Olivier Py — Un théâtre salutaire pour soi

Olivier Py — Un théâtre salutaire pour soi

Entretien avec Sylvie Martin-Lahmani

Le 29 Avr 2005

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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
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Sylvie Mar­tin-Lah­mani - EST-CE QUE LA NOTION DE RISQUE occupe un rôle par­ti­c­uli­er dans votre pra­tique actuelle ?

Olivi­er Py - Se sou­venir de la réponse de Beau­mar­chais, à la veille de la pre­mière du MARIAGE, à qui l’on dit : « Vous ne risquez pas votre vie », et à quoi il répond : « Vous avez rai­son, je risque bien plus. » On a un peu honte de par­ler de risque face à ceux qui en pren­nent réelle­ment dans leur chair. Mais il n’est pas vrai, comme dit Fal­staff, que l’éthique ne tue pas. Cela n’est pas vrai, le déshon­neur tue, l’incompréhension tue, le risque de s’apparaître médiocre à soi-même tue. Il y a un dan­ger spir­ituel. En général, quand j’écris, c’est qu’une ques­tion en moi n’est pas résolue et qu’il faut que je laisse au théâtre, peut-être pas la réponse, mais en tout cas le com­bat. Par exem­ple, la ques­tion de la con­ver­sion– chré­ti­enne notam­ment – n’est jamais résolue et, quand je me remets à écrire, je la remets au théâtre, je la risque dans l’écrit, je ne risque pas ma vie mais mon vis­age dans le miroir du poème. Je laisse agir les per­son­nages, la langue, les mots. Je risque mon vis­age, oui. Par exem­ple, pour LES VAINQUEURS, j’avais décidé de faire par­ler ce qui n’était pas con­ver­ti en moi, ce qui était pro­fondé­ment païen, quitte à me per­dre tout à fait.

S. M.-L. - Est-ce que la prise de risque s’inscrit d’emblée dans l’élaboration et la pro­duc­tion du spec­ta­cle ?

O. P. - On prend des risques quand on essaie de dire quelque chose qui soit sub­stantiel, sinon, le reste, les formes, c’est comme un jeu mer­veilleux, qui ne tue pas.

S. M.-L. - En prenant des risques, de quoi se libère-t-on ? Par rap­port à soi et à son image ? Par rap­port au pub­lic ? Par rap­port à l’institution ?

O. P. - Cette idée de risque est en fait très bour­geoise. L’homme qui doit par­ler, qui essaie de sur­vivre dans la Vérité, ne s’intéresse pas à ça. La « sub­ver­sion » est aujourd’hui une valeur bour­geoise, récupérée par le mar­ket­ing. Il faudrait aban­don­ner ces idées aux pub­lic­i­taires et aux marchands de modes, qui utilisent très bien les scan­dales et en font une stratégie. Je méprise cela pro­fondé­ment. Moi, j’ai tou­jours cher­ché l’inverse, à ce que ma parole soit la plus com­préhen­si­ble pos­si­ble, à ce qu’elle réu­nisse le plus grand pub­lic pos­si­ble, compte tenu du fait qu’elle est déjà minori­taire au sein de la société. Et en cela, j’ai tou­jours voulu faire du théâtre pop­u­laire, ce qui veut dire totale­ment le con­traire de l’idée d’un théâtre dém­a­gogique.

S. M.-L. - Cela me fait penser aux idées de Sartre sur le théâtre – pas à celui qu’il écrit –, telles qu’elles sont dévelop­pées dans UN THÉÂTRE DE SITUATIONS, notam­ment à son désir de faire un théâtre qui vise à impres­sion­ner le spec­ta­teur mais pas à le mobilis­er, de recourir à sa dimen­sion céré­monielle tout en pré­con­isant la dis­tance, où l’idéal serait de restituer l’homme dans sa réal­ité totale…

O. P. - Non, parce que Sartre ou Brecht, ou même Genet, c’était une époque qui n’était pas con­sen­suelle. Il y avait des camps. Ils dis­aient qu’ils fai­saient un théâtre qui divi­sait ou qui oppo­sait des class­es, des mass­es, des groupes soci­aux bien défi­nis. Donc, ils écrivaient pour leur camp. Tan­dis que ces com­bats poli­tiques n’ont pas véri­ta­ble­ment de sens aujourd’hui. Nous sommes dans un tel con­sen­sus que nous ne pou­vons pas du tout imag­in­er le rap­port au pub­lic comme un rap­port de lutte des class­es. Nous sommes dans une ère ontologique, c’est la lutte de l’être con­tre le virtuel, de la réelle présence con­tre la réelle absence. On ne s’adresse donc plus à des groupes soci­aux qui se com­bat­tent, la gauche, la droite, mais à l’individu, seul, face au monde con­sen­suel. Ce n’est pas un théâtre éli­taire pour tous, mais un théâtre salu­taire pour soi.

S. M.-L. - Par la prise de risque, que voulez-vous bris­er ? Que voulez-vous attein­dre ?

O. P. - Nous sommes dans une époque où le vrai grand prêtre, c’est le créa­teur de mode. Où la reli­gion est celle du sexe qui est la seule valeur de plus-val­ue infinie. Et tous les penseurs, tous les poètes doivent se déguis­er en marc­hand de mode, sinon ils n’ont aucune chance d’être enten­dus dans le monde con­sen­suel qui est le monde du dés­espoir. Le sexe nous fait croire immor­tels pour un instant, juste le temps d’aller acheter des objets inutiles. Ces objets peu­vent être cul­turels, cela ne change rien. Le poète doit se faire renard, il sait que l’esprit veille et que l’adolescent qui a besoin de nour­ri­t­ures spir­ituelles vien­dra à lui. Le reste n’est rien, le grand cirque de la mode avec ses fauss­es pris­es de risques et ses fauss­es audaces. Moi, je crois qu’on devient vrai­ment un grand inven­teur de forme quand on n’a vrai­ment plus rien à dire. Quand on a une parole et qu’elle est vitale, les ques­tions de formes devi­en­nent des ques­tions de mode. Je crois que ce que le pub­lic veut voir, sur scène, c’est une aven­ture spir­ituelle, dis­ons poé­tique, qui soit à la mesure de la vio­lence du monde. Et je crois qu’il recon­naît tout de suite l’engagement d’hommes et de femmes dans une aven­ture poé­tique, quoi qu’il en coûte. Il le recon­naît d’emblée, pen­dant que les petits mar­quis sont en train de dis­cuter sur la couleur des rubans, talons rouges, pas talons rouges…

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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