Sagas, fresques et cycles : à l’assaut des textes « injouables » du grand répertoire

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Réflexion

Sagas, fresques et cycles : à l’assaut des textes « injouables » du grand répertoire

Le 26 Nov 2013
Gli ultimi giorni DELL’UMANITÀ (Die letzten tage der Menschheit) de Karl Kraus, mise en scène Luca Ronconi, Ex Sala Presse Lingotto, le 29 novembre 1990, Torino. Photo Tommaso Le Pera, Courtesy Fondazione del Teatro Stabile di Torino – Centro Studi.
Gli ultimi giorni DELL’UMANITÀ (Die letzten tage der Menschheit) de Karl Kraus, mise en scène Luca Ronconi, Ex Sala Presse Lingotto, le 29 novembre 1990, Torino. Photo Tommaso Le Pera, Courtesy Fondazione del Teatro Stabile di Torino – Centro Studi.

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Gli ultimi giorni DELL’UMANITÀ (Die letzten tage der Menschheit) de Karl Kraus, mise en scène Luca Ronconi, Ex Sala Presse Lingotto, le 29 novembre 1990, Torino. Photo Tommaso Le Pera, Courtesy Fondazione del Teatro Stabile di Torino – Centro Studi.
Gli ultimi giorni DELL’UMANITÀ (Die letzten tage der Menschheit) de Karl Kraus, mise en scène Luca Ronconi, Ex Sala Presse Lingotto, le 29 novembre 1990, Torino. Photo Tommaso Le Pera, Courtesy Fondazione del Teatro Stabile di Torino – Centro Studi.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 119 - Le grand format
119

« MÉMORABLE VOYAGE », « grand feuil­leton », « ovni » théâ­tral : les for­mules ne man­quaient pas, cet été encore, pour com­menter la dernière mise en scène, fausse­ment inté­grale, du FAUST 1 ET 2 présen­tée par Nico­las Ste­mann et le Thalia The­ater de Ham­bourg dans la nou­velle salle de la Fab­ri­cA inau­gurée pour l’ouverture du Fes­ti­val d’Avignon 2013.

Depuis le marathon conçu par Peter Stein à Hanovre afin de célébr­er le début du troisième mil­lé­naire, la grande œuvre de Goethe sem­blait pro­vi­soire­ment tombée dans les oubli­ettes des textes réputés injouables pour leur longueur (plus de 12 000 vers), le nom­bre de per­son­nages à inter­préter (plus d’une cen­taine sans compter les innom­brables chœurs) , le coût des décors à réalis­er (une ving­taine pour FAUST 1, davan­tage pour les cinq actes de FAUST 2 et bien plus grandios­es !), les finance­ments excep­tion­nels enfin que sup­po­sait une telle pro­duc­tion.

Le spec­ta­cle de Ste­mann déjouait pour­tant allé­gre­ment les pièges du gigan­tisme en réduisant les vingt-deux heures de l’authentique inté­grale pro­posée par Stein à 8 h 30 de représen­ta­tion (paus­es com­pris­es), grâce un habile dis­posi­tif de dis­tri­b­u­tion des rôles pour FAUST 1 et, surtout, grâce à des coupes et des pas­sages adap­tés et truf­fés d’improvisations, pour l’«irreprésentable » FAUST 2. La pre­mière par­tie, la plus con­nue et la plus sou­vent jouée (du moins dans sa ver­sion lyrique), était prise en charge durant plus d’une heure par un seul comé­di­en lisant tous les rôles (Sebas­t­ian Rudolf, remar­quable), rejoint ensuite par deux autres acteurs inter­pré­tant avec lui, à tour de rôle, tous les per­son­nages de la pièce. Seul un affichage lumineux pré­ci­sait pour les spec­ta­teurs à qui la réplique devait être attribuée jusqu’à ce que les acteurs s’identifient plus net­te­ment à un per­son­nage : Philipp Hochmair à Méphis­to, mon­tré comme un dou­ble sen­suel de Faust, et Patrycia Ziolkows­ka à Mar­guerite, puis plus tard, dans FAUST 2, à Hélène. Dans une scéno­gra­phie min­i­male, avec ce procédé de rel­a­tive décon­struc­tion du texte, et porté par des comé­di­ens très con­va­in­cants, FAUST 1 ne s’attira que des éloges. Le pub­lic et la cri­tique furent plus divisés à pro­pos de FAUST 2. Du texte foi­son­nant et hétérogène de Goethe, Ste­mann avait tiré une sorte de show con­tem­po­rain, reprenant les grandes artic­u­la­tions de la pièce sans les con­serv­er toutes. Restait un fourre-tout « post-post-post mod­erne » irrévéren­cieux qui tenait à la fois du cabaret et du spec­ta­cle télévi­suel où l’on pou­vait voir la vie du cou­ple Faust et Hélène comme une car­i­ca­ture de foy­er mod­erne envahi par les biens de con­som­ma­tion et assu­jet­ti à la tyran­nie de leur insup­port­able reje­ton, ou encore la scène de la rédemp­tion finale de Faust comme une ascen­sion bur­lesque accom­pa­g­née par le chœur des anges, fig­urés par les mar­i­on­nettes déglin­guées de la com­pag­nie Das Hel­mi.

