« Le regard de I’enfant est plus illimité que le pressentiment du voyant le plus pur. »
Novalis
LE MAHABHARATA, au plus profond de lui-même, fut un spectacle de formation car comme dans le Bildungsroman, l’enfant accède à une identité grâce aux aventures auxquelles il participe et dont le récit trace le déroulement :
« Vyasa : Est-ce que tu sais écrire ?
Enfant : Non, pourquoi ?
Vyasa : J’ai composé un grand poème
Enfant : De quoi parle ton poème ?
Vyasa : Il parle de toi.
Enfant : De moi ?
Vyasa : Oui…c’est le grand poème du monde. Si tu l’écoutes attentivement, à la fin tu seras un autre…»
En ce sens, pour Peter Brook, LE MAHABHARATA et PELLÉAS se répondent. Le grand poème épique sert à éduquer un enfant de même que l’histoire de Pelléas et Mélisande à l’initier aux bonheurs troubles de l’amour. L’enfant est le centre affectif des IMPRESSIONS DE PELLÉAS.
Les deux spectacles débutent par l’arrivée de l’enfant. Dans PELLÉAS I’enfant s’avance avec un livre la main, qui rappelle l’autre livre, celui de Ganesha. Si Ganesha transcrit I’immense poème de Vyasa que l’enfant vivra, Yniold, lui, feuilletce un livre qui raconte peut être à l’avance le scénario des aventures qu’il va suivre.
Premier venu et dernier parti, Yniold n’occupe pas pour autant une position centrale sur le plateau ; il devient central à force d’être présent et c’est son temps scénique qui l’érige en protagoniste secret du spectacle L’enfant se trouve parfois dans la pénombre, parfois dévolu à des tâches subalternes, proche des personnages ou, au contraire, isolé, presqu’oublié. Il voit sans que les autres s’en rendent toujours compte et, comme dirait Simonide, le créateur de l’art de la mémoire, il enregistre le moindre attouchement, le moindre murmure : l’expérience entière sera gravée sur les tablettes de cire de son âme. Il à tout vu, ces événements ne prendront sens que beaucoup plus tard et sa vie en portera la trace.
Yniold n’est pas un espion. Il est un témoin Mais, même lui ne verra pas tout. Il sera absent dans les scènes de violence quotidienne où les êtres sont agressifs et les paroles mesquines. Grâce à ces blancs, sa vue ne sera pas blessée ni sa mémoire affectée : le spectacle le protège de tout ce qui est intermédiaire, vulgaire, médiocre. Ces chaînons, il pourra les reconstituer une fois adulte, mais en réalité il ne les aura guère vus. Sa mémoire retiendra pour toujours le souvenir des héros vierges, étrangers à la bassesse, étanches à la corruption, emportés par les « maladies de l’’âme ». Qui ne rêve pas d’être le fruit d’une passion dont il a partagé les tensions et éprouvé la douleur ?