FRÉDÉRIC FISBACH : Je n’ai pas changé ! À l’époque (de l’entretien précédent, en 2000), cette question de la choralité dessinait une direction importante de mon travail. Et j’ai l’impression que j’ai continué dans ce sens.
Christophe Triau : Tu parlais de BÉRÉNICE – alors encore à venir – et du jeu d’apparition/disparition de l’inter- prète et du personnage, qui était en effet frappant dans le spectacle achevé. Ce spectacle semblait également comme en perpétuel déplacement, sa forme était changeante, mouvante. Est-ce que dans BÉRÉNICE le principe de choralité t’a semblé d’autant plus un facteur d’entre- deux, et une matrice de mobilité de la forme, d’un mouvement permanent du statut de la représentation ?
F. F. : Oui, dans BÉRÉNICE la choralité permettait cela. Je crois d’ailleurs qu’elle le permet dans tous les cas. C’est pour cela que je dis que je n’ai pas changé : même si chez moi le chœur en tant que tel n’est pas toujours visible, ostensiblement identifié, cette notion (telle que je l’imagine ou la travaille) – les observations de son fonctionne- ment, ce que j’ai pu en déduire comme règles, presque comme lois physiques – est au fondement de la manière dont j’essaye de mettre en jeu les protagonistes, la circulation entre le chœur des interprètes et les protagonistes. Du coup, elle prendrait corps, en fin de compte, dans un aller-retour entre l’interprète au plateau et l’interprète- personnage.
C. T. : Le chœur n’est pas forcément manifeste, mais il est toujours là ; ce serait une sorte de « chœur fantôme » ?
F. F. : Oui, le chœur dont je parle, c’est un chœur fantôme ; en fin de compte, c’est le chœur du travail, le chœur en travail qui nous permet d’être en rapport avec une écriture et de la traduire au plateau. Toutes les lois physiques qui, dans le cadre d’une équipe qui va ensemble au travail, régissent ces rapports, ce sont des principes de choralité. Ce chœur fantôme, c’est ce qui permet que ces rapports soient des rapports organiques. C’était très présent sur BÉRÉNICE – beaucoup moins sur LES PARAVENTS, si ce n’est dans la manière d’aborder le travail.
C. T. : Dans LES PARAVENTS, il y avait pourtant une circulation particulière entre les trois interprètes-personnages (Saïd, Leïla et la Mère), les deux vociférateurs et dissémination des autres personnages sur les marionnettes…
F. F. : Ce que j’entends par « chœur », ce n’est pas vraiment le fait qu’il y ait un chœur distinct sur le plateau, mais ce n’est pas non plus une question de différences d’incarnation ou de rapport au texte. Je pense qu’un chœur peut être dans un rapport tout aussi fictionnel à un texte qu’un protagoniste : ce n’est pas parce qu’il a un statut de chœur qu’il ne peut pas avoir un statut de « personnage », en fin de compte. Dans LES PARAVENTS, ce n’est pas parce que les vociférateurs sont derrière un micro et avec le texte qu’ils sont plus choraux que les autres ; ils sont tout autant protagonistes – et ce d’autant plus que dans LES PARAVENTS on était dans la problématique du conteur, des rapports du récit et du dialogue.