Le jour où la machine célibataire s’immobilisa

Non classé

Le jour où la machine célibataire s’immobilisa

Le 23 Avr 1981
Photo John Vink
Photo John Vink
Photo John Vink
Photo John Vink
Article publié pour le numéro
Échange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives ThéâtralesÉchange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives Théâtrales
8
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minitieux, offrez-nous un café ☕

L’air se com­porte comme de l’eau dans ce spec­ta­cle. Des hori­zons en marge sont brisés par des tuyaux, des manch­es à air et autres acces­soires du pont d’un navire. Des machines imi­tent les mus­cles, l’élec­tron­ique con­tre­fait le sys­tème nerveux et le cerveau. “La mémoire et l’am­nésie sont con­stam­ment mêlées”. comme dirait Joseph Beuys. Les pein­tures de Jérôme Bosch furent le matériel de référence pour l’élab­o­ra­tion de Quar­an­taine. Le Jardin des délices dépeint les ori­fices aqua­tiques, les espaces clos et trans­par­ents et les formes humaines dénaturées par l’ad­jonc­tion de pièces de machine qui fig­urent dans Quar­an­taine.

Des éprou­vettes en plex­i­glas de la taille d’un homme, éclairées par le dessus, enchâssent des êtres au torse nu. L’un est figé dans un geste d’ap­pel, une main lev­ée. L’autre est sus­pendu, au repos, Saint Sébastien de Bot­ti­cel­li. Ils sont isolés d’un virus… celui de l’in­tel­li­gence…

«… ces molécules d’in­for­ma­tion n’é­taient pas sub­stance morte, elles mon­traient un acharne­ment à vivre com­pa­ra­ble à celui du virus. Notre virus qui infecte l’homme et fait naître en lui notre image… Ce virus, lâché sur le monde con­t­a­min­erait l’hu­man­ité entière… Virus de vio­lence, de haine, de peur, d’hor­reur tour­bil­lon­nant autour de vous…»

W. S. Bur­roughs

Ces ambiances arti­fi­cielles sont les catal­y­seurs sub­ver­sifs des mécan­ismes d’as­so­ci­a­tion.
Elles sont des repères sur une trame linéaire de l’His­toire, que l’on nous arrache ?
Quar­an­taine débute par un tableau vivant, plaqué sur une énorme masse en polyéthylène, ondu­lant jusqu’à ses extrémités qui, avec la musique de Michael Galas­so sug­gère un univers océanique. Nous sommes les habi­tants en quar­an­taine de limbes éthérisés, assis­tant à la con­tre-lobot­o­mie de cul­tures défail­lantes.

L’air est de l’eau, dans les tubes cylin­driques de plex­i­glass, dans le polyéthylène mou­vant, ressem­blant aux struc­tures imag­inées par Ray­mond Rous­sel au tra­vers de jeux de mots et d’en­trechats lin­guis­tiques dans Locus Solus.

« L’aquarium… rem­pli d’eau sur-oxygénée, viv­i­fi­ante et res­pirable… est coupé comme un gros dia­mant de deux mètres sur trois. A l’in­térieur, on voit… le danseur, entière­ment immergé, vêtu d’un cos­tume couleur chair… et, pen­dant au bout d’un fil… une tête, réduite au cerveau et au sys­tème neu­ro-mus­cu­laire ».

Michel Car­rouges

La musique de Galas­so, vagues de sons s’ac­cu­mu­lant inlass­able­ment en plis ser­rés, génère une den­sité sonore, perçue à fleur de peau comme autant de rêves audi­tifs. Avec des manch­es à air, des ser­pentins et tuyaux d’un alam­bic de cuiv­re por­tuguais déman­telé, avec des tubes et des anneaux néon, le Plan K exé­cute une danse africaine cubiste, sab­bat mécanique d’au­to­mates, accom­pa­g­né de per­cus­sions métalliques. Dans un lan­gage à la fois char­nel et cyberné­tique, Quar­an­taine fait sur­gir un fan­tasme ver­tig­ineux et incen­di­aire ; des robots et des corps enchâssés dans le métal et le plas­tique, dans des globes et des man­chons. L’e­sprit, sub­jugué par les images mou­vantes est la proie d’une pléthore asso­cia­tive.

