Droit de cité aux poètes

Théâtre
Réflexion

Droit de cité aux poètes

Le 29 Juil 2011
Article publié pour le numéro
Couverture du 109 - Le théâtre en sa ville
109

Pla­ton voulait chas­s­er les poètes, ces imi­ta­teurs créa­teurs de sem­blances et non de choses réelles, de sa cité idéale (La République, Livre X). Le philosophe grec visait par­ti­c­ulière­ment les poètes trag­iques, des fab­ri­cants de fan­tômes qu’il oppo­sait à ceux qui créeraient vrai­ment… Songeant plutôt que les hommes de théâtre sont eux aus­si des fab­ri­cants de réel, qu’il serait vain de hiérar­chis­er les caté­gories d’artisans – tous impor­tants –, et inutile de se répan­dre en pon­cifs sur les pon­ceurs et les penseurs, ce numéro d’Alter­na­tivest héâ­trales inter­roge le rôle des théâtres dans nos villes, aujour­d’hui.

Conçu en com­plic­ité avec Emmanuel Demar­cy-Mota, « Le Théâtre en sa ville » explore les liens que la ville tisse avec ses théâtres ; et ceux qu’ils nouent avec leur Cité et leurs cités – ban­lieues plus ou moins éloignées d’un cœur pré­sumé. Cen­tre et périphérie. Bor­ds et débor­ds… « Le Théâtre en sa Ville » pose la ques­tion du lieu et de ce qui s’y joue : du bâti­ment et de la pro­gram­ma­tion : de l’écrin et de son ancrage sur un ter­ri­toire. Pour Emmanuel Demar­cy-Mota, qui a deux patries (la France et le Por­tu­gal), un goût pour l’ouverture à toutes les formes d’art, de langues et d’identités, la cap­i­tale parisi­enne excède ses fron­tières : « Dans Théâtre de la Ville, il y a le mot « ville ». Et je suis assez heureux de me dire que ma ville est un « monde. » (Ma Ville est un « monde »).

Aujourd’hui, de nom­breuses villes ont adop­té une insti­tu­tion qui porte leur nom, en le faisant par­fois reten­tir autour du monde : « Mais une cité majus­cule comme Paris ne saurait se recon­naître dans un seul théâtre, fût-il sa pro­pre exclu­siv­ité, une pièce maîtresse de son pat­ri­moine. » Emmanuel Wal­lon pro­pose une vis­ite guidée de la cap­i­tale cul­turelle, un point de vue sur sa « cen­tral­ité éclatée », une réflex­ion sur les scènes de province ou d’Europe qui con­tribuent à mod­el­er le paysage urbain (Exten­sion du domaine de la scène, Un théâtre sans cap­i­tale).

Plusieurs « théâtres-frères » du Théâtre de la Ville, européens, livrent leur vision du théâtre et de son impact. Pour Luca Ron­coni, « un théâtre pub­lic doit être lié à son ter­ri­toire. » L’histoire du théâtre en Ital­ie s’est écrite sous le règne du théâtre de tournées, au détri­ment des lieux per­ma­nents (Le Pic­co­lo de Milan : teatro sta­bile et poli­tiques insta­bles).

Claus Pey­mann dirige le Berlin­er Ensem­ble avec la volon­té de ne pas jouer comme dans un théâtre munic­i­pal nor­mal. Il veut pou­voir « être présent dans l’espace pub­lic, pren­dre posi­tion sans com­pro­mis, polémi­quer, affron­ter le monde poli­tique. » (À la recherche d’une ten­sion entre lav­ille et le théâtre). Directeur du São Luiz de Lis­bonne, José Luis Fer­reira est attaché aux com­posantes cul­turelles de sa ville, « pre­mière ville mul­ti­cul­turelle du monde occi­den­tal, qui intè­gre la mémoire de ces rap­ports étab­lis his­torique­ment avec le monde entier, mais aus­si les défis de la mon­di­al­i­sa­tion accélérée » (Le São Luiz de Lis­bonne : réin­ven­ter un pat­ri­moine don­né en héritage).

Le Young Vic, dirigé par David Lan, se trou­ve dans un quarti­er mixte de Lon­dres, où des maisons très chères côtoient des lotisse­ments soci­aux : « Nous voulons que le pub­lic dans le théâtre soit le même que celui que nous croi­sons quo­ti­di­en­nement dans la rue » (Le Young Vic de Lon­dres, un théâtre qui met en dan­ger).

À Brux­elles ou à Buenos Aires, on se soucie aus­si des pop­u­la­tions. Le directeur du KVS, dont le théâtre est en con­nex­ion avec l’actualité poli­tique, se soucie des minorités dans le choix de ses pro­jets artis­tiques (Le KVS de Brux­elles, un théâtre d’émancipation pour les nou­velles minorités urbaines).

La direc­trice du San Martín con­sid­ère elle aus­si son théâtre comme un lieu « d’importance vitale pour la cul­ture urbaine… La ville aujourd’hui plus que jamais, doit compter avec lui, véri­ta­ble refuge qui incite à la lib­erté et l’imagination de tous ses habi­tants. » (Le Théâtre San Martín de Buenos Aires).

Pour ces directeurs, comme pour les maires de Paris et de Lis­bonne, la cul­ture doit trou­ver droit de cité dans les théâtres. Pour Bertrand Delanoë « Le Théâtre de la Ville par­ticipe pleine­ment à de nou­veaux réseaux, à l’échelle de la Ville et de la Métro­pole, per­me­t­tant de sor­tir de cer­tains antag­o­nismes et de favoris­er une dynamique artis­tique créa­tive » (La cul­ture doit être pour tous un instru­ment essen­tiel d’émancipation). Anto­nio Cos­ta réflé­chit au rôle du théâtre comme endroit du croise­ment des publics et des artistes (Le Teatro São Luiz : un lieu de croise­ment et de ren­con­tre).

Ces témoignages invi­tent à penser les théâtres comme des lieux de vie, dont l’image serait révéla­trice de nos villes. Mar­cel Frey­de­font et Serge Saa­da ont réfléchi à cette ques­tion du reflet de la ville en son théâtre : le pre­mier, sous l’angle de l’architecture et de la scéno­gra­phie (Une con­stel­la­tion de lieux divers en miroir d’une ville com­pos­ite); le sec­ond, par une analyse des spec­ta­teurs (Spec­ta­teur pour la pre­mière fois).

Loin des « théâtres en cap­i­tale », Georges Banu s’intéresse à plusieurs villes, peu ou prou incon­nues, jusqu’à l’arrivée d’artistes dont les pra­tiques exem­plaires les ont révélés au monde, telle Pina Bausch à Wup­perthal… (« Villes mineures », pra­tiques exem­plaires). C’est enfin à l’histoire et aux exploits d’un théâtre situé à l’est de Cra­covie, que Stéphanie Lupo nous con­vie (Laz­nia Nowa Teatr / Nowa Huta : « La vie dans le théâtre / Lueurs de l’ombre »).

Il faudrait par­ler d’autres villes, d’autres théâtres, bien sûr… Cette tra­ver­sée excé­dant nos forces, nous avons invité François Rég­nault à écrire sa poé­tique de la ville, sur les pas de Balzac ou de Claudel… (À nous deux main­tenant).

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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Pro­fesseure asso­ciée à la Sor­bonne Nou­velle, Sylvie Mar­tin-Lah­mani s’intéresse à toutes les formes scéniques con­tem­po­raines. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive aux...Plus d'info
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