Le réel comme pédagogie du travail d’acteur

Entretien
Théâtre

Le réel comme pédagogie du travail d’acteur

Entretien avec François Bloch

Le 18 Avr 2009
GROW OR GO de Marc Bauder, 2003. Copyright bauderfilm/Börres Weiffenbach.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

Bernard Debroux : Com­ment as-tu décou­vert le film Grow or go et qu’est-ce qui t’a décidé à en faire une adap­ta­tion au théâtre ?

Françoise Bloch : Grâce à Unter Eis de Falk Richter. La matière de cette pièce est puisée dans le film doc­u­men­taire Grow or go de Marc Baud­er. 

La déci­sion d’en faire un spec­ta­cle vient, pour moi, dans la con­ti­nu­ité d’une préoc­cu­pa­tion péd­a­gogique. J’ai com­mencé, il y a quelques années, à l’école d’acteurs de Liège, à tra­vailler sur base de doc­u­men­taires. Il s’agissait unique­ment de films de Ray­mond Depar­don. 

Je n’étais plus d’accord avec le rap­port que les jeunes acteurs dans les écoles entrete­naient avec le réel, avec le type d’attention qu’ils lui con­sacraient, plus pressés d’imiter un film, la télévi­sion ou un autre acteur (à un extrême du champs) ou d’être naturels (à l’autre extrême du champs) que d’imiter, de cap­tur­er, de ren­dre compte, avec leur moyen à eux, du réel. Com­ment, avec un regard aus­si peu atten­tif, aus­si peu désir­ant, aus­si super­fi­ciel sur la réal­ité, un acteur-artiste pou­vait-il avoir, au sens pre­mier du terme, une « vision du monde » ? Dans le meilleur des cas, on avait affaire à un rap­port de l’ordre de la pré­da­tion : pren­dre des morceaux appau­vris du réel pour par­faire un « moi en scène ». D’où l’envie de créer un out­il péd­a­gogique qui redonne du goût pour le réel.

J’ai cher­ché des doc­u­men­taires qui ne posent pas un regard dom­i­na­teur sur les êtres. Il devait seule­ment être ques­tion d’attention, de qual­ité du regard. C’est pour cela que j’ai choisi Depar­don. Sa posi­tion, son atti­tude pou­vait être un mod­èle pour les élèves acteurs. J’ai entamé avec eux, à par­tir des films, un tra­vail très minu­tieux d’imitation. Lorsqu’on l’observe fine­ment dans tous ses détails, la réal­ité est beau­coup plus intéres­sante et beau­coup plus riche que ce qu’en ren­dent habituelle­ment les acteurs sur scène. Il y a dans cette atti­tude une mine d’or, tant au niveau des formes qu’au niveau des con­tenus. Si on prend, par exem­ple, le reg­istre des voix, on se rend compte que la réal­ité est beau­coup plus com­plexe, plus diver­si­fiée que ce qu’en don­nent les acteurs sur scène, de même pour les gestes dits par­a­sites, et tout est à l’avenant. Un rap­port dif­férent à un réel dif­férent pro­duit une théâ­tral­ité sin­gulière  et un autre type de rap­port  avec les êtres dont on témoigne. Un rap­port à la fois plus proche, plus empathique donc, mais aus­si plus atten­tif, ce qui sup­pose une cer­taine dis­tance. Cet espace de jeu m’a sem­blé très pré­cieux. 

J’avais envie de con­tin­uer à l’explorer.

Par ailleurs, je trou­vais qu’il y avait urgence à par­ler aujourd’hui des élites poli­tiques et (ou) économiques.  

Unter Eis m’a don­né l’idée et le matéri­au néces­saire au sujet. Jean-Benoît Ugeux a écrit ensuite à Marc Baud­er, nous avons reçu le film et je l’ai vision­né. Tant du point de vue du sujet que du point de vue de la démarche théâ­trale, il répondait à ce que j’avais envie de faire. Le film était égale­ment por­teur d’une réflex­ion sur le rap­port au tra­vail, sur l’envahissement du champs privé ou intime par le tra­vail. C’est un sujet qui me pas­sionne et que j’avais déjà abor­dé lorsque j’avais mon­té « La demande d’emploi » de Michel Vinaver.

B. D. : Le spec­ta­cle a un rap­port  très direct avec le film. Com­ment as-tu fait le tra­vail de tran­scrip­tion au théâtre, du « scé­nario » du film ?

F. B. : Cela s’est fait de façon très empirique. J’ai com­mencé par extraire cer­taines scènes qui me sem­blaient fon­da­men­tales au niveau du con­tenu et poten­tielle­ment por­teuses d’une théâ­tral­ité. 

À par­tir d’un petit pré mon­tage, j’ai ajouté d’autres séquences. J’avais cette idée aus­si que je voulais m’éloigner pro­gres­sive­ment du doc­u­men­taire et j’ai finale­ment con­stru­it de façon très expéri­men­tale ce qui est là pour l’instant et qui n’est encore qu’une étape de tra­vail.

B. D. : Vas-tu rajouter d’autres élé­ments ou vas-tu rester fidèle au con­tenu général et aux por­traits des dif­férents pro­tag­o­nistes ? Par exem­ple la séquence du film entre la mère et la fille est très présente dans la ver­sion actuelle et c’est un élé­ment très impor­tant du film. 

F. B. : Oui, c’était une des pre­mières scènes choisies ; c’est la scène lim­i­naire du doc­u­men­taire et du spec­ta­cle. C’est de là que tout part, de l’éducation. Toute­fois, dans mon tra­vail, il y a aus­si des élé­ments extérieurs qui ne sont pas directe­ment issus du doc­u­men­taire, notam­ment, à la fin, les images vidéo qui met­tent les scènes issues du doc­u­men­taire en per­spec­tive. Il s’agit d’une ten­ta­tive de con­fron­ter le monde des con­sul­tants, sujet cen­tral du film et du spec­ta­cle, au monde extérieur. J’essaie toute­fois, dans toute la mesure du pos­si­ble, de ne pas rajouter trop. 

B. D. : C’est peut-être la dif­férence avec Unter Eis  où les con­sul­tants sont présen­tés comme vivant dans  une bulle com­plète­ment fer­mée. Toi, tu apportes des élé­ments qui vien­nent de l’extérieur. 

F. B. : Je suis plus proche du scé­nario de Baud­er que Unter Eis ne l’est. La théâ­tral­ité chez Falk Richter est dans l’écriture, il a con­stru­it à par­tir du film un tout nou­veau scé­nario. 

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Entretien
Théâtre
Françoise Bloch
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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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