MICHAEL BUGDAHN : Comment avez vous fait la connaissance de Werner Schwab ?
Eva Feitzinger : J’ai entendu dire qu’il y avait, à Graz, un nouvel auteur, une sorte d’enfant prodige, qui écrivait des choses étranges pour le théâtre. Non sans mal, j’ai réussi à me procurer le texte des PHÉSIDENTES, sa première pièce. Je l’ai lue et j’avais des sentiments confus, j’étais bouleversée et très surprise ; j’avais du mal à imaginer une mise en scène de ce texte.
Ensuite, j’ai appris qu’une compagnie indépendante montait LES PRÉSIDENTES à Vienne. C’est là que j’ai rencontré Schwab pour la première fois. Il était très impressionnant : 1 mètre 92, cheveux blonds coiffés en banane. Toujours en noir : veste en cuir et jeans noirs. Ce n’était pas sans importance pour lui, la mode. Il avait beaucoup de goût, le sens de l’esthétique et du style.
Mike Sens : Aimait-il le théâtre ?
E.F.: Il disait qu’il n’avait été au théâtre qu’une seule fois, avec l’école, et que ça l’avait tellement ennuyé qu’il avait voulu s’en aller. Il ne racontait pas ça par coquetterie. Il avait aussi vu à la télévision une pièce de Thomas Bernhard, je crois, avec Bernhard Minetti, et cela l’avait beaucoup impressionné. Cela peut sembler étrange, car il avait interrompu ses études, mais sa connaissance de la littérature, des beaux-arts et de la musique, était énorme. J’ignore comment il avait pu accumuler tout ça. Apparemment, et c’est lui-même qui le disait, il avait été tellement seul, enfant et adolescent, que la littérature et l’art avaient tenu la place des amis.
M.S.: Revenons à votre rencontre à Vienne.
E.F.: Je lui ai dit que jamais encore, je n’avais lu un tel texte, mais que je ne voyais pas bien comment on pourrait le jouer. Il m’a tout de suite demandé si je ne voyais pas que c’était très drôle. Et moi j’ai répondu : « Je ne trouve pas ça drôle du tout ». Mais deux ou trois jours après, en voyant la représentation des PRÉSIDENTES, j’ai tout à coup compris à quel point ces phrases étaient comiques. A côté de moi, dans le public, il y avait deux femmes d’un certain âge. La première disait : « Mais c’est horrible, quelle honte, c’est dégoûtant, c’est franchement dégoûtant, allez, on s’en va ». Et l’autre répondait : « Oui, oui, maintenant on y va ». Eh bien, non, elles ne sont pas parties, parce que ça les faisait tellement rire. C’est une réaction très typique des spectateurs face au théâtre de Schwab.