Francis Peduzzi : Le géant et le petit géant appartiennent-ils au monde des marionnettes ?
Jean-Luc Courcoult : Oui, ce sont des marionnettes, si on pense celles-ci comme des objets manipulés par des mains, à l’aide de ficelles et de mécanismes qui leur donnent vie. Mais ce sont davantage que des marionnettes : ce sont des personnages réels à qui on parle. Tous ceux qui aiment leurs marionnettes leur parlent… Ce sont donc de grandes marionnettes. Pourtant, autant j’arrive à dire que les PETITS CONTE NÈGRES empruntent à la marionnette, autant ça me gêne un peu de parler de marionnettes avec l’histoire des géants. L’approche et l’impact sont différents. Nous sommes beaucoup plus dépassés, physiquement, dans le cœur et par les réactions bouleversantes du public.
F. P. : En comparaison, on pourrait dire que les PETITS CONTES NÈGRES étaient une expérience de marionnettes classiques. Comment est venu le désir de les utiliser ?
J.-L. C.: On est venu à la marion- nette tout simplement parce que nous vivions dans des villages en Afrique où l’on ne parlait pas la même langue. La technique des marionnettes, – nous n’en n’avions jamais utilisées auparavant, mise à part l’histoire des géants, mais c’était différent –, nous permettait de nous faire comprendre des gens qui étaient autour de nous. En regardant les Africains, je me suis aperçu qu’ils étaient tout autant fascinés par le spectacle que par la machinerie : ils voulaient voir et comprendre comment ça fonctionnait. C’était un défi que nous n’avions jamais relevé. Je n’en menais pas large au début. Il y a tellement de gens qui s’y étaient confrontés avant. Et puis dès qu’on est dans le travail, ça n’importe plus. On n’est plus dans la comparaison mais dans l’action. La réussite du spectacle, la qualité et le fonctionnement des marionnettes prenaient le pas sur le reste.
F. P. : En passant de l’Afrique à l’Europe, as-tu changé des éléments du spectacle ?
J.-L. C.: Un tiers du spectacle a été trouvé là-bas et on ne l’a pas changé du tout. En arrivant en Europe, j’ai construit d’autres histoires qui parlent davantage aux Européens. Les contes les plus aboutis, résultat d’un travail de six mois, je les ai conservés et j’ai ensuite développé les suivants. Même des contes qu’on aurait du mal à présenter en Afrique : par exemple l’histoire des Couloirs du plaisir, conte qui revêt une dimension érotique. Les Africains ne sont pas habitués à ce genre d’images. Ce serait leur faire quelque peu violence, alors que nous, nous en rions. Si maintenant je devais transporter le spectacle en Afrique, je serais obligé de le changer.
F. P. : C’était la première fois que tu te confrontais à ce type de travail. Qu’y as-tu découvert ?
J.-L. C.: Comme dans toute forme d’art, la marionnette offre des possibilités qui sont infinies. Tout dépend de sa propre imagination. Ce qui était beau, c’était de découvrir que les techniciens (bien qu’au Royal, les distinctions technicien / acteur ne soient pas très claires) étaient parfois bien plus doués que les acteurs pour la manipulation. Sans généraliser non plus : il y avait des acteurs très doués et des techniciens très mauvais aussi. Dans tout travail artistique, on a tendance à codifier les mécanismes d’expression, ce qui ne m’intéresse pas trop. Les professeurs disent : « c’est comme ça qu’il faut faire et pas autrement » et ce faisant, passent à côté de beaucoup de choses. Je crois qu’il n’y pas de vérité définitive dans ce domaine. Tout est fait pour se déformer et être déformé. Il y a certainement des principes fondamentaux, mais ceux-ci, on les retrouve dans le travail de répétitions et pendant les représentations. J’ai donc préféré me débrouiller tout seul et apprendre en avançant. Nous nous sommes obligés à découvrir par nous-mêmes et à nous inventer notre propre système. Et parfois certains marionnettistes sont venus nous faire part de leur étonnement, nous avions réussi à les surprendre.
F. P. : Comment s’est déroulée la construction des marionnettes ?
J.-L. C.: Je me suis plongé dans l’étude et j’ai lu beaucoup de livres. J’ai vu qu’il existait différentes techniques et j’ai choisi un esprit proche des marionnettes chinoises et japonaises. Au Japon, il y a plusieurs manipulateurs par marionnette : pour les bras, pour
les pieds… Faire vivre un personnage en étant plusieurs autour correspond davantage à mon tempérament et à celui, je crois, de Royal de Luxe. Même si ce qu’on en a fait reste très différent des marionnettes japonaises.
F. P. : Votre dernier spectacle, LES CHASSEURS DE GIRAFES, s’inscrit-il toujours dans ce regard sur l’Afrique ?
J.-L. C.: Ce spectacle, histoire du petit géant avec la girafe et son girafeau, représente le dernier volet africain, celui qui ne parle que de l’Afrique. Maintenant je pense que le petit géant ne peut pas disparaître comme ça. L’Afrique sera toujours là, mais peut-être qu’elle se mélangera davantage avec d’autres choses. En fait, on ne fait que parler de ce qu’on a croisé. On ne se sent la possibilité de parler que de ce qu’on a rencontré. Je ne me sens encore absolument pas de parler de la Chine.
F. P. : Pour ce futur projet du Royal de Luxe en Chine, tu vas repartir sur la même trame artistique qu’en Afrique ?
J.-L. C.: Oui, mais ça va sans doute être un autre mélange. D’abord on va être plus nombreux : nous étions une quinzaine sur le projet en Afrique, là, nous allons être trente. Il y aura six ou sept Chinois en plus des Africains et des Européens. Peut-être qu’il y aura plus de mélange dans le jeu théâtral entre les acteurs et les marionnettes.