UN SPECTACLE, mes débuts avec Lia Mantoc, a marqué ma vie : VÊTIR CEUX QUI SONT NUS dans la mise en scène de Catalina Buzoianu. Elle était jeune, nous entrions dans la profession, nous parlions, de manière non systématique, de Delvaux et des ruines de Rome. Elle disait des choses imprécises, mais elle nous faisait confiance et ce climat fut propice à mes débuts. Comme scénographe, l’autre rencontre essentielle fut celle avec Dragos Galgotiu qui, lui, propose une vision plus structurée mais cherche à instaurer le dialogue entre le texte et l’espace : nous parlons la même langue théâtrale. Enfin la collaboration avec Gabor Tompa est comme une sorte de synthèse entre les deux voies car il a une vision précise, mais m’accorde une grande liberté. Nous travaillons à partir d’associations d’idées sur la base d’une forte entente réciproque.
J’aime quand la mise en scène et l’espace évoluent ensemble, quand le metteur en scène et le scénographe entretiennent une relation dynamique comme dans un groupe de jazz. On parvient à saisir ainsi l’état initial, c’est ce qui est le plus difficile, car une fois trouvé le dénominateur commun pour le spectacle, les solutions concrètes surgissent. Je pense de manière apparentée avec le metteur en scène, mais nous ne sommes pas identiques… Nous sommes simplement accordés. Il y a des « affinités électives » qui nous lient. Je commence à chercher à partir des « mots jetés », des mots qui ouvrent des portes vers les strates souterraines du texte qui reste, pour moi, l’élément essentiel. Ce qui compte c’est d’abord de trouver « le motif central » – comme par exemple « la pluie » pour LE MALENTENDU – car les détails se précisent ensuite.
Je cherche des espaces forts, clairs, agressifs – un metteur en scène s’en est effrayé et a joué tout le spectacle devant mon décor ! Je souhaite proposer des solutions scénographiques non pas pittoresques, mais expressives ; je cherche par l’espace non pas la description, mais l’idée d’un projet. Cela me libère à l’égard des contraintes réalistes car j’aime les déformations, les anamorphoses, les perspectives accélérées qui invitent le spectateur à un voyage mental. Ces figures n’ont rien de statique et je souhaite les inscrire dans un processus de métamorphose plastique en relation constante avec la dynamique du spectacle.
J’aime partir d’une idée essentielle. Tout se joue autour de la découverte, à deux, du « nœud poétique » du spectacle, nœud auquel en parvient grâce à un accouchement partagé. Ensuite je ne m’interdis pas de moduler cette « vision » initiale tout en m’imposant de ne jamais la perdre de vue. J’adore l’évolution, mais j’abhorre l’égarement. Mes décors peuvent être énigmatiques sans être chaotiques. Je suis le défenseur d’une « poétique organisée » qui intègre des éléments du réel autant que des pulsions, des désirs, des rêves. Oui, le théâtre se place au croisement du vrai et du faux et j’essaie de le confirmer par les décors que je conçois et je construis chez moi pour les mettre à l’épreuve de « la tridimensionnalité ». Cet exercice artisanal m’est indispensable.