Sculpter la souffrance et l’espoir

Entretien
Performance

Sculpter la souffrance et l’espoir

Entretien avec Freddy Tsimba

Le 2 Juil 2014
La maison de machettes, sculpture de Freddy Tsimba dans son atelier. Photo Bernard Debroux.
La maison de machettes, sculpture de Freddy Tsimba dans son atelier. Photo Bernard Debroux.

A

rticle réservé aux abonné.es
La maison de machettes, sculpture de Freddy Tsimba dans son atelier. Photo Bernard Debroux.
La maison de machettes, sculpture de Freddy Tsimba dans son atelier. Photo Bernard Debroux.
Article publié pour le numéro
Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Bernard Debroux : Com­ment est née ta voca­tion de sculp­teur, dev­enue une pro­fes­sion, un art, aujourd’hui inter­na­tionale­ment recon­nu ?

Fred­dy Tsim­ba : Je suis issu d’une famille de quinze enfants. Une famille polygame, à l’époque c’était admis. Une famille très soudée sous l’autorité du papa. Quinze enfants, c’était nor­mal. Bien sûr, à la fin, la crise venant, mon père n’a plus pu assur­er l’éducation de tous et nous avons dû nous débrouiller. Mon père était fonc­tion­naire à la mairie de Kin­shasa. C’est lui qui fix­ait les prix des den­rées ali­men­taires. C’était un homme hon­nête, il n’a pas prof­ité de la posi­tion qu’il occu­pait pour s’enrichir. Il voulait surtout aider les gens. Il a réus­si à acquérir une mai­son où nous avons tous été élevés et une plan­ta­tion au plateau de Bateké mais il n’avait pas d’autres richess­es, d’autres biens et quand la crise s’est ampli­fiée, nous avons dû vrai­ment nous débrouiller pour avancer dans la vie.

B. D. : Vous habitiez donc tous dans cette mai­son pater­nelle à Matonge ?

F. T. : Oui, tout à côté de la place de la Vic­toire, place mythique pour les artistes de Kin­shasa et cen­tre de la vie pop­u­laire noc­turne. Je suis né là. Très petit, je dessi­nais, fai­sais des voitures en fil de fer pour mes amis. Nous n’avions pas les moyens d’avoir des jou­ets, alors je les fab­ri­quais moi-même. Petit à petit, ces objets sont devenus comme des bijoux et les amis de mes par­ents ont com­mencé à les com­man­der chez moi. Ça m’a per­mis d’acheter à manger pour mes jeunes frères et moi et aus­si de m’acheter de la « friperie ».

Déjà, je n’étais plus nu ! Bien sûr, j’ignorais les prix, c’étaient les acheteurs qui les fix­aient. Trois dol­lars, pour moi, c’était bien, je pou­vais m’acheter des caleçons ! Il y avait trois ciné­mas dans le quarti­er (ciné Bon­go­lo, ciné Matonge, ciné Vic­toire), et le plus grand des trois man­quait d’affiches. Ces affich­es cir­cu­laient, étaient abîmées, il fal­lait les refaire. On a décou­vert que je dessi­nais et que je pour­rais réalis­er des affich­es. On fix­ait une image arrêtée du film et je la repro­dui­sais sur un papi­er à car­reaux. On ne me payait pas, je pou­vais aller voir les films, mais mon père ne voulait pas ! Une de mes sœurs était tombée amoureuse d’un homme qui était à l’école des Beaux-Arts. Il venait sou­vent à la mai­son et comme je dessi­nais tout le temps, il a décou­vert mes dessins.

C’était l’été, il m’a fait dessin­er quelques cro­quis et les a trans­mis à l’école pour que je puisse m’y inscrire. On cachait les noms des can­di­dats pour pou­voir juger sans être influ­encé. Sur cinq cents can­di­dats, on en a retenu cinquante et j’en fai­sais par­tie. C’était une grande joie. Ensuite, il y a eu une sec­onde sélec­tion où nous étions enfer­mé dans une salle et nous avons à nou­veau dû dessin­er pour être sûr que nous étions bien les auteurs des œuvres. Vingt-cinq ont été retenus et j’ai fait par­tie du lot.

B. D. : Tu as donc suivi ensuite les cours de l’école des Beaux-Arts…

F. T. : J’ai fait qua­tre ans d’humanités artis­tiques et j’ai ensuite suivi trois ans d’études supérieures. Je n’ai pas suivi la licence. Je con­sid­érais que j’avais reçu des bases solides et je ne souhaitais pas être for­maté davan­tage par une for­ma­tion « clas­sique ». J’ai préféré pour­suiv­re ma for­ma­tion durant sept ans auprès des fondeurs et des soudeurs pour appren­dre les tech­niques. À l’école, on appre­nait l’art grec, le clas­sique, mais ce n’est pas ce que je cher­chais. Je voulais être libre d’exprimer ma sen­si­bil­ité dans des formes qui me cor­re­spondaient.

B. D. : Ces stages, tu les as faits chez des arti­sans dif­férents ?

F. T. : Oui, la plu­part étaient situés à Matete, au sud de la ville. C’était des gens qui tra­vail­laient pour la fonte de bronze, mais qui maîtri­saient par­faite­ment les tech­niques. Sou­vent les artistes dessi­nent leurs pro­jets, leurs moulages, et s’adressent ensuite aux arti­sans, fondeurs, pour réalis­er l’œuvre. Je ne voulais pas agir de la sorte, je voulais soud­er et fon­dre moi-même. D’autant qu’on pou­vait réalis­er plusieurs copies de l’œuvre, ce que je ne voulais pas. Dans ma rela­tion avec eux, j’ai caché mes diplômes, je ne voulais pas qu’on m’appelle « maître ». Un jour pour­tant j’ai été trahi. Des amis sont passés et m’ont demandé, sur­pris, ce que je fai­sais là. Les arti­sans ont pen­sé que j’aurais pu les aider car eux aus­si réal­i­saient quelque­fois des œuvres et ils m’ont chas­sé… Je ne regrette pas, car si j’avais dit que je venais des Beaux-Arts, les rap­ports auraient été dif­férents. Je venais pour appren­dre, je voulais être un arti­san, comme eux. J’ai donc appris énor­mé­ment auprès des soudeurs et des fondeurs.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Performance
Freddy Tsimba
1
Partager
Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements