vraie réflexion sérieuse et concrète sur le public parisien et les moyens de le ®amener au théâtre, quitte à inventer (OK, beurk : la sociocul’) de nouvelles voies, de nouvelles approches — cf. pas mal de structures provinciales qui (certes dans d’autres contextes, mais quand même) ont là comme ailleurs pas mal d’années d’avance sur la capitale, etc. etc.
Mais rien à faire, M. est soudain très pressé, un autre rendez-vous l’attend :
— « Tenez-moi au courant », serrements de pince, exit.
25 février
Après l’ère de la soi-disant hégémonie de la mise en scène, on en reviendrait, depuis quelques années, paraît-il, au texte, « rien qu’au texte » (et à l’acteur, mais c’est encore une autre histoire). Dictateur mégalomane repenti, le metteur en scène renonce désormais à prendre ses désirs pour la réalité et expie ses années de jeunesse débridée en se mettant humblement au service du texte, pour que résonne enfin, dans toute sa pureté, entre les quatre murs du théâtre, la divine parole de l’Auteur…
Je comprends bien ce qu’il y a derrière ce type de discours (ras-le-bol du spectaculaire ostentatoire et racoleur devenu monnaie courante dans certaines maisons, notamment les plus cossues, aux dépens des véritables enjeux de l’œuvre représentée), mais je ne peux jamais l’entendre sans quelque suspicion… Est-ce vraiment un hasard si ce sont (en général) les incompétents de la mise en scène, ceux qui de toute évidence ne savent pas quoi faire d’une pièce, qui nous rabattent les oreilles avec leur « effacement derrière l’auteur » ?