Deux spectacles hors pair

Théâtre
Critique

Deux spectacles hors pair

Le 5 Avr 2010
Frédéric Leidgens, Jean-Christophe Vermot-Gauchy et Gaël Baron dans OBSERVER, texte et mise en scène Bruno Meyssat, théâtre de Gennevilliers, novembre 2009. Photo Michel Cavalca.
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Frédéric Leidgens, Jean-Christophe Vermot-Gauchy et Gaël Baron dans OBSERVER, texte et mise en scène Bruno Meyssat, théâtre de Gennevilliers, novembre 2009. Photo Michel Cavalca.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 104 - Désir de théâtre. Désir au théâtre
104

VOICI DEUX SPECTACLES que tout oppose, voici deux spec­ta­cles qui lais­sent des traces, voici deux expres­sions de « l’excès » au théâtre sans que cet excès ne soit explicite. Aucune rad­i­cal­ité extérieure, aucun symp­tôme directe­ment provo­ca­teur, aucun con­fort con­tes­tataire ! Et pour­tant de pareils ren­dez-vous ne sont pas fréquents. Ici, le théâtre, par sa présence même, rend exigeant l’échange, alerte le pub­lic, mar­que de son sceau la mémoire. On ne sort pas indemne de telles soirées, on les porte avec soi comme le sou­venir d’une instal­la­tion de Kief­fer ou de Boltan­s­ki. Ce n’est pas le détail d’une solu­tion, le tal­ent d’un inter­prète, le génie d’un écrivain qui s’imposent mais l’acte dans son inté­gral­ité. Il est là, lourd de sens, rem­pli d’émotions, unique et immo­bile. Paraître dans la rubrique « en marge », n’empêche pas ces deux spec­ta­cles, OBSERVER et TROISIÈME GÉNÉRATION1, de se trou­ver depuis quelques mois au « cen­tre » du spec­ta­teur que je suis. Ils sont com­plé­men­taires sur le plan des moyens comme sur celui de la pos­ture adop­tée ; ils débor­dent les lim­ites du théâtre tout en le plaçant au cœur de l’histoire. La forme inven­tée ne se replie pas sur elle-même, mais sur­git des con­flits extrêmes dont elle sem­ble être l’émanation scénique.
Le spec­ta­cle de Bruno Meyssat, OBSERVER, invité au théâtre de Gen­nevil­liers, a pour point de départ la tragédie d’Hiroshima. Elle a engen­dré, nous nous en rap­pelons, des cris et des soupirs, que l’on pense à HIROSHIMA MON AMOUR, aux reportages, aux poèmes, et aux expo­si­tions où les mots comme les images n’ont cessé de clamer l’horreur de la bombe. Des con­sciences furent per­tur­bées, celle de son père, Oppen­heimer et, plus encore, celle du pilote qui la lança et ne parvint jamais à retrou­ver la paix avec lui-même. Tout cela remonte loin et Bruno Meyssat cherche et réus­sit à restituer le mou­ve­ment lent, indé­fectible de la mémoire où se sont déposées les traces du cauchemar. Ici il n’y a plus de place pour le mot. Tout est silence. Tout est matière qui ren­voie à la grav­ité inef­façable de l’expérience, tout écoute la logique frag­men­taire d’un passé lourd comme du plomb, épars et brisé. Toute rhé­torique de la souf­france écartée, toute ges­tic­u­la­tion pathé­tique cen­surée, le spec­ta­cle nous con­vie à une céré­monie de la douleur muette. Il m’a rap­pelé le célèbre film des années soix­ante, LA FEMME DES SABLES : rien de plus oppres­sant que la douleur inter­dite de son, réduite à des déplace­ments som­nam­buliques et des sur­sauts de ten­dresse tacite. La puis­sance d’absorption de cet univers qui se meut selon une logique invalide de paroles devient extrême : il nous aspire et, sans tou­jours décel­er le sens de ses énigmes, nous suiv­ons ses appari­tions comme dans un rêve tout en éprou­vant le sen­ti­ment d’une dig­nité respon­s­able ; comme dans une céré­monie sans faste ni pleurs, quelque part dans un cimetière de cam­pagne, ou comme dans un tableau de Giot­to où la présence physique des corps épais, voûtés, repliés sur eux-mêmes dis­ent la débâ­cle qu’engendre la mort du Christ.

  1. L’auteure et met­teure en scène israéli­enne Yael Ronen a réu­ni en « work in progress » des comé­di­ens alle­mands, pales­tiniens et israéliens de cette « troisième généra­tion » qui doit vivre avec l’héritage de la Shoah, de l’Holocauste, du con­flit au Proche Ori­ent, entre cul­pa­bil­ité et sou­venir. DRITTE GENERATION est une copro­duc­tion de la Schaubühne de Berlin et du Théâtre Nation­al
    Habimah de Tel Aviv. ↩︎

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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