Trouver sa vérité

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Trouver sa vérité

Le 20 Déc 2001
Hanon Reznikov, Georges Banu, Judith Malina et Radu Penciulescu.
Hanon Reznikov, Georges Banu, Judith Malina et Radu Penciulescu. Photo Laure Vasconi.
Hanon Reznikov, Georges Banu, Judith Malina et Radu Penciulescu.
Hanon Reznikov, Georges Banu, Judith Malina et Radu Penciulescu. Photo Laure Vasconi.
Article publié pour le numéro
Les penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives ThéâtralesLes penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives Théâtrales
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J’AIME TOUJOURS PARTIR de ce que l’élève apporte lui-même de la vie. Ce qui compte au début c’est de lui appren­dre la portée de ce matéri­au et, surtout, la néces­sité de l’ex­plor­er.

Je n’aime pas le stanislavskisme comme esthé­tique, je n’aime pas ses spec­ta­cles, mais j’aime sa manière de penser le théâtre, non pas comme un art, mais comme un méti­er d’art.

Le point de départ ne peut être que le con­cret. Par­tir de là, du con­nu vers l’in­con­nu. La vérité ne peut être que con­crète. Mais, il ne faut surtout pas se tromper : con­cret ne veut pas dire for­cé­ment réal­iste.

Si nous par­lons de péd­a­gogie nous devons savoir à qui s’adresse cette péd­a­gogie. Cela explique pourquoi la pre­mière ques­tion est celle de la sélec­tion. À Malmö nous nous sommes longtemps heurtés à cet écueil. Le con­cours d’en­trée con­sis­tait il y a une dizaine d’an­nées dans une sélec­tion sur la base de petites scènes ou mono­logues « réus­sis » (com­bi­en de fois n’ai-je pas décou­vert avec tristesse que la scène « réussie » était déjà le som­met de l’ac­teur que le jeune can­di­dat voulait devenir). Ce type de sélec­tion pousse les can­di­dats à mon­tr­er à quel point ils sont acteurs, déjà acteurs. Et, dans une école, nous devons chercher à faire entr­er des sujets poten­tiels pour un tra­vail à venir. l’ac­teur doit naître, il n’est pas déjà là. C’est pourquoi, depuis un cer­tain temps, nous n’avons plus fait qu’une pre­mière sélec­tion sur la base de « scènes » afin de retenir un très impor­tant nom­bre de can­di­dats avec lesquels, ensuite, les enseignants de l’é­cole et les élèves qui ter­mi­nent leurs études tra­vail­lent spé­ci­fique­ment deux semaines. Après cette péri­ode nous retenons douze élèves avec lesquels nous démar­rons le tra­vail péd­a­gogique. Il est impor­tant de rap­pel­er cela car la péd­a­gogie porte l’empreinte de ceux aux­quels elle s’adresse. La rela­tion entre l’élève et le péd­a­gogue définit aus­si bien l’un comme l’autre.

L’é­cole est un espace de lib­erté. Au principe de la com­mu­ni­ca­tion théâ­trale tri­an­gu­laire l’é­cole enlève un terme : le pub­lic. On l’ou­blie afin de par­venir d’abord à une vérité de l’élève, car celle-ci, au début, peut ne pas être vis­i­ble pour quelqu’un de l’ex­térieur. Et je préfère ne pas le pouss­er à lui don­ner une forme… et ceci est pos­si­ble seule­ment en rai­son de l’ab­sence de tout spec­ta­teur. Dans notre école, les exa­m­ens de lère année ne sont pas ouverts même pas aux élèves des class­es supérieures. Pour qu’il n’y ait aucun regard extérieur. Le régime du début ne peut être qu’un régime de lib­erté absolue sur fond de la plus stricte intim­ité.

Un jour, à ses débuts, je dis à un élève « laisse tomber le théâtre ». Il ne com­prend pas, lui, qui est venu pour faire du théâtre. Pour faire du théâtre il faut d’abord l’ou­bli­er.

