Avant-propos

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Avant-propos

Le 1 Nov 2000
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
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Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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Dans ce con­texte de la récente remise en ques­tion de la mar­i­on­nette par le monde théâ­tral, les mar­i­on­net­tistes ambi­tion­nent pour leur art une posi­tion impor­tante, voire dom­i­nante (!), au sein des arts du spec­ta­cle du siè­cle qui s’annonce, en revendi­quant sa nature intrin­sèque­ment trans­ver­sale et sa capac­ité à s’adapter aux nou­veaux médias. Mais pourquoi ce besoin de recon­nais­sance, ce désir de reval­ori­sa­tion ? Juste­ment, sans doute, parce que la mar­i­on­nette en occi­dent a tou­jours occupé une place mar­ginale depuis l’antiquité et encore de nos jours.

Il est vrai que le vingtième siè­cle témoigne de trans­for­ma­tions rad­i­cales, et dans la pra­tique de l’art de la mar­i­on­nette, et dans les façons mul­ti­ples de théoris­er cet art. Mais, si les artistes de ce siè­cle ont ori­en­té de plus en plus leurs pra­tiques vers des formes ten­ant de la mar­i­on­nette, c’est avant tout parce qu’elle représente une alter­na­tive aux con­ven­tions habituelles de la scène nat­u­ral­iste. Sa puis­sance d’expression réside juste­ment dans sa mar­gin­al­ité et dans sa dif­férence.

Textes sacrés

L’impulsion con­sis­tant à s’approprier la mar­i­on­nette comme nou­v­el out­il d’expression appa­raît déjà dans les dif­férentes avant-gardes du début du siè­cle : expres­sion­nisme, futur­isme, sur­réal­isme… et les nou­velles ten­dances dans le monde de la mar­i­on­nette con­tin­u­ent à se val­oris­er en affir­mant leur par­en­té avec ces mou­ve­ments.

Par­al­lèle­ment, l’évolution des nou­velles théories de la mar­i­on­nette à tra­vers ce siè­cle a pris appui sur deux textes incon­tourn­ables, devenus « sacrés », et cités à plusieurs repris­es dans les arti­cles qui vont suiv­re.
D’une part celui de Kleist, l’essai SUR LE THÉÂTRE DE MARIONNETTES, écrit en 1810, et d’autre part, celui de Craig, L’ACTEUR ET LA SUR-MARIONNETTE, datant de 1905.

La sug­ges­tion la plus rad­i­cale du texte de Kleist prône la supéri­or­ité de la mar­i­on­nette sur le danseur en chair et en os, une idée adop­tée et dévelop­pée un siè­cle plus tard par Craig au point de pro­pos­er le rem­place­ment total de l’acteur humain au théâtre par ce qu’il appelle la « sur-mar­i­on­nette » ou la « super-mar­i­on­nette ».

Déjà dans les expéri­ence du Bauhaus, ces deux textes fai­saient explicite­ment fig­ures de références théoriques, notam­ment au tra­vers des réflex­ions d’Oskar Schlem­mer dans son pro­pre man­i­feste pour un nou­veau théâtre, L’HOMME ET LA FIGURE D’ART, aujourd’hui sur le point de devenir un troisième texte sacré.

La part humaine

Au début du siè­cle, les dis­cours sur la mar­i­on­nette, men­acée par des nou­veaux moyens de repro­duc­tion mécanique, ont sus­cité chez les pra­ti­quants de cet art une volon­té d’affirmer la part du vivant, autrement dit la présence humaine auprès de la mar­i­on­nette.

Les mar­i­on­net­tistes com­mencèrent à sor­tir de leur castelet, d’abord pour faire la démon­stra­tion de leur vir­tu­osité, et plus implicite­ment pour sig­ni­fi­er que la mar­i­on­nette était plus qu’une machine, qu’un auto­mate. Le mar­i­on­net­tiste manip­ulerait sa mar­i­on­nette comme le musi­cien jouerait de son instru­ment.

Mais c’est la ren­con­tre avec les tra­di­tions asi­a­tiques, pro­gres­sive­ment décou­vertes en Europe au milieu du siè­cle (et surtout avec la mar­i­on­nette japon­aise du bun­raku), qui va provo­quer un nou­v­el élan artis­tique. Elle offre en effet aux mar­i­on­net­tistes le mod­èle d’une inter­pré­ta­tion leur per­me­t­tant d’être « invis­i­ble­ment vis­i­bles » sur scène, et de con­tin­uer dans la voie esthé­tique d’un théâtre illu­sion­niste. À par­tir des années 60, le style du bun­raku prend rapi­de­ment le pas sur les autres pra­tiques de la mar­i­on­nette de tra­di­tion européenne.