Hors des éprou­vettes, des man­nequins et des vic­times, des esclaves détru­isant les machines qu’ils doivent nour­rir, des bipèdes voraces à la tête en forme de tuyau et des garçons vêtus de com­bi­naisons blanch­es, se livrent à une farce-sara­bande. Ils hyp­no­tisent, sub­mergeant notre cul­ture lim­itée, faite encore de visions de la cham­bre du Cap­i­taine Nemo et des sirènes des con­tes d’An­der­sen. Le Cerveau Qui Ne Devrait Pas Mourir, l’écri­t­ure automa­tique et le miroir-vidéo.

Les acteurs, dans les incu­ba­teurs, écrivent avec leur pro­pre sueur, en car­ac­tères secs. Ils ébauchent un univers imag­i­naire avec des nom­bres, des graphiques, des let­tres, des plans. Hors des éprou­vettes, nous ne recevons aucun mes­sage. L’in­for­ma­tion se bous­cule, frus­trant notre désir tox­i­co­mane de fig­u­ratif, de logique. Les ter­mi­naisons de notre grossière chaîne asso­cia­tive, nour­ries de sym­bol­isme et de for­mules de com­préhen­sion s’ef­fritent. Les agence­ments con­ceptuels et spa­ti­aux de Quar­an­taine ressem­blent aux pein­tures con­struc­tivistes de Male­vich ou aux scéno­gra­phies dynamiques d’Alexan­dra Exter

« qui délais­sent com­plète­ment la planéité de la scène pour utilis­er les ver­ti­cales et les diag­o­nales, requérant un effort accru des acteurs… les acteurs ressem­blent plus à des sculp­tures cyberné­tiques qu’à des êtres humains. »

K.G. Pon­tus Hul­ten

Dans l’en­ceinte du jeu, les machines sont intime­ment liées au sexe, à l’a­pogée schizo-psy­cho­tique de la répres­sion : sex­u­al­ité cyberné­tique, chaise élec­trique, fich­es de pointage, traite­ments de choc et espaces claus­tro­pho­biques. Les acteurs du Plan K se baig­nent dans les étin­celles et se fondent, incrustés, dans les parois de la struc­ture gon­flable translu­cide. Le Plan K fait de ses acteurs une bande dess­inée vivante, amas de cir­con­vo­lu­tions qui trace la mort des mécan­ismes sex­uels de la Cul­ture Occi­den­tale, tout au long de ses cir­cuits libid­in­aux désséchés. Les sil­hou­ettes enfer­mées sont des corps à l’én­ergie fréné­tique, à l’in­térieur de corps optiques, à l’in­térieur de corps tran­spi­rants, des espaces à l’in­térieur des espaces.

« Un des sym­bol­es de notre époque est l’ab­strac­tion… un autre sym­bole, la mécan­i­sa­tion, proces­sus inex­orable qui pré­tend vam­piris­er chaque cel­lule de vie. Tout ce qui peut être mécan­isé est mécan­isé. Le résul­tat : notre prise de con­science du phénomène, qui elle, ne peut être mécan­isée… »

Oskar Schlem­mer

Une brume anti­sep­tique voile nos con­tacts avec les acteurs. Le Plan K expulse un rêve à la final­ité ambiguë, avec un sens de l’hu­mour étrange­ment rodé. Qua­tre lam­pes de bal sage émet­tent une lumière d’a­vant l’in­ven­tion de l’élec­tric­ité. Les acteurs nous dis­ent bon­soir, nous avons appris, pour nous mêmes. Les enfants cyberné­tiques s’en­dor­ment devant la télévi­sion allumée.

Le plan K occupe à Bruxelles, une ancienne raffinerie transformée en lieu de rencontre de l'avant-garde internationale, lieu dans lequel il a créé son dernier spectacle Quarantaine. Sur une musique de Michael Galasso (qui a travaillé avec Bob Wilson), se succèdent des images inspirées de l'imaginaire onirique de Jérôme Bosch.
Article publié dans le numéro de juillet/aout 1980 de la revue Aura de Washington

Non classé
4
Partager
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements