La langue des pantins ou l’univers d’Émilie Valantin

La langue des pantins ou l’univers d’Émilie Valantin

Le 22 Nov 2000
J’AI GÊNÉ ET JE GÊNERAI de Daniil Harms, mise en scène Émilie Valantin, 1994.
J’AI GÊNÉ ET JE GÊNERAI de Daniil Harms, mise en scène Émilie Valantin, 1994.

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J’AI GÊNÉ ET JE GÊNERAI de Daniil Harms, mise en scène Émilie Valantin, 1994.
J’AI GÊNÉ ET JE GÊNERAI de Daniil Harms, mise en scène Émilie Valantin, 1994.
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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A trente-trois ans, libérée d’un « devoir d’obéissance envers sa famille, par­ents et enfant réu­nis », Émi­lie Valan­tin a osé s’adonner à ce qu’elle avait envie de faire. Sans passé artis­tique, elle choisit donc de devenir mar­i­on­net­tiste : « La mar­i­on­nette m’a per­mis de dis­pos­er de moi-même et je n’ai pas hésité un instant entre le théâtre et la danse. » L’idée d’être can­ta­trice l’a tout de même effleurée. Mais c’est au ser­vice de la manip­u­la­tion qu’Émilie Valan­tin a réu­ni ses com­pé­tences et ses con­nais­sances, des études uni­ver­si­taires de let­tres, l’enseignement de l’espagnol mais aus­si des cours de cou­ture pro­fes­sion­nels et un ama­teurisme acharné à sculpter, bricol­er et mod­el­er.

Le choix des langages : manipulation et texte

La grande dame de la mar­i­on­nette française – adorée ou haïe, c’est selon – œuvre à sa pas­sion depuis vingt- cinq ans. Cent fois sur le méti­er remet­tant leur ouvrage, elle et ses com­pagnons ont acquis une tech­nique irréprochable au ser­vice d’un théâtre de mar­i­on­nettes salué autant par les spé­cial­istes que par les « général­istes » du spec­ta­cle vivant. Ses pas­sages répétés au fes­ti­val d’Avignon ou au théâtre de l’Odéon en font la preuve.

For­mée pen­dant un an par Robert Bor­de­nave et Mireille Antoine au sein de leur com­pag­nie lyon­naise, (Mar­i­on­nette 65), elle s’est frot­tée à la fab­ri­ca­tion de la marotte à tiges. Ces comé­di­ens pro­fes­sion­nels ont tout juste eu le temps de lui trans­met­tre le goût de la métic­u­losité et de l’adaptation de textes – étant eux-mêmes par­mi les pre­miers mar­i­on­net­tistes à en jouer. De ses cours d’expression orale et cor­porelle, pris par­al­lèle­ment dans le cadre d’associations d’éducation pop­u­laire, elle ne se rap­pelle qu’avec exas­péra­tion des heures de relax­ation avant d’attaquer un texte…

Per­fec­tion­niste, elle créa donc le Théâtre du Fust en 1975 avec Nathalie Roques (aujourd’hui manip­u­la­trice et met­teur en scène d’une com­pag­nie pour jeune pub­lic). Une tacite charte les a aus­sitôt con­duites à jouer des spec­ta­cles pour adultes et non muets – les spec­ta­cles visuels sans paroles étant fréquents chez les mar­i­on­net- tistes. Émi­lie Valan­tin n’a jamais dérogé à ces principes. Les pre­mières mis­es en scène trahissent déjà un pen­chant pour le mutin – mutin, adj. : espiè­gle, mali­cieux ; mutin, nom com­mun : per­son­ne qui se mutine, se révolte. Elles ont en effet com­mencé par adapter des con­tes grivois de La Fontaine, et POURQUOI TU PLEURES ?, de Vasili Alex­akis, mem­bre du groupe Oulipo. Il y est ques­tion d’un vieux céli­bataire qui use de toutes les rus­es pour que l’enfant qu’on lui a con­fié soit malen­con­treu- sement vic­time d’un acci­dent.

Depuis, la com­pag­nie a mon­té une ving­taine de spec­ta­cles d’où sont ban­nies les notions du bien-pen­sant et du poli­tique­ment cor­rect. En revanche, la satire et l’ironie y tien­nent bonne place : « Où y’a de la gaine, y’a du plaisir » – dirait le mar­i­on­net­tiste Alain Lebon. Dis­tribués avec parci­monie, les excès de verbe ou de jeu ne sont pas inter­dits, mais seule­ment s’ils vien­nent ponctuer d’incidents le par­cours d’une mise en scène par­faite­ment maîtrisée. Émi­lie Valan­tin dit avoir « com­mis » quelques textes. Elle a plus sou­vent trou­vé son bon­heur dans des œuvres lit­téraires d’écrivains tels Ovide, Ital­i­no Calvi­no, Pierre Corneille, Dani­il Harms ou Chris­t­ian Diet­rich Grabbe.

Un fil rouge relie ces créa­tions : la vir­tu­osité de la manip­u­la­tion au ser­vice d’un con­tenu textuel, le goût pour l’insolence et le rire. Pour par­venir à cette qual­ité artis­tique, les mem­bres de la com­pag­nie ont mûri une réflex­ion sur la « gram­maire de manip­u­la­tion1 » qu’ils pra­tiquent depuis des années.

La marionnette comme technique d’expression

Con­traire­ment à une ten­dance con­tem­po­raine à faire « mar­i­on­nette de tout », – en référence à Vitez mais en allu­sion au théâtre d’objets –, les artistes du Fust utilisent des tech­niques de manip­u­la­tion repérables. « Peu de gens utilisent la mar­i­on­nette à gaine ou à fils. J’aime bien – con­fesse Émi­lie – pren­dre une mar­i­on­nette qui a la répu­ta­tion d’être ringarde pour me réap­pro­prier la vir­tu­osité et voir pro­gres­sive­ment ce que je peux en faire. » Le choix des tech­niques de manip­u­la­tion ou des matières util­isées pour la fab­ri­ca­tion des mar­i­on­nettes est prin­ci­pale­ment lié aux exi­gences scéno­graphique et dra­maturgique. L’étude styl­is­tique, l’approche psy­chologique des per­son­nages, la gestuelle induite par la fable con­stituent autant d’éléments déter­mi­nants de l’action qui induiront le choix d’une mar­i­on­nette plutôt que d’une autre. Un cast­ing de pan­tins ressem­ble à une audi­tion pour comé­di­ens, à ceci près qu’on ne peut que sélec­tion­ner ces derniers et mod­el­er les pre­miers plus ou moins à son gré.

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Émilie Valantin
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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