Dans les uni­ver­sités améri­caines j’ai ren­con­tré des étu­di­ants qui étaient déjà spé­cial­isés. En un cer­tain sens ils étaient for­més, il s’agis­sait pour moi de leur appren­dre le dés­ap­pren­dre. Ils étaient « spé­cial­istes » avant la let­tre.

Ce con­tre quoi je me bats dans les pre­miers temps c’est le désir de faire des images. C’est le prin­ci­pal dan­ger.

Chaque idée de jeu a la valeur de l’acte. Quelqu’un me pro­pose un jour de jouer un per­son­nage épisodique en aveu­gle. À pri­ori je n’ai pas refusé, mais je lui ai dit « fais-le ! ». Plusieurs jours plus tard il est revenu mûr de l’ex­péri­ence quo­ti­di­enne d’un aveu­gle qui venait habiter ses mou­ve­ments. Alors l’idée est dev­enue acte. Et ceci con­firme ma con­vic­tion qu’au théâtre on ne peut avoir des idées, mais des engage­ments.

Appren­dre à trou­ver les moti­va­tions qui expliquent un com­porte­ment. Les déter­rer par une approche souter­raine du noy­au de l’acte. Par exem­ple, essay­er de saisir les raisons de l’a­ban­don de l’en­fant dans LE CERCLE DE CRAIE. Ou, dans TARTUFFE, s’in­ter­roger sur les agisse­ments de Tartuffe, sur les straté­gies de Mme Per­nelle … trou­ver tou­jours ce qui déter­mine un acte. Com­ment il s’éla­bore et se con­stru­it, ensuite seule­ment vien­nent les alexan­drins, la dic­tion …

Je tra­vaille avec des exer­ci­ces, mais, j’en suis cer­tain, moi seul peux les ren­dre féconds, act­ifs, por­teurs. Ceux qui copi­ent les exer­ci­ces se trompent. La valeur d’un exer­ci­ce dépend de celui qui le dirige, de la manière dont il l’anime et le com­mente. Autrement il reste une sim­ple don­née inerte. l’ex­er­ci­ce n’est pas un out­il, il est un matéri­au.

Nous tra­vail­lons d’abord sur des microséquences et ce n’est qu’en­suite que nous pas­sons à des travaux sur le réc­it. Je crois que l’on ne peut bien avancer que pas à pas. C’est pourquoi les élèves se con­fron­tent au début avec des pièces plus sim­ples, d’une approche, dis­ons famil­ière, et dans un sec­ond temps ils passent aux grands textes. Alors ils com­men­cent à tra­vailler sur la durée et l’évo­lu­tion.

Moi, je pro­pose, mais je ne sais pas ce qu’on trou­ve.

À un moment de ma vie l’en­seigne­ment de la mise en scène a cessé de m’in­téress­er. Enseign­er la mise en scène c’est leur appren­dre com­ment pren­dre le pou­voir.

Tu me par­les de l’ex­er­ci­ce de Peter Brook avec le pas­sage du bâton et de l’in­ter­dic­tion d’ar­rêter le mou­ve­ment alors que le parte­naire a fait une faute, ceci afin d’in­té­gr­er pré­cisé­ment la faute dans la flu­id­ité de l’acte. Oui, cela me sem­ble d’au­tant plus juste car la faute n’in­combe pas unique­ment à la mal­adresse de celui qui vous a précédé, elle remonte plus loin, en amont, elle con­cerne plusieurs mem­bres du groupe. Et parce que col­lec­tive c’est col­lec­tive­ment que nous devons la sur­mon­ter. La faute, comme le suc­cès, est col­lec­tive. D’ailleurs le bâton qui vole de l’un à l’autre qu’est-il sinon juste­ment la con­créti­sa­tion de la tâche col­lec­tive que le groupe assume ensem­ble.

Une con­signe, tou­jours reprise : « Ne mar­quez pas ! ». Pour l’élève la vérité de l’acte compte plus que ce que l’on pour­rait appel­er la qual­ité de la per­for­mance. Comme au saut en hau­teur, dans un pre­mier temps, la justesse des pas l’emporte sur la hau­teur franchie. Je demande aux élèves le don absolu et ils finis­sent par com­pren­dre ain­si qu’il n’y a pas de dif­férence dans les degrés du don. Les acteurs qui « mar­quent » m’ex­as­pèrent plus que les acteurs mau­vais.

