POUR ESSAYER D’EXPLIQUER une façon d’écrire, il faut connaître la personne qui écrit, son histoire, son monde. Et il faut parler du genre littéraire qui constitue son moyen d’expression.
Je n’écris que pour le théâtre : les descriptions et les invocations à la lune ne m’intéressent pas. Au théâtre les mots sont les faits, les actes et les gestes que, sur un plateau un acteur répète (ré-cite) à l’intention du public gui suit l’action contenue dans — et je dirais véhiculée par — les mots du texte. C’est en lui que doit être présente « en puissance » toute la réalité théâtrale que le spectacle issu du texte actualise. Et au bout du compte, c’est le public qui boucle la boucle de l’interprétation, en se réunissant, en se rassemblant, en se mettant en harmonie avec les mots écrits à l’origine sur des carnets.
J’ai passé toute ma jeunesse à effectuer des travaux plus ou moins occasionnels. J’ai vécu dans les dépôts de gare, les marchés, les maisons délabrées, les dortoirs publics, les gares. J’ai entendu des voix, des plaintes, des hurlements, des blasphèmes, des invocations au Christ et à la madone. Je me suis gorgé d’argots, de dialectes : j’ai été comme transpercé par la langue des pauvres, qui est une langue sacrée : ni humaine, ni divine. Du coin de l’œil, j’ai perçu des vies absurdes : parmi tous ces gens, j’ai connu au moins un vrai poète. Il a fallu du temps avant qu’il me permette de lire ses poèmes qu’il gardait scellés dans une plaquette toute fripée et comme rongée par une fièvre jalouse : son unique bien, sa propriété, son domaine. Il n’a jamais voulu les publier : il les a emportés dans sa tombe. Le Poète Inconnu.
C’est pour cette raison qu’à l’âge de cinquante-trois ans, j’ai senti l’urgence de me rappeler ce monde et ces gens. La peinture en était venue à s’éloigner de moi, je n’en avais plus le désir, j’étais fatigué et déçu : je ne me ferais jamais piéger en faisant le décorateur de maisons de luxe. Autant laisser tomber. C’est ainsi que je me suis mis à pianoter sur une machine à écrire et que sont arrivés, très vite, trois ouvrages, trois écrits : STABAT MATER, LA PASSION SELON SAINT JEAN et LES VÊPRES DE LA SAINTE VIERGE. Dans ces trois premiers textes, l’action se déroule dans des lieux divers et dans des temps variés. Dans mon quatrième texte : LUSTRINI1, qui a été plus laborieux que les trois premiers, le cadre diégétique est plus rigoureux. Le temps de réalité et le temps du théâtre coïncident parfaitement, le lieu est unique : les trois unités du théâtre classique sont respectées.
Ces quatre textes ont tous été portés à la scène, toujours par le même metteur en scène, Chérif : la dernière fois, en novembre-décembre 1997, au théâtre Valle de Rome, les quatre se jouèrent à la suite.
La langue que j’utilise dans mes textes théâtraux est la langue que j’ai connue, que j’ai entendue, que j’ai même dû apprendre pour être accepté dans cette communauté exclusive. ( Grands dieux ! Il n’y a pas que dans les milieux de la haute qu’il est difficile de pénétrer.
- C’est le nom du personnage principal de la pièce, en français, cela veut dire « paillettes ». N.D.T ↩︎