Écrire les mots de l’opéra sans écrire leur musique

Entretien
Opéra

Écrire les mots de l’opéra sans écrire leur musique

Entretien avec Martin Crimp

Le 10 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

ALAIN PERROUX : Avant d’écrire votre pre­mier texte des­tiné à un opéra, INTO THE LITTLE HILL (2006), quel lien aviez-vous avec l’univers musi­cal et lyrique ?

Mar­tin Crimp : Je suis un musi­cien ama­teur : je joue du piano depuis mon enfance. Mais l’opéra n’a jamais fait par­tie de mon envi­ron­nement. J’ai com­mencé à m’y intéress­er du moment où a com­mencé ma col­lab­o­ra­tion avec le com­pos­i­teur George Ben­jamin. Aupar­a­vant, je n’avais jamais mis les pieds dans un opéra, ni même écouté de la musique d’opéra. La seule musique dra­ma­tique que je con­nais­sais, c’étaient les pas­sions de Jean-Sébastien Bach. Elles ont con­sti­tué un point de départ, et restent aujourd’hui mon prin­ci­pal point de référence. J’ai certes tou­jours écouté de la musique de cham­bre ou de la musique sym­phonique, mais Bach demeure mon com­pos­i­teur favori. J’aime jouer sa musique.

A. P. : Com­ment avez-vous vécu l’expérience d’INTO THE LITTLE HILL ?

M. C. : Comme une expéri­ence très heureuse. La pre­mière fois que j’ai enten­du la musique de George, j’ai su que c’était « the real thing ». En ter­mes de rela­tion entre intel­lect et émo­tion, sa musique résonne forte­ment en moi. Et c’est pourquoi j’ai eu envie de tra­vailler avec lui. Jusqu’alors, je n’étais guère plus ver­sé dans l’univers de la musique con­tem­po­raine que dans celui de l’opéra.

A. P. : Pra­tique­ment, com­ment tra­vaillez-vous ensem­ble ?

M. C. : Lors de notre pre­mière col­lab­o­ra­tion, je lui ai don­né des échan­til­lons de textes afin de voir ce à quoi il réagis­sait le mieux. Puis nous avons défi­ni ensem­ble une ébauche de struc­ture à par­tir d’un matéri­au préex­is­tant, le con­te du joueur de flûte de Hamelin. Et enfin j’ai écrit le texte en entier, qu’il a mis en musique – nous n’avons que très peu changé ce texte en fonc­tion de la com­po­si­tion. Pour WRITTEN ON SKIN, notre deux­ième opéra créé au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence en juil­let 2012, les choses se sont passées sen­si­ble­ment de la même manière, si ce n’est que nous n’avons pas par­ti­c­ulière­ment dis­cuté de la struc­ture. J’ai don­né à George dif­férentes ébauch­es afin de choisir la direc­tion dans laque­lle il voulait me voir pour­suiv­re. Une fois qu’il était déter­miné, j’ai écrit la pre­mière par­tie, je la lui ai remise, elle lui a plu et j’ai donc con­tin­ué. Par­fois, au cours de la com­po­si­tion, il m’appelait pour me pos­er des ques­tions ou m’adresser des deman­des. Il traite mon texte avec un respect presque sacré (ce que ce texte ne mérite guère !) : par exem­ple en me deman­dant s’il peut couper tel ou tel mot. Par­fois il me demande d’étoffer un pas­sage, mais la plu­part du temps il s’agit de coupes.

A. P. : Com­ment décidez-vous d’une struc­ture dra­maturgique ?

M. C. : En temps nor­mal, j’invente mes pro­pres his­toires. Il n’y a que deux occa­sions où j’ai « théâ­tral­isé » un sujet d’origine non-dra­ma­tique : pré­cisé­ment dans les deux opéras écrits avec George, INTO THE LITTLE HILL et WRITTEN ON SKIN. S’agissant d’INTO THE LITTLE HILL, la dra­maturgie à laque­lle j’ai abouti, soit la manière de « théâ­tralis­er » cette matière, était en lien avec des con­traintes que je con­nais­sais dès le départ, notam­ment le fait qu’il n’y aurait que deux chanteurs à dis­po­si­tion. Comme j’avais décidé de repren­dre l’histoire du joueur de flûte de Hamelin, qui compte de nom­breux per­son­nages, l’idée m’est venue d’un drame qui ne serait pas seule­ment représen­té mais aus­si « racon­té » : dans leurs répliques, les per­son­nages se décrivent en train de par­ler et d’agir. La sec­onde source d’inspiration, pour INTO THE LITTLE HILL, c’étaient les œuvres dont je me sens le plus proche dans le domaine de la nar­ra­tion musi­cale, comme je l’ai déjà souligné : les pas­sions de Bach. C’est ain­si qu’ INTO THE LITTLE com­prend des « choeurs » chan­tés par les deux solistes, qui se sou­vi­en­nent des pas­sages dévo­lus à la « tur­ba » (la « foule ») dans les pas­sions. Quand nous en sommes arrivés au pro­jet de WRITTEN ON SKIN, il me sem­blait naturel de dévelop­per le même mod­èle. J’ai donc gardé l’idée du choeur, ici com­posé d’anges qui com­mentent et met­tent en place les scènes. Par ailleurs j’ai pour­suivi le développe­ment de la nar­ra­tion par les per­son­nages eux-mêmes, mais en don­nant à ceux-ci davan­tage d’autonomie.

A. P. : Est-ce une tech­nique que vous pour­riez utilis­er dans une pièce de théâtre par­lée ?

M. C. : Je ne suis pas sûr que je le souhait­erais. J’aurais peur que, dans une pièce de théâtre, cette tech­nique appa­raisse un peu emprun­tée, alors que, mis­es en musique, de telles répliques devi­en­nent naturelles – sans que je puisse expli­quer pourquoi.

A. P. : Le fait d’avoir expéri­men­té l’écriture d’un texte pour l’opéra a‑t-il changé votre manière d’écrire pour le théâtre par­lé ?

M. C. : Cela oblige à exam­in­er son pro­pre style avec une grande lucid­ité. On réalise alors que l’on peut avoir, en tant qu’auteur de théâtre, cer­tains maniérismes qui ne sont pas utiles à la musique, bien au con­traire : ils font obsta­cle. Quand on écrit une pièce, on écrit aus­si sa musique ; or quand on écrit pour un com­pos­i­teur, on ne doit juste­ment pas écrire la musique ! Il faut laiss­er quelque chose dehors, car vous savez que le com­pos­i­teur pren­dra cela en charge. Vous devez notam­ment laiss­er de côté toute banal­ité, alors que l’on peut con­stru­ire une pièce entière sur la banal­ité, comme le fait Tchekhov. C’est en tout cas une exi­gence qui provient de la musique de George Ben­jamin, laque­lle met la barre à une hau­teur dif­férente – pour George, met­tre en musique des mots comme « réfrigéra­teur » ou « béton » ne va pas de soi.

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Martin Crimp
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Alain Perroux
Alain Perroux est directeur général de l’Opéra national du Rhin depuis janvier 2020, après avoir...Plus d'info
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