Dès le pre­mier jour j’ex­plique aux élèves, comme dis­ait Gro­tows­ki, que l’ac­teur doit admet­tre qu’il a une « tâche héroïque » à accom­plir. Une fois que l’on s’ac­co­mode à cette idée, l’ac­teur doit ensuite s’ap­pli­quer à appren­dre com­ment la résoudre. Cela implique une adap­ta­tion à la tâche, ce qui sup­pose savoir faire ce qu’il faut pour ne pas con­tredire les besoins de la mis­sion. Les con­di­tions sont définies, mais non pas la modal­ité de les accom­plir.

Je suis con­va­in­cu que la pré­pa­ra­tion est plus impor­tante que la course. C’est ce qui explique mon retrait de la mise en scène au prof­it de l’en­seigne­ment. Ici j’ai le sen­ti­ment d’oeu­vr­er à la mise en place cor­recte de la rampe de lance­ment, ensuite c’est à l’élève de vol­er seul. Et j’aime cette rela­tion entre la dépen­dance inti­tiale et l’au­tonomie finale.

Nous com­mençons, dans notre école, par une pre­mière phase indi­vidu­elle qui refuse toute oblig­a­tion envers les autres. L’élève n’a aucun devoir, même envers le texte. Ce qui compte c’est de se focalis­er sur la justesse de la rela­tion avec la tâche pro­posée en se nouris­sant de la recherche de soi-même, de ses moyens pro­pres. À ce niveau, au risque de sur­pren­dre, on peut dire que le but con­siste à se servir de Shake­speare pour trou­ver son authen­tic­ité.

À mi-par­cours du cycle d’en­seigne­ment, les élèves quit­tent l’é­cole pour six mois de tra­vail dans les théâtres. À pri­ori cela doit les met­tre en con­tact avec la pra­tique dans le con­texte des insti­tu­tions théâ­trales. Mais, le plus sou­vent, ils éprou­vent le plaisir de retourn­er à l’é­cole con­scients de ce qui leur manque encore et en même temps munis de l’ex­péri­ence dans les théâtres dont ils four­nissent des analy­ses d’une lucid­ité éton­nante.

Après cet inter­valle s’en­gage la deux­ième phase. Elle con­cerne le tra­vail sur la sit­u­a­tion comme matéri­au. La sit­u­a­tion doit être « la brique » claire pour la con­struc­tion à venir. Pour cela nous faisons appel d’abord à des textes sim­ples, proches de l’ex­péri­ence quo­ti­di­enne, ensuite nous pas­sons au tra­vail sur des scènes en apparence mar­ginales, scènes-liens emprun­tées à Ibsen, à Wedekind. Ces derniers temps je tra­vaille plutôt sur les petites scènes qui ser­vent de join­ture, de lien entre les grands moments. Cela me per­met de faire jouer aux éléves les moments de vérité inter­mé­di­aires (comme par exem­ple, dans MADEMOISELLE JULIE, Jean à la cui­sine) et non pas directe­ment la con­clu­sion.

Un exer­ci­ce par­ti­c­ulière­ment stim­u­lant con­siste à fournir aux élèves une grande quan­tité de petites scènes, (comme par exem­ple celle de Groucha avec son aimé à la riv­ière) qu’ils sont oblig­és de tra­vailler vite afin de les présen­ter après un ou deux jours. C’est un entraîne­ment qui pro­duit des sur­pris­es et oblige les élèves à pren­dre des déci­sions dans l’ur­gence.

Au début l’élève doit jouer la sit­u­a­tion bien pré­cise, sans tenir compte de la biogra­phie du per­son­nage qui ne se révèle qu’ensuite.Je sais que Brecht dis­ait le con­traire, mais, lui, il faut le pré­cis­er, par­lait de comé­di­ens, tan­dis que moi, je par­le des élèves pour qui il s’ag­it d’abord de se for­mer et ensuite de jouer dans le sens strict du terme.

