Une lettre aux acteurs ? Impossible !

Une lettre aux acteurs ? Impossible !

Le 30 Déc 1994

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Lettres aux acteurs-Couverture du Numéro 46 d'Alternatives ThéâtralesLettres aux acteurs-Couverture du Numéro 46 d'Alternatives Théâtrales
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J’AI TOUJOURS été ter­ror­isée par les acteurs. Ils m’ont tou­jours impres­sion­née. Ils m’ont tou­jours fascinée : ils sem­blent appartenir à un monde dont moi je ne fais pas par­tie. Je n’ai jamais su leur par­ler, je veux dire qu’il m’a fal­lu du temps pour appren­dre à les abor­der – et encore, je ne suis pas sûre d’y avoir réus­si vrai­ment, même aujour­d’hui, à chaque fois, cela reste dif­fi­cile.

Longtemps, il m’a paru que dire « comme c’est bien » à quelqu’un que l’on ne con­naît pas, quand ce quelqu’un vient de sor­tir de scène, vient d’ac­com­plir une chose mag­nifique et dif­fi­cile, à la fois publique et secrète, gui est le résul­tat d’un tra­vail intime et mys­térieux dont je ne saurai jamais rien, longtemps il m’a paru que dire : « comme c’est bien » était dérisoire, inutile et vain, en un mot : ridicule. Je pas­sais sans doute pour timide, grossière ou indif­férente selon que les acteurs en ques­tion, ceux à gui je ne dis­ais rien, avaient ou non un peu de sym­pa­thie pour moi ; ou alors, je restais dans mon anony­mat con­fort­able, mais frus­trée. Car j’au­rais bien voulu par­ler, évidem­ment !

Plus tard, j’ai con­nu des acteurs, « per­son­nelle­ment », comme on dit. Un jour, pour la pre­mière fois, j’ai ren­con­tré une actrice – mythique à mes yeux, et aux yeux de beau­coup, d’ailleurs –, chez elle, dans son apparte­ment, dans son salon, dans sa cui­sine. C’é­tait Janine Patrick, mais pour moi, c’é­tait « Célimène l’éblouis­sante », « l’Alou­ette d’Anouilh » , ou « Macha de Tchekhov ». Que peut-on dire à ces gens-là ? Rien, bien évidem­ment. Avec Janine donc, nous avons par­lé théâtre, cui­sine, cheveux (Ah ! Se coif­fer, c’est tou­jours un prob­lème quand on a les cheveux trop fins!).

Ensuite, elle a joué Jocaste. C’est elle gui a créé le rôle. J’ai vu quelques répéti­tions (pas beau­coup : les met­teurs en scène n’ai­ment pas trop les auteurs quand ils sont der­rière leur épaule), par­fois, elle demandait : « Mais quand Jocaste dit cela, c’est parce que …»; je dis­ais « oui », c’est tout.

Le soir de la pre­mière, j’ai dit « Mer­ci » , mais pas à elle, je crois, ou peut-être l’ai-je sim­ple­ment pen­sé, imag­i­nant qu’il suff­i­sait que le « mer­ci » soit dans ma tête pour qu’il passe aus­sitôt dans la sienne …

Plus tard, j’ai ren­con­tré une très jeune femme, ce n’é­tait pas un mythe et c’é­tait à peine une actrice, moi, en tout cas, je ne l’avais jamais vue jouer. On a un peu par­lé « Révo­lu­tion française » , quand elle a joué Claire Lacombe. On a dû par­ler « sexe » quand elle a joué dans ORGIE, « class­es sociales » ou « petite-bour­geoisie ». Elle était si jeune, il y avait des choses à met­tre au clair. Elle s’ap­pelait Nathalie, Nathalie Cor­net. Un jour, elle a joué le mono­logue du per­son­nage de la Femme d’ORGIE – que je con­nais presque par cœur – et elle m’a fait venir les larmes aux yeux et la chair de poule sur les bras, elle s’ap­pelait tou­jours Nathalie, Nathalie Cor­net, mais le lende­main de la pre­mière, j’ai été soulagée de voir qu’un cri­tique avait écrit ce que moi je pen­sais, cela me dis­pen­sait donc de le dire. Nous avons donc par­lé théâtre, école (elle venait à peine d’en sor­tir), coif­fures (Ah ! Les cheveux trop fins, cela ne tient jamais!) …

Il y a un homme aus­si, encore un mythe : Jean Dautremay, le com­pagnon de Jean Jour­d­heuil, l’in­ter­prète de Hein­er Müller, entre autres… Nous avons par­lé théâtre (beau­coup), psy­ch­analyse (il jouait Freud dans TAUSK), cheveux (il les avait per­dus très tôt); ensuite, pour me dis­penser de par­ler, quelques mois après la pre­mière, j’ai écrit une pièce : ATGET & BERENICE dans laque­lle il était en scène tout le temps, depuis le début jusqu’à la fin ! Il l’a jouée, c’é­tait à Arles. La nuit de la dernière, il fai­sait chaud et nous avons nagé dans la piscine. Cheveux mouil­lés.

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Michèle Fabien
Michèle Fabien est l'auteur de plusieurs textes de théâtre: JOCASTE, NOTRE SADE, SARA Z, TAUSK,...Plus d'info
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