« JE SUIS À PEU PRÈS SÛR qu’on ne jouera jamais mes pièces après ma mort, ni qu’on lira mes livres. Tout sera enterré avec moi. J’en suis de plus en plus certain, mais je continue d’écrire, comme un fou ». C’est un propos de Jean Genet en 1958 dans une lettre à Bernard Frechtman (p. 918). Heureusement, il se trompe, et il faut mettre son jugement pessimiste au rang des angoisses infondées. Car près de cinquante années plus tard, avec le récent volume de la Pléiade consacré à son œuvre théâtrale1, Genet nous revient comme un boulet en plein visage. Obscur et lumineux, violent en tout cas, d’une irrécusable violence d’être-là.
Voici donc rassemblés, les textes de théâtre, ceux qui sont moins connus (SPLENDID’S, ADAME MIROIR, ELLE, LE BAGNE ) et ceux qui le sont davantage ici éclairés de leurs variantes (deux versions de HAUTE SURVEILLANCE plus un état intermédiaire, deux versions du BALCON, deux versions des BONNES ; LES NÈGRES et LES PARAVENTS, augmentés de fragments manuscrits et dactylographiés). À quoi il faut ajouter un choix de lettres et les grands textes théoriques qui tracent dans une langue remarquable une figure du théâtre comme art sacré. Chaque texte fait l’objet d’une présentation et d’une analyse très complète.
On croyait tout connaître de Genet. Et bien non. Si connaître signifie parcourir les orientations parfois divergentes d’un texte et de ses mots, les tours et les détours d’une écriture, beaucoup de chemin reste à faire. Genet taille et retaille son diamant, avec entêtement, avec obstination ; les versions se succèdent, se corrigent, se dénoncent ; les variantes se déploient, comme s’il y avait un point de résolution qu’on approche mais qu’on n’atteint jamais. Dans une introduction qui éclaire remarquablement le parcours et les enjeux de l’écriture chez Genet, Michel Corvin écrit : Vue sous cet angle (la recherche d’un absolu dans l’écriture dramatique), chaque pièce écrite ou en cours d’écriture est moins un palier pour accéder à un niveau supérieur qu’un écran qui gêne le dramaturge dans une quête ontologique plus encore qu’artistique. Ce qui expliquerait aussi que Genet compose en même temps ses trois pièces essentielles (LE BALCON, LES NÈGRES, LES PARAVENTS) comme devant, chacune, rester en suspens et provoquer, pour ainsi dire, la suivante à la naissance. Suivante qui sera la « Vraie ». (p. XVII)