Louis Castel — Vers des zones non officiellement repérées et répertoriées…

Louis Castel — Vers des zones non officiellement repérées et répertoriées…

Entretien avec Chantal Hurault

Le 26 Avr 2005
Louis Castel. Travail présenté aux Traversées 3 en novembre 2004. - Photo J.-P. Amar.
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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
85 – 86
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CHANTAL HURAULT : La notion de risque occupe-t-elle un rôle par­ti­c­uli­er dans votre pra­tique actuelle ?

Louis Cas­tel : Ma pra­tique théâ­trale m’a tou­jours con­duit à m’intéresser aux auteurs dont j’avais l’impression qu’ils me per­me­t­traient de répon­dre à l’inquiétude for­mulée par le poète : « Nous ne sommes pas au monde. La vraie vie est absente. » J’ai intu­itive­ment choisi le mode du théâtre pour vivre ce mou­ve­ment dans un « être ensem­ble » – étant enten­du qu’il s’agit d’un autre monde, d’un autre temps que ceux fab­riqués par les hor­loges rég­nantes et com­mu­ni­cantes. Cela appa­raît très claire­ment avec Sade et Nova­ri­na, mais aus­si avec Philip K. Dick qui est un autre écrivain que j’ai mis en théâtre. « Rien n’est réel », « Noth­ing is real » comme il l’écrivait… Lorsque j’ai tra­vail­lé sur K. Dick, qui est un auteur de sci­ence fic­tion, j’ai été con­fron­té au fait qu’il s’agisse d’un genre lit­téraire non recon­nu à part entière. J’ai alors ren­con­tré l’incrédulité des décideurs théâ­traux. Et j’ai com­pris qu’il y a bien un risque à s’avancer régulière­ment dans ces zones non offi­cielle­ment repérées et réper­toriées. Ce risque est encore plus grand aujourd’hui car les espaces de représen­ta­tion sus­cep­ti­bles d’accueillir ou de favoris­er ces formes dimin­u­ent. Et cela, en même temps que les finance­ments publics rétré­cis­sent. Avec Fed­er­man, je con­tin­ue d’explorer la veine de ceux que j’appelle les « auteurs à trous ». C’est-à-dire, ceux qui choi­sis­sent de s’affronter au trou, à la béance que nous nous employons à cacher, depuis l’origine, par le lan­gage. Ceux qui refusent de recou­vrir le trou de lan­gage, de met­tre des paroles sur nos trous, d’inventer des his­toires, n’importe lesquelles, pour éviter, pour mas­quer… Fed­er­man en fait par­tie. Lui aus­si s’efforce de percer le voile des représen­ta­tions, qu’elles soient offi­cielles ou non. Lui aus­si s’efforce de brouiller les caté­gories : celles de l’écrit et du par­lé, du lit­téraire et du pop­u­laire, du roman, de la poésie et du théâtre, ou encore celles du bon et du mau­vais goût. D’ailleurs, il aime dire qu’il écrit des « moches let­tres ». Et le trou dont il par­le, dans lequel toute sa famille a été aspirée, est bien enten­du his­torique­ment daté, c’est la Shoah. Mais c’est égale­ment ontologique­ment celui de l’horreur d’être humain. Il dit dans AMER ELDORADO : «…com­pren­dre que la réal­ité (passée présente ou future) n’existe vrai­ment que dans l’imagination de celui qui la décrit ou l’invente. »

C. H.: En prenant des risques, de quoi se libère-t-on ? Par rap­port à soi et son image ? Mais aus­si, par rap­port au pub­lic ?

L. C.: Si on cherche à se libér­er de quelque chose, il me sem­ble que c’est de la mort. On cherche à lut­ter con­tre la mort. On n’est pas dans la répéti­tion de quelque chose, on est dans le vif.

En ce qui con­cerne le rap­port au pub­lic, c’est comme au cirque : le trapéziste va-t-il chuter ? Ou bien va-t-il tra­vers­er l’air, les apparences, la mort en nous entraî­nant avec lui ? Je pense à DEVANT LA PAROLE de Nova­ri­na : « Tra­ver­sée de la mer Rouge, tra­ver­sée du tombeau, tra­ver­sée de la page, de l’espace, du plateau. Il y a un pas­sage au fond. “Pes­sah”, le saut pas­cal. Notre res­pi­ra­tion mime à chaque instant ce mou­ve­ment de tra­vers­er la mort. »

C. H.: Est-ce que pour vous la prise de risque s’inscrit d’emblée dans l’élaboration et la pro­duc­tion du spec­ta­cle ?

L. C.: Cela m’apparaît qua­si­ment con­sub­stantiel. Il y a deux aspects. Il y a d’un côté un risque sur le plan économique, sans compter le temps investi dans un tra­vail dont on n’est pas tou­jours assuré qu’il ver­ra le jour. Et il y a d’un autre côté, le risque artis­tique. Nous sommes chaque fois dans l’invention d’une nou­velle forme, une nou­velle forme qui naît de l’écriture elle même. Le seul via­tique est de se jeter…

C. H.: N’est-ce pas là une des par­tic­u­lar­ités de la prise de risque dans un art col­lec­tif comme le théâtre ?

L. C.: Évidem­ment. Por­teurs du feu, de l’idée, au théâtre, on n’est pas seul. On embar­que avec nous des gens dont c’est le méti­er. Et il faut les pay­er… Les bud­gets étant ce qu’ils sont, et la prise de risque étant très peu, ou pas, partagée par les scènes sub­ven­tion­nées, c’est un prob­lème impor­tant.

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Chantal Hurault
Docteure en études théâtrales, Chantal Hurault a publié un livre d’entretiens avec Dominique Bruguière, Penser...Plus d'info
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