Le théâtre doit-il avoir une mission politique?*

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Le théâtre doit-il avoir une mission politique?*

Le 1 Juil 1999

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Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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LA REPRÉSENTATION du 25 août 1830 à Brux­elles de l’opéra LE MUET DE PORTICI de Daniel Auber a don­né le sig­nal de l’in­sur­rec­tion con­tre le roy­aume des Pays-Bas, qui a abouti à la créa­tion de l’é­tat belge. Le rap­port entre la poli­tique et ce qui se passe sur scène existe, même s’il n’est pas tou­jours aus­si évi­dent que dans cet exem­ple. En Autriche, pays de théâtre par excel­lence, le théâtre et la poli­tique inter­agis­sent con­stam­ment. Le tas de fumi­er déver­sé sur les march­es du majestueux Burg the­ater de Vienne le 4 novem­bre 1988, à l’oc­ca­sion de la pre­mière de HELDEN PLATZ, une pièce de Thomas Bern­hard, enfant ter­ri­ble du pays, est un reflet de cette inter­ac­tion, bien qu’il s’agisse d’un geste peu sym­pa­thique. Un grand nom­bre d’au­teurs autrichiens, comme Thomas Bern­hard, Wern­er Schwab, Gus­tav Ernst, Alexan­der Wid­ner et Elfriede Jelinek, ont vécu et con­tin­u­ent à vivre une rela­tion d’amour et de haine telle­ment intense avec leur pays, qu’ils ne peu­vent s’empêcher de ten­dre con­stam­ment un miroir implaca­ble à leurs com­pa­tri­otes. Le texte « Lieben Sie Jelinek und Pey­mann oder Kun­st und Kul­tur ?» (Que préférez-vous : Jelinek et Pey­mann ou l’art et la cul­ture?), affiché partout par le par­tid’ex­trême droite FPO (Frei­heitliche Partei Ôster­re­ich) pen­dant les dernières élec­tions, témoigne du fait que ce miroir n’est pas appré­cié par tout le monde. La réponse sug­gérée est claire : votez pour Jorg Haider, chef du par­ti, qui se fera un plaisir d’or­gan­is­er des événe­ments cul­turels du genre fes­ti­val de folk­lore en cos­tumes tra­di­tion­nels et autres diver­tisse­ments inno­cents et apoli­tiques. À Anvers, une pièce de théâtre a récem­ment déchaîné les pas­sions. Fil­ip Dewin­ter, leader du par­ti d’ex­trême droite fla­mand « Vlaams Blok », a protesté vigoureuse­ment et même engagé une action en jus­tice con­tre la nou­velle troupe de théâtre « Het Toneel­huis » à cause des actes de mas­tur­ba­tion et d’inces­te per­pétrés sur scène dans LIEFHEBBER (Ama­teur), une pièce de théâtre de l’au­teur néer­landais Ger­ard­jan Rijn­ders, représen­té~ à l’oc­ca­sion de la ren­trée. Pour M. Dewin­ter, la grav­ité d~ ces actes est une rai­son suff­isante de priv­er la nou­velle troupe de toute sub­ven­tion, alors que ce sont des affaires de meurtre comme celle de la « Bande de Niv­elles » et comme « l’af­faire Dutroux » qui con­stituent la véri­ta­ble réal­ité poli­tique et sociale du pays.

Le théâtre doit-il avoir un car­ac­tère poli­tique, ou l’a-t-il déjà ? Quoi qu’on en dise, le théâtre est poli­tique de nature. Pen­dant des siè­cles, il a servi d’in­stru­ment de pro­pa­gande, tan­tôt pour l’église catholique, tan­tôt pour la classe dirigeante européenne désireuse de mon­tr­er à quel point elle était civil­isée : un vrai mod­èle d’hu­man­isme. Cela a duré jusqu’au dix-huitième siè­cle, où la bour­geoisie européenne a com­mencé à utilis­er le théâtre comme instru­ment d’é­man­ci­pa­tion : le théâtre en tant qu’in­sti­tu­tion morale. Le théâtre a donc fini par s’é­manciper et par occu­per une place autonome dans la société occi­den­tale. Le débat poli­tique, et par con­séquent moral, est devenu pub­lic au dix-neu­vième siè­cle et dan ce débat, le théâtre n’a cessé de jouer le rôle de cri­tique. Au siè­cle présent, le théâtre est à nou­veau poli­tique, parce qu’il con­tribue au débat pub­lic en mon­trant aux spec­ta­teurs ce qu’ils préfèrent ne pas voir.

Dans la pre­mière moitié de ce siè­cle, Arthur Schnit­zler a écrit, entre autres, son PROFESSEUR BERNHARDI, une œuvre dans laque­lle l’an­tisémitisme catholique latent, partout présent en Autriche et notam­ment à Vienne, est dénon­cé, peu avant que le mon­stre anti­sémite ne se réveille vrai­ment. Antonin Artaud n’a-t-il pas mon­tré des car­cass­es sanglantes sur scène pour nous rap­pel­er d’où provient le bifteck « cuit à point » auquel nous sommes habitués ?

En ce moment, à la fin du siè­cle le plus meur­tri­er de l’his­toire de l’hu­man­ité, à l’aube d’un nou­veau mil­lé­naire le devoir prin­ci­pal du dra­maturge et du met­teur en scène est d’as­sumer ses respon­s­abil­ités, ce qui sig­ni­fie prob­a­ble­ment aller fouiller dans les recoins les plus obscurs de l’âme humaine. À l’é­gard de toutes les infor­ma­tions dont nous dis­posons, les scènes de théâtre bucol­iques ou les comédies de mœurs, dans lesquelles une fille à moitié dévêtue se cache der­rière chaque porte, n’ont plus beau­coup de sens.

Le théâtre a cessé d’être un diver­tisse­ment dans une société où les hommes poli­tiques ne s’oc­cu­pent plus que d’é­conomie, où les gou­verne­ments ne font plus que tramer des com­plots néo­cap­i­tal­istes avec leurs citoyens, où la reli­gion, tournée en déri­sion, est lais­sée au bord de la route, où la sci­ence se sui­cide dans sa quête d’im­mor­tal­ité et où les valeurs morales sont fournies par des médias qui ne voient pas plus loin que la cupid­ité et l’é­go­cen­trisme sans borne.

Le théâtre a cessé d’être un diver­tisse­ment. Le domaine du diver­tisse­ment appar­tient désor­mais aux médias. Certes, nom­breuses sont les pièces de théâtre du réper­toire mod­erne qui sus­ci­tent encore l’hi­lar­ité et le fou rire, mais il ne s’ag­it que d’un embal­lage visant à séduire. Dès que le spec­ta­teur se donne la peine de réfléchir, il éprou­vera tou­jours un choc.

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