J’aime bea­coup le terme de Bar­ba : « l’ac­teur c’est l’homme dilaté ». C’est ce que l’élève est appelé à com­pren­dre : l’ac­teur fait ce que n’im­porte qui peut faire, mais à un niveau supérieur d’én­ergie et de con­cen­tra­tion.

Puis, pro­gres­sive­ment, nous appro­chons des clas­siques pour décou­vrir com­ment, par-dessous la forme, c’est tou­jours ls sit­u­a­tion qui domine.

À ce moment du proces­sus de for­ma­tion nous invi­tons une per­son­nal­ité étrangère qui vient ani­mer un pro­jet, dis­ons « alter­natif ». Comme, par exem­ple Mario Gon­za­lez plusieurs fois con­vié pour tra­vailler sur les masques et la com­me­dia del­l’Arte. L’in­vité ne par­le pas, dans le sens fig­uré du terme, « la langue de l’é­cole ». Il élar­git le champ de l’in­ves­ti­ga­tion et ouvre des pos­si­bil­ités autres.

Enfin, selon une suite logique qui va du sin­guli­er vers le pluriel, les élèves passent à l’é­tape des pro­jets col­lec­tifs. Si aupar­a­vant la respon­s­abil­ité envers soi-même pré­valait, ils doivent à présent éprou­ver et tra­vailler avec la con­science de la respon­s­abil­ité envers le pro­jet.

La dernière étape con­siste dans la pré­pa­ra­tion de deux spec­ta­cles. Afin d’é­carter toute com­péti­tiv­ité implicite dès qu’il y a un tra­vail de deux équipes sur deux pro­jets dis­tincts, nous procé­dons à des dis­tri­b­u­tions croisées : quelqu’un qui joue le pro­tag­o­niste dans un spec­ta­cle peut faire de la fig­u­ra­tion dans l’autre. Cha­cun se sent impliqué et ne se désol­i­darise d’au­cun pro­jet.

Nous défendons l’idée d’un proces­sus qui se charge d’as­sur­er une com­pé­tence à l’élève pour l’é­tape suiv­ante. Car au fond ce dont il s’ag­it au théâtre c’est de pré­par­er un élève pour lui-même autant que pour les autres.

Nous sommes en route. Le proces­sus compte plus que le pro­duit.

L’é­cole, l’e­space de toutes les lib­ertés si on sait les attein­dre. Si on dompte les élèves on les fait singer un mod­èle et ils finis­sent dans une prison.

Je n’aime pas l’art qui s’in­spire de l’art. Je demande tou­jours « d’où vient cela ? ». C’est pourquoi il ne s’ag­it pas de décou­vrir le style grec en général, mais de le saisir dans un con­texte bien pré­cis. On ne peut appren­dre le style en dehors d’une vérité de la sit­u­a­tion. Il faut savoir admet­tre qu’il n’y a jamais ni préal­able, ni mod­èle.

La cul­ture ne m’in­téresse que dans la mesure où elle est acquise pour élargir l’hori­zon et surtout si elle est liée à un pro­jet.

Un jour j’amène mes élèves au Musée d’Art Mod­erne où nous regar­dons un immense tableau blanc. En nous rap­prochant nous décou­vrons à quel point ce blanc est le résul­tat d’un incroy­able nom­bre de com­bi­naisons chro­ma­tiques. Alors je leur ai dit, ce qui est un de mes principes, « n’ou­bliez jamais qu’une idée, il faut la con­stru­ire ! Il ne suf­fit pas de la déclar­er ». J’aime que l’on con­stru­ise quinze, vingt sens autour d’une sit­u­a­tion quitte à choisir ensuite. De la vient sans doute l’oblig­a­tion d’analyser les cir­con­stances, de for­muler des ques­tions ; il faut explor­er une sit­u­a­tion dans toute sa com­plex­ité.

Je m’emploie à con­va­in­cre les élèves d’élim­in­er ce qu’ils con­sid­èrent comme étant « artis­tique ». Ce qui importe c’est d’ad­met­tre que l’on tra­vaille avec des matéri­aux a pri­ori non artis­tiques… Cette leçon ini­tiale est déci­sive.

