A trente-trois ans, libérée d’un « devoir d’obéissance envers sa famille, parents et enfant réunis », Émilie Valantin a osé s’adonner à ce qu’elle avait envie de faire. Sans passé artistique, elle choisit donc de devenir marionnettiste : « La marionnette m’a permis de disposer de moi-même et je n’ai pas hésité un instant entre le théâtre et la danse. » L’idée d’être cantatrice l’a tout de même effleurée. Mais c’est au service de la manipulation qu’Émilie Valantin a réuni ses compétences et ses connaissances, des études universitaires de lettres, l’enseignement de l’espagnol mais aussi des cours de couture professionnels et un amateurisme acharné à sculpter, bricoler et modeler.
Le choix des langages : manipulation et texte
La grande dame de la marionnette française – adorée ou haïe, c’est selon – œuvre à sa passion depuis vingt- cinq ans. Cent fois sur le métier remettant leur ouvrage, elle et ses compagnons ont acquis une technique irréprochable au service d’un théâtre de marionnettes salué autant par les spécialistes que par les « généralistes » du spectacle vivant. Ses passages répétés au festival d’Avignon ou au théâtre de l’Odéon en font la preuve.
Formée pendant un an par Robert Bordenave et Mireille Antoine au sein de leur compagnie lyonnaise, (Marionnette 65), elle s’est frottée à la fabrication de la marotte à tiges. Ces comédiens professionnels ont tout juste eu le temps de lui transmettre le goût de la méticulosité et de l’adaptation de textes – étant eux-mêmes parmi les premiers marionnettistes à en jouer. De ses cours d’expression orale et corporelle, pris parallèlement dans le cadre d’associations d’éducation populaire, elle ne se rappelle qu’avec exaspération des heures de relaxation avant d’attaquer un texte…
Perfectionniste, elle créa donc le Théâtre du Fust en 1975 avec Nathalie Roques (aujourd’hui manipulatrice et metteur en scène d’une compagnie pour jeune public). Une tacite charte les a aussitôt conduites à jouer des spectacles pour adultes et non muets – les spectacles visuels sans paroles étant fréquents chez les marionnet- tistes. Émilie Valantin n’a jamais dérogé à ces principes. Les premières mises en scène trahissent déjà un penchant pour le mutin – mutin, adj. : espiègle, malicieux ; mutin, nom commun : personne qui se mutine, se révolte. Elles ont en effet commencé par adapter des contes grivois de La Fontaine, et POURQUOI TU PLEURES ?, de Vasili Alexakis, membre du groupe Oulipo. Il y est question d’un vieux célibataire qui use de toutes les ruses pour que l’enfant qu’on lui a confié soit malencontreu- sement victime d’un accident.
Depuis, la compagnie a monté une vingtaine de spectacles d’où sont bannies les notions du bien-pensant et du politiquement correct. En revanche, la satire et l’ironie y tiennent bonne place : « Où y’a de la gaine, y’a du plaisir » – dirait le marionnettiste Alain Lebon. Distribués avec parcimonie, les excès de verbe ou de jeu ne sont pas interdits, mais seulement s’ils viennent ponctuer d’incidents le parcours d’une mise en scène parfaitement maîtrisée. Émilie Valantin dit avoir « commis » quelques textes. Elle a plus souvent trouvé son bonheur dans des œuvres littéraires d’écrivains tels Ovide, Italino Calvino, Pierre Corneille, Daniil Harms ou Christian Dietrich Grabbe.
Un fil rouge relie ces créations : la virtuosité de la manipulation au service d’un contenu textuel, le goût pour l’insolence et le rire. Pour parvenir à cette qualité artistique, les membres de la compagnie ont mûri une réflexion sur la « grammaire de manipulation1 » qu’ils pratiquent depuis des années.
La marionnette comme technique d’expression
Contrairement à une tendance contemporaine à faire « marionnette de tout », – en référence à Vitez mais en allusion au théâtre d’objets –, les artistes du Fust utilisent des techniques de manipulation repérables. « Peu de gens utilisent la marionnette à gaine ou à fils. J’aime bien – confesse Émilie – prendre une marionnette qui a la réputation d’être ringarde pour me réapproprier la virtuosité et voir progressivement ce que je peux en faire. » Le choix des techniques de manipulation ou des matières utilisées pour la fabrication des marionnettes est principalement lié aux exigences scénographique et dramaturgique. L’étude stylistique, l’approche psychologique des personnages, la gestuelle induite par la fable constituent autant d’éléments déterminants de l’action qui induiront le choix d’une marionnette plutôt que d’une autre. Un casting de pantins ressemble à une audition pour comédiens, à ceci près qu’on ne peut que sélectionner ces derniers et modeler les premiers plus ou moins à son gré.