Mais l’apparition du manip­u­la­teur hors de l’ombre des couliss­es va bien­tôt sub­ver­tir ces inten­tions illu­sion­nistes et con­tribuer à faire évoluer la mar­i­on­nette de la fig­u­ra­tion du corps humain vers un par­ti pris beau­coup plus « présen­tatif ».

Réalisme et abstraction

La mar­i­on­nette pra­tiquée en Europe était en effet surtout au ser­vice d’une esthé­tique réal­iste, son objec­tif prin­ci­pal étant de fab­ri­quer une illu­sion de vie, et à cette fin la tech­nique par excel­lence était la mar­i­on­nette à fils. Celle-ci, tout en ten­tant de simuler ou d’idéaliser la forme et les mou­ve­ments de son mod­èle, le corps humain, devait aus­si créer une illu­sion d’autonomie vis-à-vis de son manip­u­la­teur caché. Mais les pre­mières expéri­ences du début du siè­cle vont réori­en­ter la mar­i­on­nette vers l’abstraction, et on assiste même à une remise en valeur des tra­di­tions comme celle de la mar­i­on­nette à gaine européenne, juste­ment à cause de sa styl­i­sa­tion innée (son manque de réal­isme mor­phologique et gestuel), jugée jusqu’alors comme trop « prim­i­tive ». Cet aspect prim­i­tif devient, tout d’un coup, plutôt une qual­ité qu’un défaut. Si un artiste comme Oskar Schlem­mer a préféré façon­ner ses fig­ures de danseurs avec des pro­thès­es, au lieu d’utiliser des mar­i­on­nettes au sens strict, c’est, en grande par­tie et ironique­ment, parce que la mar­i­on­nette de son époque était trop réal­iste.

Figure(s) emblématique(s)

Les années 60 ont pro­fondé­ment mar­qué l’histoire de la mar­i­on­nette, renou­ve­lant fon­da­men­tale­ment ses repères en ouvrant la porte à l’exploration de nou­velles formes et de nou­velles dra­matur­gies.

Par la suite, cer­tains artistes, représen­tants de pra­tiques « sérieuses » (dans le sens expéri­men­tal de leurs recherch­es), ont ten­té d’échapper au terme même de mar­i­on­nette afin d’éviter son asso­ci­a­tion avec le théâtre pour l’enfance, ain­si que son assim­i­la­tion (jugée kitsch) au cabaret et au music-hall. Il y a eu de nom­breux efforts pour trou­ver d’autres appel­la­tions, par­mi lesquelles les ter­mes Fig­urenthe­ater en Alle­magne, ou teatro di figu­ra en Ital­ie, qui restent encore aujourd’hui les expres­sions les plus courantes pour le théâtre de mar­i­on­nettes dans ces pays. Ces ter­mes n’ont pour­tant jamais trou­vé leur équiv­a­lent en français, ni en anglais, et ils se sont par ailleurs révélés assez vite obsolètes, notam­ment du point de vue théorique, car val­orisant une con­cep­tion de la mar­i­on­nette con­sid­érée comme « fig­ure » de l’homme, quand les notions mêmes de fig­u­ra­tion et de représen­ta­tion allaient bien­tôt être remis­es en cause.

L’objet du théâtre

À par­tir des années 70, les expéri­men­ta­tions des mar­i­on­net­tistes com­men­cent à se con­fon­dre de plus en plus avec celles du mou­ve­ment « per­for­mance art » et, dans le milieu même de la mar­i­on­nette va naître une ten­dance encore plus rad­i­cale et abstraite appelée « théâtre d’objets ». Cette ten­dance a provo­qué un véri­ta­ble boule­verse­ment dans les pra­tiques de la mar­i­on­nette et s’est accom­pa­g­née de nou­velles ten­ta­tives théoriques pour redéfinir le terme de mar­i­on­nette et son champ d’expression. Dès lors et jusqu’à aujourd’hui, ce champ est devenu si large que des formes ini­tiale­ment issues de la danse et des arts visuels s’y rat­tachent désor­mais, et les mar­i­on­net­tistes actuels sont aus­si bien dis­posés à affirmer leur par­en­té avec des artistes de Fluxus que des mar­i­on­net­tistes clas­siques de Guig­nol ou autres…