L’oeu­vre est un assem­blage de triv­i­al­ités (paroles, mou­ve­ments, rythmes, couleurs) de même que la Chapelle Six­tine est une accu­mu­la­tion de pier­res, briques, chaux etc. Rien n’est plus ennuyeux au théâtre que l’ac­teur « artis­tique », qui fait état d’un savoir-faire « artis­tique ». Jean Gabin n’é­tait jamais « artis­tique », cer­tains acteurs de la Comédie-Française le sont par­fois.

Sou­vent je cite l’ex­em­ple de l’ex­pert en piano qui explique l’art de jouer sur une boîte sans clavier. Ou même quand il s’ag­it du piano il ne touche pas le clavier et, sans pro­duire les sons, il indique seule­ment les mou­ve­ments qui les pro­duisent.

Le per­son­nage est la somme des répons­es don­nées aux sit­u­a­tions. Le per­son­nage agit, il ne repro­duit pas.

Le but ne con­siste pas à jouer l’oeu­vre comme si elle était finie. Pour repren­dre une phrase de Brook je dirais que l’ac­teur doit refaire le proces­sus de la créa­tion afin de don­ner des répons­es non pas lit­téraires, mais de jeu. Réécrire l’oeu­vre comme acteur. Pour cela il faut par­tir d’une vérité pour arriv­er à une autre vérité. La sit­u­a­tion s’in­scrit dans un développe­ment, et l’élève doit analyser le moment qui précède afin de suiv­re la dynamique de l’oeu­vre.

Un con­seil : d’abord trou­ve ta vérité et ensuite cherche celle du per­son­nage. Le jeu con­siste à réalis­er l’équili­bre entre les deux à trou­ver leur rap­port juste.

Con­stru­ire les événe­ments qui mènent aux sen­ti­ments. Au théâtre, la réal­ité est tou­jours physique.

La qual­ité provient tou­jours de la qual­ité du rap­port de l’ac­teur avec son activ­ité.

Le tra­vail sur la con­cen­tra­tion est essen­tiel. Il suf­fit de voir les acteurs de kathakali qui, pen­dant des heures, se maquil­lent. La con­cen­tra­tion se con­stru­it pro­gres­sive­ment. Elle implique la focal­i­sa­tion inten­si­fiée sur une image, la capac­ité d’at­tente, la pré­ci­son d’une tâche etc. La con­cen­tra­tion est tou­jours active, elle sup­pose une présence max­i­male ici et main­tenant. L’élève doit appren­dre que la con­cen­tra­tion appelle à une perte de l’ex­térieur et à un repli sur soi jusqu’au moment où l’on est prêt. Ceci pour réalis­er la meilleure rela­tion entre le groupe et la per­son­ne car la con­cen­tra­tion seule per­met d’être en con­tact avec soi-même dans un con­texte col­lec­tif. On peut accueil­lir l’im­prévu seule­ment en oubliant l’ex­térieur. Avant de recon­naître la présence du spec­ta­teur il faut appren­dre à l’ex­clure.

Il est impor­tant de trou­ver la solu­tion de l’ex­er­ci­ce, mais sans la figer. Savoir garder l’e­sprit des exer­ci­ces dans le mou­ve­ment du proces­sus… alors il est tout aus­si impor­tant de faire et de ne pas oubli­er ce qu’on a fait.

La maîtrise rend seul. On cesse d’être parte­naire.

Ce qui compte c’est ta présence max­i­male ici et main­tenant.

Je ne peux enseign­er si je ne m’in­scris pas dans un proces­sus, si je ne laisse pas un instant les élèves aller ailleurs pour mieux les retrou­ver. Je tra­vaille dans une durée inter­rompue par d’autres ren­con­tres aux­quelles les élèves sont con­viés. Les stages fer­més sur eux-mêmes, sans suite ni com­mu­ni­ca­tion, ne m’in­téressent pas. Je me pense comme un relais et il m’est impos­si­ble de me présen­ter toute une péri­ode comme le créa­teur d’un monde.

