Les collines du silence
Réflexion

Les collines du silence

Le 24 Avr 2001
Collines du Rwanda. Photo Solidarité Internationale.
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Collines du Rwanda. Photo Solidarité Internationale.
Collines du Rwanda. Photo Solidarité Internationale.
Article publié pour le numéro
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives ThéâtralesRwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68

L’HOMME SE TAIT, son silence s’ajoute à d’autres silences. Il savait. Tout le monde savait. Il médite sur ces silences, celui de la com­plic­ité, celui de la honte, le silence de la stu­peur ou de l’aveuglement, du racisme.
Le silence des vic­times, celui des bour­reaux, la peur de dire, celle de savoir. Nos résis­tances. Pri­mo Levi dans SI C’EST UN HOMME racon­te com­ment à son retour des camps, les gens se détour­naient quand il essayait d’évoquer ce qu’il avait vu et enduré. Oui, les collines se sont tues. Quiconque voy­age dans la déso­la­tion du Rwan­da en ces jours d’avril à juil­let 1994 pense aux rav­ages de la bombe à neu­trons face à l’absence de vie humaine dans des vil­lages naguère bour­don­nants. Seuls les rescapés, par­tis très loin, enten­dent encore les os cra­quer sous les coups de machette ou les gémisse­ments s’élever avec la nuit, quand l’obscurité deve­nait cam­ou­flage. Tout ici est désert. L’homme main­tenant avance, un mou­choir posé sur le nez. À ses pieds, des pho­tos se déroulent, des morceaux de papiers tachés d’encre bleue, un cer­ti­fi­cat d’études, un car­net de mariage, quelques traces de ce que fût la vie ici, avant.
Il dit : « Les créanciers du géno­cide sont les bailleurs de fonds inter­na­tionaux ». Ce sont ses pre­miers mots. Une brou­ette dans un enc­los est gardée par des chiens devenus gras, ils grog­nent, préser­vent leur butin, ils ont appris à aimer la chair humaine. L’homme est
en présence d’une abo­li­tion inouïe : pour la troisième fois dans l’histoire du siè­cle, l’imaginaire d’un peu­ple s’est inscrit sur les corps mêmes des vic­times. Il dit :
« Le lan­gage lui-même est blessé ». Le vent érode déjà les fos­s­es com­munes. Des crânes appa­rais­sent. Quelques poignées de cheveux cré­pus, des os blan­chis, se mêlent à la chair verdâtre. L’odeur le sub­merge.

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Écrit par Marie-France Collard
Écrit par Marie-France Col­lard, après une péri­ode de con­fronta­tion avec la réal­ité du géno­cide et à la suite...Plus d'info
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Par Marie-France Collard
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