Les nou­veaux aspects « présen­tat­ifs » d’un théâtre de mar­i­on­nettes redéfi­ni comme théâtre d’objets, ont pro­duit une focal­i­sa­tion plus accen­tuée sur le mar­i­on­net­tiste ou « per­former », qui occupe de plus en plus un rôle cen­tral dans le spec­ta­cle. Ain­si la dernière décen­nie du siè­cle a vu s’affirmer une ten­dance crois­sante à met­tre le corps du mar­i­on­net­tiste et celui de la mar­i­on­nette dans un rap­port réciproque d’égalité et d’échange. Sur ce point-ci, le théâtre de mar­i­on­nettes rejoint les ten­dances par­al­lèles de la danse et du théâtre dra­ma­tique qui, dans leur pro­pre évo­lu­tion, se sont pro­gres­sive­ment appro­priés des lan­gages de la mar­i­on­nette ou la mar­i­on­nette elle-même comme acces­soire ou comme dou­ble de l’acteur.

La marionnette comme alternative théâtrale

Les arti­cles de ce numéro reflè­tent cer­tains des résul­tats et des inter­ro­ga­tions autour de ces développe­ments, dans une dou­ble per­spec­tive : la mar­i­on­nette regarde le théâtre, le théâtre regarde la mar­i­on­nette.

On y retrou­ve d’abord Dario Fo, un des pre­miers grands noms du théâtre à avoir fait entr­er la mar­i­on­nette, avec le masque et d’autres formes pop­u­laires, dans sa pra­tique théâ­trale, et qui, comme Peter Schu­mann et Tadeusz Kan­tor, a com­mencé sa car­rière dans les arts visuels, démarche à laque­lle l’exposition rétro­spec­tive de son œuvre, récem­ment présen­tée par l’Institut Inter­na­tion­al de la Mar­i­on­nette, a voulu ren­dre hom­mage.

Ce sont ensuite des regards pra­tiques et théoriques qui s’entrecroisent dans leurs ten­ta­tives de situer la mar­i­on­nette par rap­port aux formes de théâtre plus clas­siques, et surtout par rap­port à l’acteur. Le thème du dou­ble se révèle omniprésent et récur­rent : la mar­i­on­nette comme dou­ble du corps humain, dou­ble de l’acteur, dou­ble du per­son­nage, dou­ble d’elle-même ; le théâtre de mar­i­on­nettes comme sys­tème de dédou­ble­ment jusqu’à la mise en abîme.

L’acteur fait aus­si l’objet d’une série de réflex­ions sur la styl­i­sa­tion de son jeu poussé au comble de l’artifice, roy­aume de la mar­i­on­nette, et les idéaux de Kleist et Craig imprèg­nent l’ensemble de ces témoignages… avec comme dénoue­ment le geste ultime d’Ariane Mnouchkine, qui fait lit­térale­ment assumer à ses acteurs le rôle de mar­i­on­nettes.

Enfin, les expéri­ences de la mar­i­on­nette au théâtre attes­tent de la recherche des codes qui lui sont spé­ci­fiques, dans un va-et-vient per­ma­nent entre les con­ven­tions du théâtre d’acteurs et celles du théâtre de mar­i­on­nettes.

Que fait la mar­i­on­nette au théâtre et que fera-t-elle au théâtre dans l’avenir ? Il n’y a pas de con­sen­sus appar­ent, mais les pré­dic­tions qui affleurent au fur et à mesure de ces textes, con­fir­ment au moins que la mar­i­on­nette, à la fin du vingtième siè­cle, a effec­tive­ment assuré sa recon­nais­sance au sein des arts du spec­ta­cle, ce qui n’était pas le cas un siè­cle aupar­a­vant. Le récent par­cours de la mar­i­on­nette a été en somme sans pareil dans l’histoire de cet art. Elle a gag­né sa place, et sa récur­rence accrue laisse imag­in­er qu’elle sera de plus en plus présente par­mi nous.

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Roman Paska
Roman Paska est auteur, marionnettiste et metteur en scène. Il dirige l’Institut International de la...Plus d'info
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