POURQUOI Ie Théâtre du Royal Court qui existe depuis 1956 est-il aujourd’hui seulement et si soudainement au cœur du débat théâtral européen ? On peut désormais voir ses productions dans les plus grandes capitales, et en mai dernier, le jury du prix Europe pour le Théâtre de Taormina Arte lui a décerné le prix « Nouvelles Réalités » — d’une valeur de 20 000 euros. Comment expliquer que le Royal Court jusque là auréolé d’une reconnaissance modeste soit aujourd’hui dans toutes les bouches ?
La réponse la plus évidence est que le Royal Court a découvert ces cinq dernières années toute une série de jeunes auteurs donc les pièces one obtenu un succès immédiat : ANÉANTIS de Sarah Kane, SHOPPING AND FUCKING de Mark Ravenhill, et THE WEIR (Le barrage) de Conor McPherson, THE BEAUTY QUEEN OF LEENANE de Martin McDonagh, EAST IS EAST(récemment adapté avec succès au cinéma) de Ayub Khan-Din. On n’avait pas connu une telle vitalité de l’écriture théâtrale en Grande-Bretagne depuis les années 1950. Mais paradoxalement cette explosion d’énergie survient au moment où le Royal Court est techniquement sans lieu : ses vieux bâtiments de Sloane Square sont en cours de restauration, il a donc été contraint d’investir deux théâtres du West End de Londres. Mais l’exil n’en a qu’aiguisé son goût de l’aventure.
Reste la question : pourquoi tant de bonnes pièces sont-elles nées précisément ces cinq dernières années ? Je pense que les raisons sont tout à la fois pratiques et politiques. La raison pratique est que le nouveau directeur du Royal Court, Stephen Daldry, qui a succédé à Max Stafford-Clark en 1993, a décidé de revenir aux principes du père fondateur de la Maison, George Devine : créer le plus grand nombre possible de pièces et donner la priorité aux nouvelles voix. Malgré un budget prévu pour seulement huit créations par an, Daldry n’en a
monté pas moins de vingt. Il y est parvenu en se faisane sponsoriser par la Jerwood Foundation et en coproduisant certains spectacles avec le Royal National Theatre Studio. SHOPPING AND FUCKING de Mark Ravenhill a été présenté en association avec une compagnie itinérante, Out of Joint, dirigée par Max Stafford-Clark. La trilogie de Martin McDonagh sur l’Irlande rurale était également une coproduction avec la Druid Theatre Company du Pays de Galles. Invités toutes les deux ou trois semaines à voir un nouveau spectacle, les critiques vinrent nombreux, ce qui généra un sentiment d’effervescence créative.
Mais la raison pour laquelle tant de bonnes pièces one émergé au milieu des années 1990 quand beaucoup d’autres pays se plaignaient de famine artistique, tient pour beaucoup à la spécificité de la Grande-Bretagne. Dans les années 1980, le pays connut — peut-être devrait-on
dire subit — une révolution sociale, le Thatchérisme. La rentabilité comme ultime critère de valeur morale. La privatisation sauvage des services publics (gaz, eau, électricité). La main- mise sur les médias — surtout la presse et la télévision — par de grands capitalistes comme Rupert Murdoch. L’entreprise individuelle était encouragée et la notion de responsabilité commune tournée en dérision : selon le mot célèbre de Mm,Thatcher, « La société n’existe pas. » Mais les dramaturges qui one émergé dans les années 1990, bien qu’étant en un sens les enfants de Thatcher, ont rejeté catégoriquement les valeurs de la décennie passée.