Cela explique pourquoi j’ai tou­jours enseigné dans une école, et j’ai détesté l’au­tonomie d’une péd­a­gogie close, fer­mée sur elle-même. Comme un de mes anciens élèves, dans les pro­pos duquel je me suis recon­nu, je ne peux tra­vailler que dans le con­texte de l’ap­par­te­nance et nulle­ment en tant que free lance.

Qu’est-ce qui te légitime pour dire un texte ? Seule la pré­pa­ra­tion te donne le droit d’ap­procher un per­son­nage. Et à son tour celui-ci te légitime comme acteur.

Par rap­port à l’opéra ou à d’autres théâtres tra­di­tion­nels, notre théâtre ne dis­pose pas d’une pré­forme qui se laisse appréhen­der, qui con­stitue un appui préal­able.

La voix doit s’en­gager dans la direc­tion du mou­ve­ment. Elle doit avoir une direc­tion dans l’e­space afin que le son et le geste se diri­gent vers le même point.

Aider l’ac­teur à décou­vrir sa voix. Une fois j’ai vécu l’é­mo­tion éprou­vée par une jeune fille que j’ai accom­pa­g­née pour explor­er son corps au point de libér­er sa voix. De l’en­ten­dre et l’éprou­ver. Mais pour moi ce fut aus­si éprou­vant que pour elle et, depuis, j’ai cessé ces recherch­es.

Chercher le son d’a­vant les mots.

L’im­pro­vi­sa­tion est un mot malade. Elle est trompeuse si l’on pro­pose à l’élève une sit­u­a­tion à laque­lle il ne peut répon­dre que par une réac­tion atten­due : si on lui dit qu’il se trou­ve en dan­ger, for­cé­ment il criera et alors on obtient ce que l’on souhaitait car les comé­di­ens, comme les enfants, sont dém­a­gogues. Ils offrent ce qu’ils devi­nent qu’on leur demande. Avec une telle impro­vi­sa­tion le comé­di­en et le met­teur en scène finis­sent par se tromper l’un l’autre.

L’im­pro­vi­sa­tion m’in­téresse dans la mesure où elle aide à l’élar­gisse­ment de la sit­u­a­tion, où elle per­met à l’élève de dépass­er le dia­logue pour par­venir à l’événe­ment. Celui-ci ne s’ex­prime pas par des mots, mais par des actes. Les événe­ments que l’on trou­ve for­ment la terre sur laque­lle pousse l’herbe du dia­logue.

L’im­pro­vi­sa­tion est une activ­ité qui t’ac­corde le droit de te tromper. Elle n’est ni un objec­tif, ni un but.

Un moyen seule­ment. Il doit libérér de l’in­con­nu.

L’im­pro­vi­sa­tion s’ac­com­plit lorsqu’elle mobilise la total­ité de l’être, l’in­tel­lect et le corps. Elle n’in­téresse que dans la mesure où elle pro­duit un com­porte­ment réus­si.

Pour l’im­pro­vi­sa­tion tout passe par le con­cret et le pro­fesseur doit veiller à la mise en place cor­recte des éven­e­ments con­crets. Ain­si il par­ticipe à la pré­pa­ra­tion de l’acte qui, lui, n’est pas sous son con­trôle. Il s’en dérobe. Il peut inter­venir par con­tre pour enlever les obsta­cles ren­con­trés en chemin et unique­ment après ce tra­vail pass­er, comme dis­ait Gro­tows­ki, à l’élab­o­ra­tion de la par­ti­tion.

Com­ment apprivois­er une sit­u­a­tion ? En la faisant nous-mêmes.

Tra­vailler sur l’ac­tion et tout autant sur la réac­tion.

Ce qui importe c’est de met­tre en équa­tion. Si ce tra­vail ini­tial est bien fait, le proces­sus peut s’amorcer cor­recte­ment.

