Y a‑t-il (vraiment) un « Prince » dans la salle ?

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Y a‑t-il (vraiment) un « Prince » dans la salle ?

Le 10 Juin 1994

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Le monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives ThéâtralesLe monologue-Couverture du Numéro 45 d'Alternatives Théâtrales
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Les États Généraux du « Jeune » Théâtre, ou l’é­cho d’une parole : celle de jeunes et moins jeunes com­pag­nies ne béné­fi­ciant pas de sub­ven­tion annuelle.Un théâtre qui se dit pluriel, dif­férent, pré­caire.

Pro­logue

AU CANADA1, en 1980, puis en France, en 1991 – 1993, enfin en Bel­gique, en 1994, toute une masse d’in­ter­mit­tents du spec­ta­cle se rassem­ble pour pos­til­lon­ner, baver et cracher sur sa con­di­tion. Cela, pour met­tre les États Généraux, de ce qu’on appelle encore faute de mieux, le « Jeune » Théâtre de la Com­mu­nauté française de Bel­gique dans une per­spec­tive de fran­coph­o­nie. Cela, pour dire aus­si qu’ils ne sont pas seule­ment l’ini­tia­tive de quelques fig­ures de proue éphémères, mais bien aus­si l’ef­fet d’une con­ta­gion. Rassem­bler ceux que tout sépare, sauf peut-être le titre générique de leur occu­pa­tion, « gens de théâtre » , était l’ob­jet majeur des assem­blées en vase clos belges2. Pen­dant sept journées, un peu partout à Brux­elles et en Province, des pro­fes­sion­nels-de-la-pro­fes­sion se sont mobil­isés parce qu’une ren­con­tre « his­torique » se pré­parait entre le Min­istre de la cul­ture, un « Prince » élu, et des artistes à élire. Si l’on atten­dra longtemps encore avant de savoir ce que la ren­con­tre « Prince » /Artiste du 29 mars dernier a eu de réelle­ment his­torique, pour beau­coup, les plus jeunes surtout, c’é­tait une pre­mière. La pre­mière fois qu’il faut faire état de sa pro­fes­sion, à la fois en voie de développe­ment et de dis­pari­tion, devant une autorité poli­tique et avoir du poids et se faire enten­dre …

Acte 1 : Esthé­tique, aujour­d’hui peut-être ou alors demain …

« Le théâtre a per­du son rôle dans ‘imag­i­naire col­lec­tif de l’Oc­ci­dent, on peut légitime­ment s’in­ter­roger sur son statut exact dans la cul­ture con­tem­po­raine »3. Parce que cette ques­tion est aus­si légitime qu’ur­gente, les aînés assis dans la salle, lourds des pavés de 68, légers de l’imag­i­naire engagé qu’ils y trou­vaient en dessous, espéraient peut-être des États Généraux, de cet ensem­ble hétéro­clite, de ce rassem­ble­ment d’in­di­vidus unis par la néga­tive (la pré­car­ité), un pro­jet esthé­tique. Et bien non ! Risquant le juge­ment sans appel : « Le Jeune Théâtre n’a rien à dire ! », les États Généraux, reflé­tant encore une fois une posi­tion partagée d’un côté à l’autre de l’océan, ont refusé le débat esthé­tique. Pen­dant que l’in­ter­ro­ga­tion sociale, économique et lég­isla­tive brûle le bas de ses robes à la rampe, la réflex­ion artis­tique est dans le trou du souf­fleur, aphone. Qui arriverait à définir une mou­vance esthé­tique dans cette « foire du sens » ? Cha­cun peut « libre­ment » s’emparer des images, sym­bol­es, mythes ou références de son choix. Aucun ordre sym­bol­ique n’est capa­ble de struc­tur­er et d’u­ni­fi­er ces frag­ments épars, si bien qu’il devient très prob­lé­ma­tique pour les mem­bres de nos sociétés con­tem­po­raines de don­ner une cohérence affec­tive, imag­i­naire ou intel­lectuelle à leur expéri­ence du monde4. Des points de repère flous et mou­vants, un manque général­isé de dis­cours, de for­ma­tion poli­tique, et la con­fronta­tion, presque jour­nal­ière avec un pub­lic qui a tou­jours envie de zap­per (même au théâtre) ; voilà la société pour, ou con­tre, laque­lle ils auraient dû se définir. En cette fin de siè­cle, seule l’im­pos­si­bil­ité à cas­er le Jeune Théâtre dans un seul et même moule est his­torique. Est-ce vrai­ment dom­mage­able ?
Cette foire baroque n’est-elle pas « le ter­reau néces­saire au développe­ment »5 ? À la ques­tion min­istérielle « quel théâtre ? », la réponse, ce jour-là, a été de dire et redire la plu­ral­ité des esthé­tiques. À « quel pub­lic ? »6, qui soulève la sem­piter­nelle et dif­fi­cile ques­tion du Ser­vice Pub­lic, le silence, ou presque. Mais com­ment dire qu’à chercher son pub­lic avant de trou­ver son art, on triche ? Com­ment le dire sans désoblig­er celui qui gère l’ar­gent pub­lic ? Com­ment le dire sans lui don­ner l’arme avec laque­lle il peut tuer ? Com­ment dire enfin que le pub­lic est une affaire d’É­tat certes, mais aus­si de direc­tion, d’in­ten­dance, de ges­tion, surtout une affaire de longue haleine et que le théâtre non sub­ven­tion­né annuelle­ment en est au coup par coup sans savoir ni où, ni quand, ni com­bi­en de temps il va pou­voir mon­tr­er sa « pro­duc­tion » ? À la ques­tion sous-enten­due, « Le Jeune Théâtre a‑t-il quelque chose à dire ? », la réponse tout aus­si sous-enten­due sem­blait évi­dente : plus qu’à dire, ils ont à faire. Et pour ce « faire », ils veu­lent d’abord en définir les con­di­tions.

