Chantal Hurault : Avec la création de l’intégrale des pièces de théâtre de Georg Büchner en 20121, vous entamiez votre seizième création avec Ludovic Lagarde. Alors que vous abordez majoritairement ensemble l’écriture contemporaine d’Olivier Cadiot, qu’est-ce qui explique ce projet et de quelle façon l’avez-vous envisagé ?
Laurent Poitrenaux : Le théâtre allemand a toujours intéressé Ludovic Lagarde, de Brecht à Heiner Müller. Je me souviens des discussions que l’on avait sur Büchner lorsque nous étions à l’école de théâtre. Ludovic disait régulièrement : un jour, il faudra monter Büchner…
Après la création d’UN MAGE EN ÉTÉ,on savait qu’Olivier allait repartir en écriture pendant longtemps. Ludovic, qui ne lance jamais de projets trop en amont pour privilégier une nécessité du moment, a commencé ses recherches en envisageant un répertoire plus classique auquel il voulait revenir. LA MORT DE DANTON a rapidement été évoquée, mais il en avait un souvenir fantasmé et, en la relisant, trop de passages lui parais- saient pesants dans une perspective de plateau. D’autres metteurs en scène partagent d’ailleurs ce sentiment d’une pièce trop vaste. En discutant avec Dominique Reymond et André Marcon qui ont tous les deux joué dans la mise en scène de Grüber, j’ai justement appris qu’il avait initialement prévu une adaptation qui ne conservait que les scènes de femmes.
En réfléchissant à un nouveau projet, le vieux rêve de WOYZECK est revenu à l’esprit de Ludovic. Mais il l’a abandonné car il désirait travailler une pièce de groupe rassemblant la bande de jeunes acteurs de la Comédie de Reims. Curieusement, l’idée de monter en même temps WOYZECK et DANTON a commencé à germer. Du coup, la troisième pièce, LÉONCE ET LÉNA,s’est greffée naturellement. Le projet d’une intégrale en une soirée a alors été lancé. On savait que cela allait être intense, un peu fou même, mais évident, cohérent dramaturgiquement.
L’intention a été de ne pas suivre l’ordre chronologique de l’écriture, pour débuter par WOYZECK, avant LA MORT DE DANTON puis LÉONCE ET LÉNA.Cela traçait une ligne historique allant du pré-révolutionnaire au révolutionnaire au post-révolutionnaire.
WOYZECK et LÉONCE ET LÉNA n’ont pratiquement pas été touchés, DANTON a été réduit à un format quasi équivalent aux deux autres, avec cette intuition très juste de Ludovic d’une révolution de boudoir, entre deux portes. Si les discours ont été maintenus, les scènes de rue avec le peuple ont été supprimées. L’essentiel se passe dans des chambres, dans de petites salles à manger, dans les cerveaux de la Révolution. Ce fut un choix dramaturgique franc et massif.
C. H.: Comment s’est déroulé le travail de recherche, sachant que les répétitions se sont faites à un rythme plus que soutenu, en travaillant les trois pièces simultanément ?
L. P. : Ce rythme a été radical, on répétait deux jours une pièce et on passait à une autre. Cette volonté d’avancer de front a permis d’être en permanence sur l’ensemble. J’avais l’image d’un cuisinier dans une immense cuisine, il fallait surveiller les cuissons, donc revenir constamment sur chaque pièce, sans perdre la mémoire de ce qu’on venait de faire sur les autres. D’une certaine manière, ce rythme de travail a permis aux textes d’être en écho, ils ont rapidement commencé à se répondre sur des thématiques ou à travers des figures de style qui n’étaient pourtant pas forcément au service de la même chose. Ce qui intéressait Ludovic, et qui a été passionnant, c’était la traversée de cette œuvre, livrée au public en une histoire, comme si l’on donnait à voir les vingt-trois ans de la vie d’un homme en une soirée.
Jean-Louis Besson, dont nous avons utilisé la traduction, avait retenu notre attention sur la jeunesse de Büchner et cela a été capital pour moi. Lorsque j’étais un peu perdu, je me rappelais que c’était en effet l’œuvre d’un jeune homme, avec ses fulgurances, ses faiblesses et son impétuosité. La force de cette écriture venait de son esprit révolutionnaire et de la façon dont ses recherches et ses connaissances scientifiques innervent l’ensemble.