Je prends par exem­ple la scène de lady Anne avec Richard III et j’analyse argu­ment par argu­ment afin de décou­vrir l’art de Richard de retourn­er une sit­u­a­tion, de stim­uler une sex­u­al­ité, d’établir un con­tact par le crachat qu’il reçoit en pleine fig­ure ou l’épée qu’il fixe lui-même con­tre sa poitrine. Je débute par une divi­sion en frag­ments afin d’obtenir des vérités par­tielles à par­tir desquelles il est pos­si­ble de pass­er au stade ultérieur, celui du lien et de la con­struc­tion.

Oui, ce que je cherche tou­jours c’est ce qui per­met à l’ac­teur de « répéter » un acte tout en restant aux aguets : la vérité de la sit­u­a­tion. Cela sup­pose une vérité ici et main­tenant. Une vérité immé­di­ate.

Jouer un per­son­nage c’est trou­ver la vérité du jeu.

En tant que péd­a­gogue je cherche la vérité de l’élève et je me dés­in­téresse du spec­ta­teur. Le spec­ta­cle réclame un effort pour ren­dre vis­i­ble le résul­tat du tra­vail et ceci risque de cacher la vérité de l’élève à peine per­cep­ti­ble au début.

Je n’aime avancer que par petits pas.

La péd­a­gogie con­siste à accom­pa­g­n­er quelqu’un pour décou­vrir sa vérité. Au fond la posi­tion du soi-dis­ant « maître » est dans ce sens flat­teuse.

J’aime cette his­toire du maître chez qui vient un élève et chaque fois qu’il frappe à la porte en dis­ant son nom le maître ne le fait pas entr­er jusqu’au moment où à la ques­tion « Qui est là ? » il répond « Per­son­ne ».

Quelqu’un m’a dit un jour et cela m’a servi : « Ne cen­sure pas tes rêves par souci d’ap­plic­a­bil­ité. Ça c’est le tra­vail d’un autre ».

J’ai pro­posé une fois une impro­vi­sa­tion qui a été par­ti­c­ulière­ment riche. Je tra­vail­lais sur une nou­velle pièce anglaise CRI AU-DELÀ DU FLEUVE de Poli­akoff. La sit­u­a­tion est la suiv­ante : une ado­les­cente rebelle est ren­voyée de l’é­cole à cause d’actes d’indis­ci­pline spec­tac­u­laires et odieux. Dans la pre­mière scène le pro­viseur informe la mère qui est con­sternée, effarée, impuisante et, de sur­croît, habitée par un sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité dû aux accu­sa­tions qu’elle vient d’en­ten­dre. Dans la sec­onde scène, la scène sur laque­lle nous tra­vail­lions, la fille ren­tre tout en sachant que la mère a été con­vo­quée par le pro­viseur et elle attend la con­fronta­tion. Pen­dant ce temps-là elle découpe avec des ciseaux toutes les revues que la mère avait gardées depuis longtemps. La mère ren­tre et voit, de dos, la fille qui déchire les revues. Com­ment amorcer la com­mu­ni­ca­tion ? Quelle est l’in­ten­sité de l’at­tente de l’une à l’é­gard de l’autre ? J’ai pro­posé à l’élève qui jouait la mère de s’agiter dans la pièce en accom­plis­sant toutes sortes d’ac­tions, plutôt minus­cules. L’élève qui jouait la fille restait assise, con­tin­u­ait à découper les revues et, sans la voir, parce que la mère se trou­vait dans son dos, elle racon­tait toutes les actions que celle-ci effec­tu­ait. Le réc­it a été par­ti­c­ulière­ment exact et pré­cis. Ceci s’ex­plique par la qual­ité extra­or­di­naire de l’at­ten­tion ain­si que de la présence ici et main­tenant des deux élèves.

Un autre exem­ple : quelqu’un se met dans le coin d’une pièce dont il a bien étudié le plan et ensuite il doit plac­er dans l’e­space les parte­naires qui lui envoient des sons. Il réag­it et en même temps organ­ise les stim­uli reçus.

La devise de tout tra­vail d’im­pro­vi­sa­tion authen­tique est de ne pas faire sem­blant d’avoir décou­vert quelque chose.

Quand on tra­vaille sur un pro­jet de groupe celui-ci a ses lois. Tout dépend alors de la col­lab­o­ra­tion avec les autres.

