DECLAN DONNELLAN crée sa compagnie avec le scénographe Nick Ormerod en 1981, « Cheek by Jowl », littéralement « joue contre bajoue », qui est une référence à l’expression de Bottom dans le SONGE D’UNE NUIT D’ETE de Shakespeare. Le metteur en scène britannique s’emploie à revisiter les grands classiques du patrimoine national : la fréquence avec laquelle il monte des pièces de Shakespeare – toutes les deux ou trois mises en scène – semble être significative de ce désir. Par ailleurs, il explore des textes contemporains ou des classiques étrangers.
Lorsqu’il monte COMME IL VOUS PLAIRA en 1991, avec une troupe exclusivement masculine, Declan Donnellan est un des pionniers, en Europe, du retour aux sources élisabéthaines. Ce spectacle connaît un énorme succès. « De toutes les versions de COMME IL VOUS PLAIRA que j’ai vues et je n’ai pas assez de doigts pour les compter, celle de Declan Donnellan est de loin la meilleure » 1 confiait Peter Brook, accueillant le spectacle dans son théâtre en janvier 1995.
Il serait réducteur de voir dans le concept ancien de « all men cast » employé par Donnellan un simple retour au théâtre élisabéthain, dans lequel les hommes jouaient les rôles des femmes, non admises à monter sur scène. Il n’emprunte pas la voie de la reconstitution historique. En cela, la mise en scène de Donnellan dans la scénographie minimaliste de Ormerod est résolument contemporaine.
Dans le kabuki, une forme traditionnelle de théâtre japonais, les rôles féminins, les Onnagata, sont joués par des hommes. Après avoir assisté à l’une de ces représentations, Donnellan s’est mis en quête d’un acteur susceptible d’interpréter Rosalinde dans COMME IL VOUS PLAIRA. Ce personnage présente en outre une véritable gageure : il est déguisé en homme, Ganymède, pendant la plus grande partie de la pièce.
Bel acteur noir, longiligne, Adrian Lester, sans maquillage, par le mouvement d’une épaule, d’un doigt, donne vie au personnage féminin sous les regards des spectateurs. Jamais il ne verse dans la caricature ou dans le cliché homosexuel ; sans artifice, c’est bien une femme puis une femme déguisée en homme qui prend naissance sur scène.
Declan Donnellan a repris ce même principe dramaturgique en 2003 en mettant en scène une troupe russe masculine pour LA NUIT DES ROIS. Tout aussi réussi mais très différent de COMME IL VOUS PLAIRA dans sa réalisation esthétique, ce deuxième spectacle tendait vers une abstraction visuelle en faisant se fondre les couleurs des costumes avec celles du décor. Dans des tons sombres, noirs, la première partie du spectacle pouvait suggérer le deuil de la comtesse Olivia, contrastant avec la deuxième partie, tout en clarté, costumes et tissus offrant une déclinaison de tons blancs ou écrus. Cette comédie de Shakespeare met également en scène un personnage travesti : Viola, qui se déguise en Césario. Mince et de petite taille, les cheveux très courts, Andrei Kouzitchev n’est pas maquillé à l’exception d’une fine moustache pour Césario, et n’a pour seul déguisement que la robe qu’il porte lorsqu’il n’est pas travesti en homme ; son physique tient vraiment de l’androgyne. Il ne contrefait pas sa voix pour jouer Viola, tout est contenu dans son comportement. Son attitude gracieuse, fragile, vibrante, tranche avec les moments où elle joue à être un homme, sous les regards des autres personnages.
Contrairement aux Onnagata qui ont inspiré le metteur en scène, les travestis de Donnellan ne se fardent pas et se déguisent à peine.
Identité masculine présente sous le déguisement féminin
Tels qu’ils sont écrits, les rôles de Rosalinde et de Viola présentent un défi aux acteurs. Leur transformation, dans le texte, est crédible – ou convenue -, le propre père de Rosalinde par exemple devant s’y tromper. Bien entendu, la dramaturgie shakespearienne tient compte de ces différents niveaux ; la convention était entendue par le public de même que la notion de genre, les troupes étant à l’époque exclusivement masculines.