Truf­fée d’ironiques com­men­taires sur le théâtre post-dra­ma­tique, sur l’obscurité de la pièce aux yeux de la cri­tique uni­ver­si­taire, ou d’allusions à la mise en scène du FAUST de Stein1 comme à celle du HAMLET d’Ostermeier2, la représen­ta­tion pre­nait des allures de car­naval bon enfant, sus­ci­tant l’agacement de cer­tains et l’adhésion ent­hou­si­aste de la majorité du pub­lic, tout heureux d’avoir survécu par un beau jour d’été à l’épreuve d’un spec­ta­cle de huit heures trente.

Repen­sant plus tard à ce dernier « défi sportif », selon la for­mule de Ste­mann, il m’a sem­blé que le plus sur­prenant n’était pas tant l’accent icon­o­claste de sa mise en scène, ni sa présence sur le plateau pour com­menter ou anticiper l’action qu’un cer­tain change­ment d’inflexion apporté à cette vision de FAUST com­parée à celles que j’avais pu voir des années ou des décen­nies plus tôt. Que veut-on trou­ver aujourd’hui dans FAUST en effet ? Le spec­ta­cle et plus encore le dis­cours cri­tique d’accompagnement – car le pro­pos ne m’a pas paru tou­jours très lis­i­ble sur le plateau – met­taient en évi­dence le car­ac­tère vision­naire des intu­itions de Goethe dans la sec­onde par­tie de son œuvre mon­u­men­tale. À la lumière des crises que tra­verse aujourd’hui la civil­i­sa­tion occi­den­tale, l’acte I situé à la cour de l’empereur d’Allemagne deve­nait pré­moni­toire de la crise des économies virtuelles. Que pro­posent en effet Méphis­to et Faust à l’empereur sinon de faire fonc­tion­ner la planche à bil­lets en garan­tis­sant les valeurs en cir­cu­la­tion par des richess­es enfouies dans le sol et encore inex­ploitées ? Une soudaine prospérité qui ne pour­ra génér­er que ruine et guerre à l’acte IV. De même, l’acte V, au cours duquel Faust et Mephis­to veu­lent exploiter le lit­toral et con­stru­ire à tout-va en expul­sant les anciens habi­tants (Philé­mon et Bau­cis) et en gag­nant des ter­ri­toires nou­veaux sur la mer, est-il facile­ment inter­prété comme une mise en garde adressée à tous les pilleurs de réserves naturelles de la planète.

Goethe dénon­ci­a­teur de l’économie virtuelle et défenseur de l’écologie : nous sommes bien loin aujourd’hui des grandes mis­es en scène de la dernière décen­nie du XXe siè­cle. Car si ces pas­sages du texte n’étaient pas gom­més dans les spec­ta­cles de Strehler ou de Stein, leur traite­ment obéis­sait à une tout autre logique.

Nous avons tous pu con­stater à quel point cer­tains auteurs ou cer­tains textes con­nais­sent soudain un suc­cès inter­na­tion­al ou à tout le moins européen. Vague d’ORESTIE (Stein, Mnouchkine, Lavau­dant, Sobel, etc.) pour ancr­er le théâtre européen dans ses racines grec­ques ; vague de MÉDÉE au théâtre et à l’opéra (Las­salle, Deb­o­rah Warn­er, Wil­son, War­likows­ki, sans compter toutes les adap­ta­tions mod­ernes) et, aujourd’hui, retour aux auteurs améri­cains, hier décriés : O’Neill et Ten­nessee Williams (Lang­hoff, War­likows­ki, Van Hove, etc.).

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Nicolas Stemann
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Christine Hamon-Siréjols
Christine Hamon-Siréjols est professeure émérite en études théâtrales à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3,...Plus d'info
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