Jeux théâtraux et enjeux de société

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Jeux théâtraux et enjeux de société

Le 31 Jan 2007
Kazuo Ohno dans LA ARGENTINA.
Kazuo Ohno dans LA ARGENTINA.
Kazuo Ohno dans LA ARGENTINA.
Kazuo Ohno dans LA ARGENTINA.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 92 ) Le corps travesti
92

« Madame je ne suis pas ce que je joue »

Shake­speare, LA NUIT DES ROIS

LE TRAVESTISSEMENT sur la scène n’a rien d’une pra­tique récente, il remonte aux Grecs ou aux élis­abéthains mais, depuis quelques siè­cles, il a été mar­gin­al­isé, voire ban­ni de la scène au nom d’une adéqua­tion sex­uelle entre le per­son­nage et le comé­di­en, cau­tion d’une « vérité » scénique dont le théâtre ne devait pas se dépar­tir. Le trav­es­tisse­ment fut con­sid­éré comme étant con­traire à cette esthé­tique de l’organique que l’Occident imposera aux dépens de l’autre, l’esthétique du faux et de l’hybride qui, en Ori­ent, a résisté au point qu’encore aujourd’hui elle reste l’assise des spec­ta­cles vivants : tout théâtre tra­di­tion­nel fait appel au corps trav­es­ti. Cen­tral en Asie, le trav­es­tisse­ment fait l’objet d’un rejet obstiné­ment entretenu en Occi­dent, bat­tu en brèche – ici ou là – soit par les déviances des formes dites mineures – le cabaret, le trans­formisme dans les salles tou­jours « à côté » – soit par des excep­tions nota­bles, comme Sarah Bern­hardt qui, en rebelle, osera la trans­gres­sion en s’attaquant à Ham­let ou Loren­za­c­cio. Lau­ra Mar­i­ani 1 con­sacre un livre pas­sion­nant à cette aven­ture qui mar­qua les esprits d’alors en rap­pelant le rôle indé­ni­able joué par la décou­verte, à la même époque, de Sada Yaco, la grande Japon­aise qui éblouit l’Occident grâce à la maîtrise de son corps et à la décli­nai­son infinie des trav­es­tisse­ments exposés devant des salles muettes d’admiration. Sarah Bern­hardt, comme tant d’autres, de Craig à Mey­er­hold, n’est pas restée indif­férente à ce boule­verse­ment. Il ouvrait le champ des pos­si­bles que l’actrice éprise de défis ne tardera pas à expéri­menter.

Voilà le grand écart du corps trav­es­ti : entre l’exceptionnel et le mar­gin­al ! Entre l’éclat des stars à la sex­u­al­ité flot­tante et les nuits secrètes des boîtes de nuit…, le trav­es­tisse­ment s’accompagna d’une répu­ta­tion sul­fureuse ! Hors-normes, il res­ta ponctuel et sub­ver­sif. Depuis un cer­tain temps, le trav­es­tisse­ment perd ce statut pour sur­gir de manière affichée, explicite et assumée au point de se con­stituer en symp­tôme de la scène mod­erne. C’est ce qui m’est apparu comme évi­dence un soir au Théâtre de la Ville en voy­ant TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN dans la mise en scène de Ludovic Lagarde. Bon nom­bre d’approches ont con­fir­mé cette intu­ition que nous essayons, à plusieurs, de rap­pel­er et d’interpréter ici. Le trav­es­tisse­ment nous est apparu comme une alter­na­tive polémique. Il con­cerne autant le plateau et la présence du corps que les muta­tions des men­tal­ités col­lec­tives liées à la recon­nais­sance du mou­ve­ment homo­sex­uel. Comme tout ce qui est impor­tant au théâtre : pou­voirs de la scène et libéra­tions « socié­tales » se con­juguent. Le trav­es­tisse­ment, en s’attaquant aux normes instau­rées par le théâtre occi­den­tal post-élis­abéthain, sem­ble être l’équivalent actuel de cette autre rup­ture qui, elle, remonte aux années 68 : c’est par la défla­gra­tion du corps nu que l’avant-garde sur­pre­nait alors le pub­lic.

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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