Monologue multiple, Twin houses, solo de danse

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Monologue multiple, Twin houses, solo de danse

Le 16 Juin 1994
Article publié pour le numéro
Le monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives ThéâtralesLe monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives Théâtrales
45
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PARFOIS, entre deux pro­jets réal­isés avec plusieurs inter­prètes, je prends le maquis dans des stu­dios de répéti­tion, pour laiss­er émerg­er des formes d’im­pudeur soli­taire, avec quelque chose à dire qui doit se cacher avant de s’énon­cer. Qui doit se pré­par­er en douce… Des solil­o­ques que Patrick Bon­té et moi mod­èlerons ensuite, en les décan­tant, en leur forgeant un lan­gage autonome, qui puisse être reçu dans le noir de la salle.

Cette fois, ne voulant pas pro­jeter une image esseulée sur le plateau, et fascinée depuis tou­jours par les poupées, les mar­i­on­nettes, les repré­sentations anthro­po­mor­phes de tout poil, j’ai embri­gadé dans l’his­toire quelques man­nequins artic­ulés, liés à mon corps dans des posi­tions siamoi­ses divers­es.

Je voulais évo­quer avec eux le sen­ti­ment de démul­ti­pli­ca­tion de l’être, don­ner vie à toutes les fripouilles qui encom­brent notre moi, qui squat­tent nos gestes, l’une dis­ant oui et l’autre non avec la même évi­dence.

Je retrou­ve donc régulière­ment les « man­nequins » dans le stu­dio qu’ils habitent, je me glisse par­mi leurs présences latentes. Trou­blant leur som­meil, je leur demande de provo­quer en moi les gestes qui leur don­neront crédi­bil­ité, qui ren­dront compte de leurs his­toires enfouies.

Je peux, seule avec eux, pren­dre ce luxe : laiss­er des blancs, tourn­er en rond, ne pas savoir, croire trou­ver, faire mouss­er les quipro­qu­os et les con­tra­dic­tions nais­santes. Pren­dre du temps, du temps per­du, du temps qui stagne, du temps qui fait appa­raître, qui sait, qui ne sait plus, du temps de soli­tude…

Les man­nequins étaient cen­sés être mes dou­bles, mais je me suis vite ren­du compte que c’é­tait moi qui deve­nais le leur : le rap­port de force s’est inver­sé.

Car pour qu’ils vivent, il me faut retir­er de mon jeu toute vel­léité volon­tariste, me vider, dirait-on, de ma sub­stance, pour la laiss­er gliss­er dans leur peau. Suiv­re leurs chem­ine­ments, en absente écouter leur présence.

Notre asso­ci­a­tion siamoi­se n’a rien d’év­i­dent. Ils s’emparent de mon épaule, de ma jambe, de ma tête qu’il me faut pour­tant garder, nous devenons mon­stre à deux têtes, à trois jambes, à com­bi­en de mains ?

Ils me tien­nent, ils man­gent mes forces, n’ont aucun scrupule : ils don­nent forme à ce que je n’o­sais évo­quer, ou à ce que mon corps seul ne suf­fi­rait pas à engen­dr­er.

Mais chaque acteur ne vit-il pas quelque chose de cet ordre quand il se prête à un rôle, quand il décou­vre la vie du per­son­nage qui l’en­vahit ? Il a à créer des pro­longe­ments, des ram­i­fi­ca­tions, des démul­ti­pli­ca­tions var­iées selon l’œil du spec­ta­teur. À ouvrir l’im­age à des ailleurs qu’il ne maîtris­era jamais tout à fait, pour que « l’autre » irradie, qu’il existe par­devers lui.

Nous voulions inté­gr­er clans le spec­ta­cle un deux­ième per­son­nage (un acteur enfoui sous une grande mar­i­on­nette). Nous avions besoin d’un élé­ment tran­si­toire pour boucler une con­ti­nu­ité, per­me­t­tre des change­ments par­fois longs entre les scènes. Peine per­due. Il s’est avéré néces­saire que le point de vue du spec­ta­cle demeure celui d’une soli­tude. De même, nous avons ôté du décor tout élé­ment qui situerait l’ac­tion, qui défini­rait un espace où ren­tre, d’où l’on sort. Tout se déroule dans une seule tête, comme tout devrait défil­er dans la tête d’un seul spec­ta­teur, de chaque spec­ta­teur isolé­ment qu’il quitte sa posi­tion d’ob­ser­va­teur, qu’il puisse pro­jeter ses pro­pres rêves et cauchemars, et que les mar­i­on­nettes devi­en­nent les excrois­sances de sa pro­pre vie.

Un mono­logue, un solo, plus que toute autre forme de représen­ta­tion, peut ne pas rester la parole de l’autre, là, sur le plateau. Le spec­ta­teur alors s’en empare, la fait sienne, s’y recon­naît, jusque dans la mécon­nais­sance, la « mal­ con­nais­sance » de lui-même. Il faudrait qu’il ne sache plus qui est en train d’a­gir, qui manip­ule qui, qui est à l’o­rig­ine du mou­ve­ment — d’âme et de corps — , et qu’il ne perçoive plus ce qui pro­duit la lumière et l’om­bre : le fais­ceau des pro­jecteurs ou le bat­te­ment de ses paupières.

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Nicole Mossoux
Danseuse et chorégraphe, Nicole Mossoux collabore depuis une dizaine d'années avec le metteur en scène...Plus d'info
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