JUSTE APRÈS L’AMOUR JUSTE AVANT LA MORT : LA PAROLE OBSCÈNE

Non classé

JUSTE APRÈS L’AMOUR JUSTE AVANT LA MORT : LA PAROLE OBSCÈNE

Le monologue dans le théâtre de Philippe Minyana*

Le 19 Juin 1994
Jany Gastaldi et Chrisrophe Huysman dans LES GUERRIERS, de Ph. Minyana. Photo Enguerand.

A

rticle réservé aux abonné.es
Jany Gastaldi et Chrisrophe Huysman dans LES GUERRIERS, de Ph. Minyana. Photo Enguerand.
Article publié pour le numéro
Le monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives ThéâtralesLe monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives Théâtrales
45
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minitieux, offrez-nous un café ☕

« TAUPIN : (c’est celui qui creuse, il s’adresse sans doute au pub­lic). J’ai des poignets très fins presque grêles hélas et, ça a été ter­ri­ble pour moi de creuser mais j’ai dû creuser il a bien fal­lu j’ai creusé comme ça…»1, très longtemps très longtemps sans faire de trous au début on ne com­prend pas on se dit que ce n’est pas pos­si­ble de creuser creuser sans jamais faire de trous des trous d’écri­t­ure des trous d’air des trous d’é­mo­tion des trous de pen­sée et plus Oil cherche et moins Oil trou­ve alors on con­tin­ue de lire et TAUPIN con­tin­ue de creuser TAUPIN avance et on le suit quand il va vite on le suit il ne s’ar­rête jamais et ne ralen­tit pas on le suit très vite la pro­fondeur ne l’in­téresse pas il creuse à l’hor­i­zon­tale au ras de la terre et des gens TAUPIN on a tou­jours l’im­pres­sion qu’il nous dit : « cir­culez y’a rien à voir ! » « Ici, rien. Il ne reste plus l’om­bre d’une illu­sion der­rière la vérac­ité des poils. Plus rien à voir : c’est pour cela que les gens se penchent, s’ap­prochent et flairent cette hyper­ ressem­blance cadavérique, spec­trale dans sa bon­homie, hal­lu­ci­nante de plat­i­tude. L’ob­scénité est là, dans le fait qu’il n’y a rien à voir…»2 juste après l’amour juste avant la mort TAUPIN n’a rien à faire il ne fait rien et par­le tout seul même s’il n’est pas le seul à par­ler tout seul on n’en­tend que lui lui qui par­le de son sexe et de la guerre et des mamans blessées qui per­dent la tête et de l’odeur « celle de l’eau du vase où il y a des lilas l’eau du vase à lilas si elle n’a pas été renou­velée »3 et les vach­es et les cochons et les femmes qui ne don­nent que le bas de leur corps et les lap­ins et les hommes qui ne don­nent plus rien et cette hor­ri­ble con­vul­sion intesti­nale ! À TAUPIN comme à Bar­bara Con­stance Wolf Jérémie Eve Jacque­line Angèle Kos Elis­a­beth Suzette Lat­i­fa Tita Noël on lui a dit que ça pour­rait être « une sorte de jeu : un marathon de la parole : racon­ter son his­toire tout dire…»4 et TAUPIN comme les autres parce qu’il n’est pas dif­férent des autres TAUPIN il joue le jeu de celui qui ne doit pas s’ar­rêter de par­ler parce que sa vie est comp­tée depuis qu’il s’est arrêté et qu’il a retourné le sabli­er il ne met pas de points TAUPIN il ne met pas de vir­gules quand il par­le parce que tous ces points et toutes ces vir­gules lui lais­sent le temps de respir­er et chaque fois qu’il reprend sa res­pi­ra­tion ce sont autant de mots qu’il avale et qu’il ne dit pas et TAUPIN comme tous les autres il veut dire tous les mots et il les dit presque tous en tout cas ceux de tous les jours parce qu’il n’a pas le temps d’en chercher d’autres parce qu’il doit par­ler par­ler d’une chose et puis par­ler d’autre chose et puis par­ler de la même chose parce qu’il y a telle­ment à dire de tout qu’il ne faut pas s’ar­rêter et surtout pas pour met­tre un pre­mière­ment un deux­ième­ment un etc. à la rigueur. Mais de toutes façons il faut tout dire et recom­mencer puisque l’his­toire est tou­jours la même et qu’il ne sert à rien de le savoir à rien qu’à faire du mal et à don­ner la mort la mort il faut la devancer TAUPIN le sait les autres aus­si ce sont des « moulins à parole » à broy­er la mort avec leurs mots ils se propulsent au­ delà de la pen­sée au-delà de la mort et le texte court encore même lorsqu’on lui coupe la tête ça court ça par­le ça par­le ou ça court puisque c’est la même chose « avec cette pen­sée qui ne sait pas ce qu’elle pense on dirait une pen­sée qui fuit quelque chose et qui n’est occupée que de cela »5 que de cela qu’elle fuit elle fuit l’amour et la guerre parce qu’elle hait la guerre et parce qu’elle aime l’amour ou peut­ être l’in­verse on ne peut plus savoir puisque tout est fini et la guerre et l’amour et si TAUPIN par­le ce n’est pas pour dire qu’il aime ou qu’il n’aime pas au con­traire il n’ar­rête pas de par­ler pour éviter son cœur et descen­dre jusque dans le ven­tre et y rester alors quand il par­le TAUPIN « il fait sous lui »6 une boue de mots « pour étouf­fer cam­ou­fler cet hor­ri­ble charnier sanglant (…) dans ce désert laqué de pluie et de boue qui (me) fai­sait penser à du gâteau au moka »7 TAUPIN se rem­plit de sa pro­pre parole il se nour­rit il se sural­i­mente le ven­tre plein il n’a plus de peurs ni de désir entre l’amour et la mort TAUPIN par­le tout seul même s’il n’est pas seul il par­le de son his­toire qui est par­fois celle des autres mais c’est tou­jours son his­toire à lui même s’il racon­te la même chose que les autres il la tient si près de lui si ser­rée que lorsqu’il par­le il a des tics d’amoureux il ne pense qu’à ça qu’à vous par­ler de ça : de son his­toire c’est-à-dire de son corps c’est-à-dire de sa bouche c’est-à-dire de ses hanch­es c’est-à-dire de ses poils c’est­ à‑dire de son sexe il la détache du reste des vivants et se la plante dans les yeux et ne voit plus que ça il essaie de regarder ailleurs mais il n’a plus que ça dans le regard si bien que lorsqu’il regarde l’his­toire de quelqu’un d’autre il voit la sienne et ne peut s’empêcher d’en par­ler comme un amoureux à l’im­par­fait ou au passé com­posé puisque tout est fini même le présent il fait l’in­ven­taire de ses biens pour l’aire l’in­ven­taire de sa vie comme de ses biens et avec la tran­quil­lité d’un tueur de cochons il nous dit : « il y a ça et puis ça et puis encore ça et j’ou­blie tou­jours ça à cause de ça parce il y a eu ça et ça et ça ça ça ça et ça… » et il ne s’ar­rête plus jusqu’à ce que quelqu’un l’in­ter­rompe alors il dit :
« ne m’in­ter­romps pas !» et il con­tin­ue jusqu’à ce que quelqu’un d’autre lui dise : « Mer­ci Bar­bara » et il répond : « J’ai pas fini »8

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Non classé
5
Partager
Corinne Rigaud
Corinne Rigaud est née à Orange, un trois avril. Elle a déjà dit qu’elle aimait...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements