Un artiste protéiforme

Entretien
Opéra

Un artiste protéiforme

Entretien avec William Kentridge

Le 15 Juil 2012

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Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

DENISE WENDEL : Vous avez imag­iné et mis en scène plusieurs pro­duc­tions pour le théâtre et l’opéra, basées sur des œuvres telles que WOYZECK de Bruck­n­er, FAUST de Goethe ou UBU ROI d’Alfred Jar­ry. En 1998, votre pre­mière pro­duc­tion à l’opéra, IL RITORNO D’ULISSE de Mon­tever­di, était une col­lab­o­ra­tion avec la Hand­spring Pup­pet Com­pa­ny, basée à Johan­nes­burg, lors du Kun­sten­Fes­ti­valde­sArts à Brux­elles. Elle a été suiv­ie de LA FLÛTE ENCHANTÉE au Théâtre de la Mon­naie à Brux­elles en 2003 puis de l’opéra LE NEZ de Chostakovitch au Met­ro­pol­i­tan Opera de New York en 2009. Vous êtes un artiste inter­na­tion­al dont on con­nait l’implication dans les décors à tra­vers les œuvres d’art générées par ces pro­jets, par exem­ple LEARNING THE FLUTE, une instal­la­tion présen­tée à Goslar, en Alle­magne, où vous avez rem­porté le prix Kaiser Ring en 2003, ou les eaux fortes réal­isées pour LE NEZ, exposées une pre­mière fois au MoMa à New York. Votre tra­vail de met­teur en scène de théâtre est peut-être moins con­nu.

William Ken­tridge : Il y a des met­teurs en scène qui enchaî­nent huit pro­duc­tions par an pen­dant vingt ans, alors que j’ai fait, en tout et pour tout, huit pro­duc­tions en trente ans. Alors par­fois je me demande « Mais qu’est-ce que tu fab­riques ? Tu te prends pour un met­teur en scène ?» Je n’ai pas tout à fait l’impression d’être un char­la­tan de la mise en scène, mais j’ai du mal à me com­par­er aux met­teurs en scène qui ne font que du théâtre.

D. W. :Quand vous êtes venu à Paris pour inté­gr­er la classe de Jacques Lecoq à l’École Inter­na­tionale de Théâtre dans les années 1980, vous aviez l’intention d’étudier le jeu d’acteur et la mise en scène.

W. K. : J ’étais à une étape de ma vie où je ne savais pas ce que je voulais faire, et où j’avais le choix entre trois choses : soit je con­tin­u­ais à étudi­er l’art et je devais aller dans une école d’art recon­nue, comme la Slade School ou la Cen­tral School of Art à Lon­dres ; soit j’étudiais le ciné­ma, à la New York Film School ; soit je pour­suiv­ais le théâtre, mais je voulais dans ce cas une école qui s’intéressait à l’improvisation – Jacques Lecoq était donc un bon choix. Cette année-là, 1981 – 1982, à Paris, se révéla être l’année d’enseignement la plus pro­duc­tive que j’aie jamais reçue.

D. W. : Les tech­niques Lecoq vous ser­vent-elles tou­jours aujourd’hui dans votre tra­vail de met­teur en scène ?

W. K. : Oui, tout le temps ! Les tech­niques Lecoq don­nent un moyen pour arriv­er, par l’intermédiaire d’exercices util­isant des métaphores très con­crètes, à une sig­ni­fi­ca­tion qui n’a rien à voir avec la moti­va­tion psy­chologique du jeu d’acteur. On demande à l’acteur d’imaginer un objet physique, par exem­ple un bloc d’argile, d’imaginer à quoi ressem­ble l’argile, ses pro­priétés physiques – la pos­si­bil­ité de la découper, de la malax­er, sa fac­ulté à garder la forme qu’on lui imprime –, d’étudier les pro­priétés dynamiques de l’argile. Il se pro­duit alors un trans­fert de ces sen­sa­tions dans le tra­vail dra­ma­tique de l’acteur. Avec ces out­ils, on peut con­stru­ire tout un per­son­nage, et au fur et à mesure que l’on tra­vaille un rôle, ces sen­sa­tions restent, et on peut s’y reporter pour se recon­necter immé­di­ate­ment au per­son­nage.

D. W. : Ces tech­niques sont-elles utiles aux chanteurs d’opéra ?

W. K. : Avec les chanteurs d’opéra, il faut adopter une approche très dif­férente. Par exem­ple, il serait impos­si­ble de sol­liciter de la part d’un chanteur le genre d’improvisations physique­ment exténu­antes que l’on pour­rait deman­der à un acteur, tout d’abord en rai­son des exi­gences physiques liées à une bonne pro­jec­tion de la voix, et ensuite en rai­son du cadre tem­porel fixé par la musique. Il faut donc trou­ver un itinéraire métaphorique dif­férent, qui soit sans dif­fi­culté physique extrême.
Mais le tra­vail avec les chanteurs peut être dif­fi­cile parce que, plus qu’au théâtre, on se trou­ve face à quelqu’un qui peut avoir déjà chan­té le même rôle pour douze maisons d’opéra dif­férentes, et qui a sa manière d’interpréter Papageno, sa manière d’interpréter Pam­i­na, avec plein de tics. C’est par­fois très dif­fi­cile de les sup­primer et de repar­tir à zéro.

D. W. : Les pro­duc­tions lyriques impliquent aus­si une col­lab­o­ra­tion avec le chef d’orchestre, qui a sou­vent ses pro­pres idées sur une œuvre pré­cise.

W. K. : Aucune de mes expéri­ences de col­lab­o­ra­tion avec un chef d’orchestre n’a été con­clu­ante. Je n’ai jamais eu de vraie con­ver­sa­tion sur des ques­tions artis­tiques avec un chef d’orchestre, jamais !
J’ai par exem­ple tra­vail­lé avec un chef d’orchestre qui voulait régler au mil­limètre près le moin­dre détail de la mise en scène. Il m’avait expliqué lors d’une pre­mière ren­con­tre ce qu’il voulait faire sur le plan musi­cal, et com­ment il voulait traiter les dia­logues ; nous avons donc eu un petit bras de fer à ce sujet, jusqu’à ce que je lui explique que les dia­logues étaient mon domaine.
Un autre chef était absent pen­dant toute la péri­ode des répéti­tions. Il n’est arrivé que trois jours avant la pre­mière pour se famil­iaris­er avec la mise en scène. Pour une nou­velle pro­duc­tion, ce serait bien de trou­ver un chef d’orchestre, ou peut-être un dra­maturge musi­cal, avec qui je pour­rais avoir un réel échange d’idées.

D. W. : Vous aviez nour­ri l’espoir de devenir acteur, qu’en est-il advenu ?

W. K. : Les bons acteurs sont comme des caméléons, dans le sens où ils peu­vent endoss­er des per­son­nages très dif­férents, si bien qu’à chaque fois qu’on les voit sur scène, ils sont com­plète­ment trans­for­més. Tan­dis que moi, j’avais l’impression que, peu importe ce que j’allais faire, ce serait tou­jours la même per­for­mance. Je pense que j’ai eu de la chance de décou­vrir à l’école de théâtre que j’étais à ce point mau­vais acteur. J’en étais réduit à être un artiste, et je m’en suis accom­modé.

D. W. : Vous avez pour­tant rem­porté un suc­cès con­sid­érable avec votre spec­ta­cle en solo I AM NOT ME, THE HORSE IS NOT MINE, une con­férence-per­for­mance accom­pa­g­née de pro­jec­tions, ini­tiale­ment réal­isée pour la Syd­ney Bien­nale en juin 2008.

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