C’EST L’HISTOIRE D’UN HOMME qui écrivait ma femme en un mot. Le sens se solidifiait dans une possession immanente. Celle qui enseignait le français à cet homme lui apprit qu’elle resterait sa femme même s’il séparait les deux mots. Il lui sourit d’avoir compris la force d’un sens précipité en lui pour former une seule entité claire et fragile comme le cristal, ma femme, un précipité de pierre précieuse, une image pieuse recueillie au fond de lui et transmise comme telle à celle qui lui apprenait la syntaxe.
Nous sommes comme cet homme occupés à solidifier du sens inédit, dans la combinatoire du rêve et du doute, de la crainte et du désir. Nous écoutons les mots tomber en nous à leur façon car ils forment chaîne et mémoire dans leur chute. Écrire est pour moi refaire le trajet des mots, des scènes ou des images qui, tout d’un coup, font sens car ils éclairent à leur faible lumière la perspective d’un chemin. Écrire est alors s’engager sur ce chemin.
J’écris par l’oreille. Le sens est dans le son. Dans le son de ces mots qui bruissent autour de nous et qu’il suffit d’entendre tels qu’ils nous sont donnés. Il y a toujours au départ d’un texte l’histoire de quelqu’un qui s’illustre dans très peu de choses mais ce très peu est le début d\m premier chapitre qui s’ouvre sur la métaphore d’une scène, d’un geste ou d’un mot. Le début est une lettrine, qui contient le sens ouvert d’une suite. Ce visage de quelqu’un qui avait un sourire gravé dans le visage, même quand il lisait, même quand il dormait et que les professeurs soupçonnaient d’un interminable et sournois complot. Une traînée de sucre qui ne se diluait pas et qui portait atteinte à la plus vive de ses émotions car, même souffrant, il souriait. L’un part à la recherche frénétique d’un symbole qui liera sa vie, tel autre est sur la route d’un passé familial qui lui échappe et dont il veut retendre la toile. Nous sommes tous les brodeurs du sens, les Pénélope attentives à la venue de la nuit pour nous désengager de la prégnance d’une promesse ; écrire est refaire du sens avec une anecdote qu’il s’agit de porter à l’incandescence d’une enluminure.
Écrire est donc écouter. Vivre est écouter. Je bois à cette source oblique qui me remplit des vies que je n’ai pas. J’assemble alors, je transpose, cela me transporte. Tout est dans ce crans de la transmission qui peut devenir une transe au sens où elle emporte au cœur du fleuve humain et délivre alors le message d’un presque rien,
le précipité de sens sous forme de caillou qui me reste en mains au cœur de l’eau, l’inquiétude de cet homme qui, changeant de langue, voulait préserver sa femme de ce qui ne serait pas lui, comme si la langue étrangère pouvait conjurer le risque d’exister. Écrire conjure le risque d’exister.