Si tu n’as pas ta vérité tu ne parvien­dras pas à la vérité de l’autre.

Si tu pars du men­songe c’est au men­songe que tu arrives.

Au théâtre ce qui compte c’est d’at­tein­dre la vérité au coeur du men­songe unani­ment accep­té.

Les pas doivent être vrais, même si la con­ven­tion générale ne l’est pas. C’est pourquoi j’aime divis­er en frag­ments, frag­ments petits et sim­ples qui con­duisent au pro­jet qui les inclut. La vérité se trou­ve dans la tran­si­tion. Il faut savoir saisir où la sit­u­a­tion change.

Il est impos­si­ble de jouer l’abstrait, il faut sans cesse chercher des racines dans le con­cret.

On se doit de trou­ver des règles de vérité.

Ne reste pas indif­férent à ce qui se passe autour de toi. Sois présent. Intè­gre tout ce qui arrive ! Tiens compte de la présence de l’as­sis­tance.

Par rap­port à l’élève, l’ac­teur doit savoir et le met­teur en scène au fond se con­tente de le « met­tre en page ».

Le proces­sus con­siste à pass­er de la vérité non artis­tique à la vérité artis­tique.

Le style doit être libéré, il est tou­jours un résul­tat.

Nous pou­vons recréer la vérité, pas les alexan­drins.

Le but con­siste à sauver la vérité sans per­dre le style.

Ne pas se préoc­cu­per du style, il doit ressor­tir après. D’abord la vie, l’art ensuite.

Décou­vrir ce qui peut aider quelqu’un dans le tra­vail. Com­ment ren­dre crédi­ble un élève qui jamais ne doit s’ériger en délégué artis­tique de Molière.

Ce qui aide le jeu ce n’est pas de juger un per­son­nage, mais de le défendre. Le meilleur exem­ple, Tartuffe.

Les grandes vérités tuent la dialec­tique du comé­di­en. Ce qui compte c’est la vérité en mou­ve­ment, la manière dont tu com­bats pour accom­plir le but. Au fond, il ne faut pas oubli­er que la mis­sion change con­stam­ment.

Le jeu est aléa­toire, il est tou­jours en train de se faire. Cela main­tient le comé­di­en en état d’éveil.

Je me sou­viens d’une admirable impro­vi­sa­tion pro­posée par Lee Stras­berg aux jeunes qui jouaient la grande scène des retrou­vailles de Nina et Kos­tia du qua­trième acte de LA MOUETTE. Stras­berg a demandé au jeune homme de faire des brouil­lons, d’écrire de la prose ou de la poésie. Le comé­di­en a répliqué en pré­cisant qu’il ne pou­vait pas faire de la lit­téra­ture. Stras­berg lui a demandé de s’ap­pli­quer et, s’il ne réus­sis­sait pas, de jeter par terre les feuilles de papi­er qui lui déplai­saient. Le comé­di­en a essayé, s’est embal­lé, mais à la fin il n’y avait qu’un tapis de papiers frois­sées qui recou­vrait la scène. À cet instant-là Stras­berg a invité la jeune comé­di­enne à entr­er et con­stater que l’échec de la vie de Kos­tia n’é­tait plus une don­née sub­jec­tive, mais une sit­u­a­tion con­crète, vis­i­ble, menaçante. Stras­berg com­mente : « on sen­tait qu’un mal­heur s’é­tait mis en route ».

Il faut que vous trou­viez votre vérité dans le mou­ve­ment de l’eau.

Moi, j’aime for­mer les élèves et ensuite les libér­er. Ce qui me plaît c’est non pas qu’ils restent, mais, bien au con­traire, qu’ils ail­lent ailleurs… chez les autres. Ce qui me réjouit c’est de les voir revenir. Oui, j’aime quand ils revi­en­nent.

Notes pris­es par Georges Banuu lors du séjour de Radu Pen­ci­ules­cu à La Bachel­lerie de Davi­gnac ( 19 — 24 août 2000).

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Radu Penciulescu
Radu Penciulescu est metteur en scène. Il enseigne au Conservatoire de Bucarest et à l'École...Plus d'info
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