Acte 2 : On est trop nom­breux c’est la merde, qu’est-ce qu’on fait ?7

Pour une même réal­ité, des dis­cours dif­férents. Struc­tur­er l’im­pos­si­ble, la plu­ral­ité des points de vue, c’est ce qu’ont essayé deux groupes.

Côté cour, le pre­mier groupe8 cherche et pro­pose des solu­tions à l’en­gorge­ment : 150/160 Cies piéti­nent devant les 33 entrées des Artistes9. Une vue pyra­mi­dale qui part du pre­mier pro­jet non sub­ven­tion­né à la pre­mière sélec­tion pour l’oc­troi d’une sub­ven­tion, de la pre­mière sub­ven­tion à la pre­mière exi­gence de copro­duc­tion, et, de sélec­tion naturelle en preuves tan­gi­bles, de la pre­mière copro­duc­tion à la rési­dence, l’in­té­gra­tion, voire la direc­tion d’un théâtre insti­tu­tion­nal­isé. À chaque palier, des prob­lèmes, à chaque prob­lème des solu­tions et/ou ques­tions. Exem­ple : En Bel­gique, dès qu’un directeur a « pris » la tête d’une Insti­tu­tion théâ­trale, il est d’usage de l’y laiss­er jusqu’à … enfin, il peut y trôn­er 41 ans10 durant sans crain­dre une remise en ques­tion de sa fonc­tion. Solu­tion : « Fix­er la durée du man­dat du directeur et la procé­dure de renou­velle­ment. Nous pro­posons un man­dat de qua­tre ou cinq ans renou­ve­lable une fois. »11 Côté jardin, le sec­ond groupe12 pro­pose une vue plutôt hor­i­zon­tale. Il pose, en s’aidant de sondages et sta­tis­tiques13 faisant appa­raître que le Jeune Théâtre représente un tiers de la pro­duc­tion théâ­trale en Com­mu­nauté française, un des préal­ables à la négo­ci­a­tion : Les Pou­voirs publics doivent recon­naître l’ex­is­tence du « Jeune » Théâtre comme une com­posante essen­tielle du théâtre. Il y a plus de 160 Cies14 et leur avenir n’est pas néces­saire­ment lié à l’in­té­gra­tion dans l’In­sti­tu­tion théâ­trale exis­tante. Sans nier pour autant la volon­té pour cer­tains de s’in­té­gr­er ou d’être« les prochains directeurs », ils deman­dent la créa­tion d’outils spé­ci­fiques au Jeune Théâtre. « Cet out­il com­prendrait au min­i­mum un réseau de salles de répéti­tion, des ser­vices d’aide à la pro­duc­tion et à la pro­mo­tion »15. Out­il évidem­ment indépen­dant du fil­trage insti­tu­tion­nel.

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Linda Lewkowicz
Ancienne rédactrice en chef du magazine Scène – La Bellone. En 2010, elle a mis...Plus d'info
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